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15 novembre 2009

Claude Lévi-Strauss et l'islam : 2/3, l'article publié par Guysen News

Claude Lévi-Strauss et l’Islam
Par Sidney Touati pour Guysen International News


Claude Lévi-Strauss, le seul «Immortel » à avoir franchi la barre des cents ans, s’est éteint ce mardi 3 novembre 2009. Lévi-Strauss était la dernière grande figure de l’humanisme français. Sa mort nous donne l’occasion de redécouvrir l’oeuvre d’un des plus grands penseurs du XXème siècle et notamment son oeuvre la plus célèbre « Tristes tropiques ». L’ouvrage a été publié en 1955 et a connu un retentissement mondial.Le grand ethnologue français fait un compte rendu passionnant de son itinéraire personnel et professionnel étroitement lié aux grands évènements qui ont marqué le XXème siècle. Claude Lévi-Strauss termine sa longue traversée des civilisations, par une réflexion sur la rencontre des différentes grandes cultures en un même lieu, le site de Taxila. En cet endroit, tout à fait exceptionnel, « pendant quelques siècles, trois des plus grandes traditions spirituelles de l’Ancien Monde ont vécu côte à côte : hellénisme, hindouisme, bouddhisme ... A l’exception de la chrétienne, toutes les influences dont est pénétrée la civilisation de l’Ancien Monde sont ici rassemblées. Et conclut Lévi-Strauss : Où, mieux qu’en ce site qui lui présente son microcosme, l’homme de l’Ancien Monde, renouant avec son histoire, pourrait-il s’interroger ? ». (1)
L’auteur se penche sur ces grandes civilisations, leur relation tumultueuse, et en tire des conclusions qui éclairent la situation qui est la notre aujourd’hui. On ne peut qu’être frappé par la lucidité, la clairvoyance, la franchise qui imprègnent ses propos. Cette lecture vivifiante nous rappelle qu’il y a un temps pas si lointain, où la pensée critique pouvait s’exprimer librement dans notre pays et aborder tous les sujets. Elle nous fait prendre conscience, symétriquement, d’un combat pour la liberté de penser que nous avons quasiment perdu. Nous allons tenter ici, en rappelant ces quelques remarques de Lévi-Strauss sur l’Islam, de surmonter cette terrible défaite dont nul n’ose dire le nom ; montrer que l’esprit libre peut encore se manifester ; dépasser l’abdication honteuse et sombre dans laquelle la plupart de nos « élites » se complaisent.


Un appétit destructeur

En se promenant à travers les siècles et les civilisations, Lévi-Strauss se demande pourquoi cette séparation Orient-Occident. Comment expliquer cette terrible rupture qui a plongé le monde dans une spirale de guerre et de destruction? « Que serait aujourd’hui l’Occident si la tentative d’union entre le monde méditerranéen et l’Inde avait réussi de façon durable ? » (p. 458) Qu’est-ce qui a rendue impossible cette union ? La réponse est claire, c’est l’Islam. Le pessimisme de Lévi-Strauss est cependant nuancé ; la scission n’est pas totalement accomplie. Il est encore possible de faire tomber la barrière que l’Islam a dressée entre l’Orient et l’Occident. (p. 470)
Lévi-Strauss nous confie « C’était surtout l’Islam dont la présence me tourmentait ». Il évoque ce qui lui semble être la contradiction majeure de cette religion « l’Islam me déconcertait par une attitude envers l’histoire contradictoire à la nôtre et contradictoire en elle-même : le souci de fonder une tradition s’accompagnait d’un appétit destructeur de toutes les traditions antérieures » (p.459)
Cette attitude trouve son accomplissement dans la destruction en 2001 par le régime des Talibans, des bouddhas de Bâmiyân. Mais on la retrouve également dans la destruction par le régime Saoudiens des mosquées datant de la période ottomane ou dans la destruction de toutes les synagogues laissées aux palestiniens lorsque Israël a évacué la bande de Gaza.

