La "tour du royaume", en construction en
Arabie saoudite, mesurera plus de 1 km de haut. Un sommet vertigineux jamais
atteint jusqu'ici.
Ce n'est pas la tour de Babel, mais ça y ressemble. La
Kingdom Tower, actuellement en construction à Djeddah, en Arabie saoudite, a
vocation à devenir le plus haut bâtiment de tous les temps. Si sa taille exacte
est gardée secrète, elle sera la première tour mesurant plus de 1 km de haut,
soit l'équivalent de trois tours Eiffel superposées. Un sommet vertigineux qui
devrait être atteint en 2019, après six ans d'un chantier démarré il y a
quelques semaines sur les rives de la mer Rouge.
La "tour du royaume" sera la pièce maîtresse
d'un immense projet de développement urbain au nord de la deuxième ville
saoudienne. Ce nouveau quartier devrait coûter rien moins que 20 milliards de
dollars ; la Kingdom Tower, elle, est estimée à 1,2 milliard pour sa seule
construction. Imaginée par les architectes américains Adrian Smith et Gordon
Gill, la Kingdom Tower disposera d'un des "systèmes d'ascenseur les plus
sophistiqués du monde" : 59 cabines, dont cinq à deux étages, qui se déplaceront
à la vitesse de 10 m par seconde – 36 km/h. Les 167 étages de la tour et ses
258.000 m² accueilleront un hôtel cinq étoiles, des bureaux haut de gamme et
des appartements de luxe.
Au 157e étage, les clients saoudiens ont exigé une
piste d'hélicoptère. Mais les études ont montré que les vents tourbillonnant à
cette altitude rendraient les atterrissages bien trop périlleux. La plate-forme
a toutefois été conservée. "Les visiteurs pourront y accéder par temps
calme, précise Adrian Smith. Elle offrira un panorama unique sur la mer Rouge
et une vue plongeante sur le sol à travers un plancher de verre."
Conçue en forme de triangle, la tour doit pouvoir
résister aux vents. "Le sommet de la Kingdom Tower devrait bouger
d'environ 2 m par rapport à son axe, selon la direction et la force du vent. Le
mouvement de va-et-vient de la flèche sera contrôlé par un amortisseur. Et le
mouvement dans les étages habités sera atténué par la forme aérodynamique du
bâtiment, qui réduira les tourbillons", explique Adrian Smith. Les trois
faces de l'édifice seront percées d'"encoches" qui formeront des
balcons, rarissimes sur des tours de très grande hauteur. Objectif : réduire
encore les effets du vent, mais aussi se protéger du soleil en créant des
"poches d'ombre". D'un point de vue esthétique, les architectes se
sont inspirés, disent-ils, des "jeunes feuilles des palmiers qui poussent
dans le désert. Un symbole approprié représentant à la fois une nouvelle
croissance et une espèce végétale indigène. Il se trouve que c'est aussi la
forme idéale pour une tour aussi haute".
Les promoteurs ne cachent pas que leur principal
objectif est de battre le record détenu depuis 2010 par la tour Burj Khalifa -
une autre création d'Adrian Smith -, à Dubai, culminant à 828 m. Ce colossal
projet est porté par l'un des hommes les plus riches de la planète, le prince
Al-Walid, neveu du roi Abdallah, associé avec plusieurs investisseurs
saoudiens, dont le Saudi Binladen Group (SBG), l'entreprise de construction de
la famille Ben Laden. "Pourquoi construire toujours plus haut?,
s'interroge Adrian Smith. Parfois, c'est une question d'ego. Plus souvent,
c'est le désir de créer une identité, une signature, pour un pays, une région
ou une ville." En l'espèce, l'Arabie saoudite veut impressionner et
délivrer un message à la scène internationale à travers un geste architectural
emblématique de sa puissance économique. Autre symbole, qui rappelle la
dimension religieuse du mythe de Babel : la Kingdom Tower est présentée comme
"la porte d'entrée de La Mecque", à 85 km de Djeddah. L'un des trois
pieds de la tour est d'ailleurs ostensiblement orienté vers la ville sainte.
Les promoteurs, la Jeddah Economic Compagny (JEC),
voulaient un édifice de 1 mile (1.600 m) de haut. Ils ont dû revoir leurs
ambitions à la baisse à cause de la stabilité géologique de la région.
"Mais nous savons maintenant qu'il est techniquement possible de
construire une tour de 1 mile, assure Adrian Smith. Les considérations
financières demeurent le principal obstacle. Je crois qu'il faudra attendre
encore quelque temps avant qu'un tel bâtiment soit érigé." Il est
cependant fort probable que la course folle vers les cieux se poursuive, en
Asie ou au Moyen-Orient, puisque l'Amérique et l'Europe ont jeté l'éponge. Dans
la Bible, les constructeurs de la tour de Babel rêvaient d'atteindre le ciel,
d'où le courroux divin. Les concepteurs de la Kingdom Tower, eux, fournissent
des images virtuelles de leur supertour transperçant les nuages, bravache,
comme un défi. Le terme de gratte-ciel n'est plus une métaphore.
Bertrand Gréco,
Le Journal du Dimanche, le
10 août 2013