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18 mars 2010

Israël: le poids politique exorbitant des religieux


Même si la politique israélienne n’est pas évoquée dans la majorité des publications de ce blog, il m’était impossible de passer sous silence la grave crise diplomatique qui vient d’éclater entre Israël et les Etats-Unis : une crise mal venue quelle que soit la saison, mais particulièrement critique, face à une administration américaine à la fois incomptétente face au défi iranien et peu amicale vis-à-vis de l’état juif ...
Jacques Benillouche vient d’écrire un article incisif dans l’excellent site « slate.fr », où il rappelle l’influence désastreuse des partis religieux dans le jeu politique israélien. Et mes lecteurs et auditeurs fidèles seront peu surpris de mon adhésion complète à cette analyse !

Tzipi Livni, arrivée en tête des élections avec son parti Kadima, n'a pas été désignée pour constituer un gouvernement parce qu'elle refusait l'alliance avec les orthodoxes du Shass qui se sont alors tournés vers Benjamin Netanyahou. Tout paraissait alors facile, mais c'était sans compter sur la versatilité des partis religieux et sur leur capacité de marchandage. Les intenses négociations, qui avaient contraint Netanyahou à réclamer au président de l'Etat un délai supplémentaire pour constituer son gouvernement, auguraient des difficultés futures à diriger ses troupes.
Les religieux viennent d'infliger au vice-président américain Joe Biden un camouflet historique. Le ministre israélien de l'Intérieur, Elie Yishaï, du parti religieux Shass, a profité de sa présence pour annoncer la construction de 1.600 nouveaux logements à Ramat Shlomo, un quartier habité par des juifs ultra-orthodoxes dans un secteur en majorité arabe de Jérusalem. Cette annonce en plein gel de la construction, évidemment préméditée, ne pouvait s'interpréter comme une maladresse involontaire mais plutôt comme une provocation visant à mettre le gouvernement en difficulté face aux diktats d'un des membres de la coalition. En décidant de torpiller ouvertement cette visite, le Shass voulait faire comprendre aux politiques que rien ne se ferait avec lui et encore moins sans lui. Le ministre israélien de l'Aide sociale, Isaac Herzog, a été mandaté par le gouvernement pour adresser des excuses officielles au vice-président américain Joe Biden, après cette annonce intempestive.
Capacité de nuisance
Les religieux, en minorité dans le pays, ont une influence très importante car ils peuplent en majorité les implantations et ils peuvent y susciter des troubles qui se propageraient à l'intérieur du pays. La capacité de nuisance des religieux est due à la proportionnelle intégrale en Israël qui parsème les voix entre plus de trente listes et rend le pays ingouvernable et instable. Les partis religieux, forts de leur statut de partis charnières, usent de surenchère sans se soucier de l'intérêt général du pays. Ils ont refusé de soutenir Tzipi Livni qui représentait pour eux le diable en jupons et qui avait refusé leurs exigences surestimées ne cadrant pas avec leur poids politique réel.
Seize députés, à peine, dictent leur loi avec des revendications qui, souvent, n'ont rien de politiques mais uniquement sectorielles pour ne pas dire religieuses. Leur culture politique s'arrête à l'octroi de fonds qui leur permettent de faire vivre leurs écoles talmudiques fréquentées par des élèves totalement pris en charge. Ils favorisent ainsi l'émergence de jeunes oisifs étudiant les textes sacrés à longueur de journée, loin de la réalité du pays, loin du modernisme et dans un anachronisme inquiétant. Nombreux sont ceux qui se fondent sur l'alibi de ces études dans les colonies pour échapper au service militaire national.
Netanyahou doit sauvegarder sa coalition hétéroclite et se trouve ainsi pieds et poings liés avec des religieux dont la culture politique s'arrête à l'entrée des synagogues et dont les thèses extrémistes sont dévoyées au nom de la loi religieuse. Alors que le pays est en majorité laïc, ses citoyens subissent la chape imposée par les rabbins. Le dernier exemple vient de l'interdiction faite aux chanteuses de se produire face à un public masculin.
Orthodoxes antisionistes
Tzipi Livni avait déjà compris cette dialectique puisqu'elle avait préféré renoncer au poste de chef du gouvernement pour ne pas vendre son âme. Elle avait surtout compris, en tant qu'héritière d'une famille profondément sioniste, qu'elle ne pouvait accepter la déviation antisioniste de certains orthodoxes qui estiment que «lorsque l'Etat d'Israël reviendra à la Torah, nous célèbrerons le Jour de l'Indépendance». Ces nouveaux adeptes des livres sacrés semblent vouloir renier l'histoire moderne d'Israël et soustraire à leurs fidèles le symbole même de l'Etat. Ainsi la bénédiction traditionnelle faite par les juifs, dans tous les pays du monde, pour bénir l'Etat dans lequel ils vivent a été purement et simplement supprimée de certaines liturgies en Israël.
Netanyahou ne s'encombre pas des mêmes réserves que Livni et, pour gouverner, il était prêt à s'allier au diable et à accepter toutes les concessions. Il constate aujourd'hui le danger d'alliés instables capables de mettre en péril l'amitié solide avec les Etats-Unis. Ils monnayent leur participation au prix fort sachant qu'ils pourraient quitter au pied levé la coalition si leurs exigences n'étaient pas respectées. Ils bloquent tout processus de paix car ils s'appuient sur des arguments bibliques et non politiques pour justifier le Grand Israël et s'opposent à toute rétrocession d'une quelconque parcelle de la Cisjordanie aux arabes. Ils sont confortés dans leur position par le lobby juif religieux américain, très puissant aux Etats-Unis, pourvoyeur d'aide financière à l'Etat d'Israël.
Le rêve de l'Israélien moyen est que les partis extrêmes, la droite nationaliste et les religieux, soient éliminés de la gouvernance et que le Premier ministre ne s'appuie que sur le Likoud, le parti travailliste et les centristes de Kadima. Cette majorité de 68 députés est suffisante pour conférer au gouvernement une stabilité qui lui permettra enfin d'aborder les problèmes sérieux du pays. Elle lui permettra surtout de définir précisément un programme consensuel pour résoudre le conflit israélo-palestinien qui s'enlise car, en décidant de ne pas décider, il gouverne à coup de faits accomplis. Tandis que le monde attend des Israéliens des initiatives politiques, le poids des religieux mine la situation en Israël au moment où le conflit avec l'Iran entre dans sa phase décisive. Les pessimistes comptent, pour débloquer la situation, uniquement sur des évènements semblables à ceux de 1967, lorsque l'union nationale a été réalisée parce que le pays entrait en guerre.

Jacques Benillouche
Source : site slate.fr, le 11 mars 2010