La peur de l’autre

L’Occident possède, lorsqu’il est en accord avec ses racines, le souci de restituer le passé, d’en conserver les vestiges, quelles que soient les civilisations dont il s’agit. La diversité du passé est perçue comme une richesse. La connaissance, la compréhension de l’autre est au fondement même de la culture occidentale. Le Prophète préconise certes la « tolérance » mais explique Lévi-Strauss, cette exigence place les musulmans dans une situation de crise permanente : « en fait, le contact des non-musulmans les angoisse » (page 463)
Ils se sentent en danger lorsqu’ils sont confrontés à « d’autres genres de vie, plus libres et plus souples que le leur, et qui risquent de l’altérer par la seule contiguïté » (p.464).
Ce constat explique sans doute le véritable état de panique qu’expriment ceux que l’on appelle « intégristes » lorsqu’ils évoquent l’Occident et ses « moeurs corrompues ». Il suffit d’écouter les formules incantatoires du Président iranien, de prendre la mesure de la spirale du renfermement dans laquelle le monde arabo-musulman est engagée, pour mesurer à quel point le mode de vie occidental est perçu comme une menace permanente dont il faut se protéger, se couper, diaboliser et in fine, agresser par une propagande lancinante.
 
L’impuissance à nouer des liens au dehors


Lévi-Strauss qualifie l’Islam de « Grande religion qui se fonde moins sur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au dehors » (p.466)
Les chiffres concernant la publication et les traductions de livres étrangers, principalement occidentaux, confirment ce terrible jugement. Très peu de textes sont traduits en langue arabe. L’autarcie, le renfermement sur soi semblent être la norme d’un monde qui vit son rapport à la modernité sous l’angle de la défaite et de l’humiliation. Singulier contraste qui oppose la bienveillance universelle du bouddhisme, ou l’exigence chrétienne de dialogue, à l’intolérance musulmane. Ils (les musulmans) sont, précise Lévi-Strauss, « incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une « néantisation » d’autrui ... » (p.467)
N’est-ce pas très exactement la conduite adoptée par les kamikazes islamistes ces dernières années ? Viser à la « néantisation » de ce qu’il leur apparaît comme « autrui ». Mais dans ce processus de renfermement, on assiste à une sorte de dislocation de l’Islam ; au développement d’un processus d’intériorisation de la haine qui se déplace et oppose ses différents courants. Ce sont des musulmans qui meurent de plus en plus, victimes de leur propre fanatisme.


Conflits insurmontables et solutions simplistes

« Tout l’Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l’esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d’une très grande (mais trop grande) simplicité. »(p.464)
Pour illustrer cette propension, Lévi-Strauss cite l’exemple du rapport à la femme. Comme beaucoup d’autres, le musulman est tourmenté par la question de la fidélité de ses épouses ou de ses filles. Mais à la différence des maris jaloux occidentaux qui inventent moult stratagèmes pour résoudre cette lancinante question, l’Islam préconise une solution très simple (trop simple ?) pour remédier à cette angoisse : il suffit de voiler les femmes, de les cloîtrer. Puis, du voile passer à la « burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique.. »(p.465)
Mais cette solution n’en est pas une car « la barrière du souci s’est seulement déplacée, puisque maintenant il suffira qu’on frôle votre femme pour vous déshonorer, et vous vous tourmenterez plus encore. » (p.464)
Ainsi, d’un même mouvement, on fait de l’adultère un drame absolu auquel seul une solution d’une absolue simplicité peut faire face. Mais le problème demeure entier.


Un grand péril : l’islamisation de la France

Dès les années cinquante, Lévi-Strauss prend conscience du grand péril qui menace notre culture. Pour lui, la défaite de l’Occident est un fait qu’il constate depuis la lointaine époque des Croisades. Les chrétiens ont été battus par les musulmans non seulement au plan militaire, mais également au plan spirituel. Les chrétiens ont en effet emmené de leur lointaine expédition en terre d’Islam l’esprit guerrier, les valeurs « viriles » d’une société coupée des femmes : « Que l’Occident remonte aux sources de son déchirement : en s’interposant entre le bouddhisme et le christianisme, l’Islam nous a islamisé ... »
L’Occident s’est mis à ressembler à l’Islam. A compter du retour des croisades, en même temps qu’elle se militarise, la société occidentale exclut de plus en plus les femmes. La conséquence la plus dramatique de ce mimétisme : « C’est alors que l’Occident a perdu sa chance de rester femme »Nous commencions à peine, après des siècles obscurs, à sortir du carcan d’une société coupée en deux, dans laquelle hommes et femmes vivant séparés, sont violemment opposés dans des rapports où la force domine.Le nouveau contact avec l’Islam va-t-il conduire à une seconde défaite de l’Occident, cette fois définitive ?


(1) Toutes les citations sont issues de l’édition « Tristes Tropiques » publiée par Plon, collection Terre Humaine, 1955