Femme yézidie manifestant devant le Parlement Européen
Enlèvements, détention, viols,
mariages et conversions forcés : des filles et des jeunes femmes yézidies
témoignent sur les atrocités commises par Daech.
Des "butins de guerre". Voici comment les
combattants de Daech évoquent les Yézidies (minorité du nord de l'Irak)
capturées au Kurdistan depuis le début des combats dans cette région en
août 2014. L'ONG Human Rights Watch publie mercredi 15 avril de nouveaux témoignages de dizaines de filles et de jeunes femmes qui
ont réussi à s'échapper après être passées entre les mains de leurs
geôliers.
En octobre 2014, le groupe djihadiste "Etat
islamique" a publiquement reconnu dans sa publication "Dabiq"
que les jeunes filles avaient été offertes à ses combattants comme
"cadeaux", ou encore comme "esclaves".
Un système de viols organisé
L'organisation internationale des droits de l'Homme
a effectué une mission de recherche dans la ville de Dohuk en janvier et
février 2015, et documenté un système organisé de viols et d'agressions
sexuelles, d'esclavage et de mariages forcés imposé par les forces du groupe Etat islamique. Afin de corroborer les
récits des femmes et filles yézidies, Human Rights
Watch a également interrogé des professionnels de la santé, des
membres d'ONG et des responsables locaux, et examiné les déclarations
faites par Daech à ce sujet.
D'après HRW, des témoins ont raconté qu'après leur enlèvement, les combattants
avaient systématiquement séparé les jeunes femmes et les adolescentes de leurs
familles et des autres captifs et les avaient déplacées d'un lieu à l'autre, en
Irak
et en Syrie. Les hommes, par milliers, ont été exécutés.
"Parfois j'étais vendue,
parfois j'étais offerte en cadeau"
Les femmes et les jeunes filles qui ont parlé à Human
Rights Watch décrivent les viols à répétition, les violences sexuelles et
autres sévices qu'elles ont subis lorsqu'elles étaient captives de l'EI. C'est
le cas de Jalila, 12 ans (les noms des survivantes ont été modifiés pour
protéger leur sécurité), qui affirme que pendant sa captivité, sept
combattants de l'EI l'ont "possédée" et que quatre d'entre
eux l'ont violée à plusieurs reprises :
Parfois j'étais vendue. Parfois
j'étais offerte en cadeau. Le dernier homme était le plus violent : il
m'attachait les mains et les jambes", décrit la jeune fille.
Une autre jeune fille de 12 ans, Wafa,
raconte qu'un combattant l'a violée à plusieurs reprises :
Il dormait au même endroit que moi
et m'a dit de ne pas avoir peur parce que j'étais comme sa fille. Un jour,
je me suis réveillée et mes jambes étaient couvertes de sang."
"A partir de maintenant vous
allez nous épouser"
Dilara, âgées de 20 ans, confie à Human Rights Watch
que des combattants de l'EI l'ont emmenée dans une salle de mariage en
Syrie, où elle a vu environ 60 autres femmes yézidies captives. Les combattants
de Daech leur ont dit:
Oubliez les membres de vos familles,
à partir de maintenant vous allez nous épouser, porter nos enfants, Dieu va
vous convertir à l'Islam et vous allez prier."
Elle a échappé de peu aux horreurs qu'ont connues tant
de femmes et de filles avant elle, mais elle se souvient qu'à partir de 9h30 du
matin, "des hommes venaient acheter des filles pour les violer" :
"J'ai vu de mes propres yeux des combattants de l'EI tirer les
cheveux des filles, les battre et frapper à la tête celles qui tentaient de
résister. Ils étaient comme des animaux" :
Après avoir traîné les filles
dehors, ils les violaient, puis les ramenaient en échange de nouvelles filles.
L'âge des filles allait de 8 ans à 30 ans… il ne restait plus que 20 filles à
la fin, poursuit Dilara.
Les témoignages se succèdent, les mots et les récits
se ressemblent. Comme celui de Nadia, 23 ans, enlevées dans son village près de
Sinjar. Elle a essayé de convaincre ses kidnappeurs qu'elle était déjà mariée,
afin d'éviter d'être violée :
Les autres filles qui étaient avec
moi ont dit qu'il était interdit d'épouser une femme mariée", décrit
Nadia. Mais un homme lui répond : "Pas si ce sont des femmes
yézidies."
"Un traumatisme
persistant"
Celles qui ont réussi à s'échapper ne sont pas sorties
d'affaire. Dans son rapport, l'ONG multiplie les récits de tentatives de
suicide de femmes devant vivre avec la honte et l'exclusion. D'autres doivent
porter des enfants non désirés, ou avortent dans des conditions d'hygiène
déplorables. Et les traumatismes psychologiques provoqués sont nombreux :
Les survivantes sont encore
confrontées à d'énormes défis et à un traumatisme persistant après l'expérience
qu'elles ont vécue", affirme la directrice de la division Droits des
femmes à Human Rights Watch, Liesl Gerntholtz.
Human Right Watch appelle à la solidarité
internationale afin de venir en aide aux victimes : "Elles ont un besoin
urgent d'aide et de soutien afin de retrouver la santé et de continuer à
vivre", plaide Liesl Gerntholts.
Amaël François
L'Obs, 15 avril 2015