J’ai éprouvé, comme beaucoup, un grand choc en apprenant la disparition mercredi dernier 7 octobre de Laurent Murawiec (1951 - 2009) ; disparition prématurée, après un courageux combat contre le cancer, d’un analyste politique brillant que j’aurais donc rencontré, pour la première et dernière fois de ma vie, à l’occasion d’une interview il y a près de six ans.
J’avais intitulé l’émission « Faut-il désaoudiser l’Arabie », et pour ce numéro de « Rencontre » diffusé le 25 janvier 2004, nous avions parlé de son livre « La guerre d’après » (Editions Albin Michel). Dans cet essai au vitriol contre la monarchie saoudienne, l’auteur s’interrogeait sur ce que devrait être, justement, la suite à mener au renversement de Saddam Hussein en Irak : il pensait que tous les assauts subis par les démocraties occidentales, et dont le 11 septembre avait été le révélateur - terrorisme, idéologie islamiste, déstabilisation du Moyen Orient, assauts contre Israël - trouvaient leur source dans ce pays là, le plus riche donc le plus dangereux car ses « lobbies » en Occident réduisaient au silence toute critique. Assis sur les plus grandes réserves de pétrole de la planète, les Saoudiens avaient pu, selon lui, financer à la fois le FIS et le GIA, les Talibans et le Hamas, tout en passant pour de bons amis de l’Occident. Antisémites farouches, ayant imposé une société moyenâgeuse et réfractaire à toutes nos valeurs, ils étaient selon Laurent Murawiec nos vrais ennemis ... A ce sujet on notera aussi l’extrême discrétion de cet homme de conviction à propos de ses origines : ayant perdu une partie de sa famille dans la Shoah, soucieux évidemment de l’avenir d’Israël, il plaçait son engagement et son travail sur le terrain de la défense des démocraties, et non d’un communautarisme étroit.
On aura compris qu’avec de telles analyses mon invité ne s’était pas fait que des amis. Français d’origine et totalement iconoclaste sous nos latitudes, il aura construit sa carrière aux États-Unis où il avait rejoint ce que l’on appelé le courant de pensée « néo-conservateur », dont les « think tank » furent écoutés par l’administration de Georges W. Bush - du moins tant que le projet de « new Middle East » et de démocratisation à marche forcée du Moyen-Orient restait dans « l’agenda », soit en gros, pendant le premier mandat de l’ex-président américain. « Senior international policy analyst » de la « RAND corporation » jusqu’en 2002, il en fut brutalement exclus après avoir défendu son point de vue sur ce puissant allié de Washington. Il rejoignit ensuite le « Hudson Institute », plus proche de ses idées - voir sur leur site l'hommage qui lui est rendu. Collaborateur du site d’information israélien francophone « Menapress », il y écrivait des analyses aussi polémiques dans la forme, que solidement argumentées sur le fond : sa dernière publication, il y a quelques mois, était une attaque au vitriol contre Barack Obama - qui, cruelle ironie du destin, reçut le Prix Nobel deux jours après sa disparition. On lira aussi, en lecture libre sur leur site une biographie complète de cet auteur, ainsi que l’hommage de Guy Millère.
Il me reste donc le souvenir de cette émission. La « logistique », particulièrement difficile car il fallait organiser le rendez-vous à distance depuis les États-Unis, trouver un moment correspondant à l’un de ses passages à Paris. Et puis la découverte d’un homme encore jeune, qui me fit penser à un colosse souriant. Je me souviens très bien de son sens de la répartie, quand je lui avais demandé - bien dans mon rôle « d’avocat du diable », qui contredit gentiment les invités tout en essayant de faire entendre des avis différents - s’il « ne poussait pas le bouchon trop loin » : « non », me répondit Laurent Lurawiec, « je place le bouchon juste où il faut ». Près de six ans après, je pense à son sourire et à la force qui s’en dégageait. Je pense aussi à ces autres voix disparues dont il ne me reste que des enregistrements - Jacques Hassoun, Semih Vaner, André Chouraqui : vous pourrez relire les hommages déjà rendus en cliquant ci-dessous sur le triste libellé « in memoriam » ...
J.C
J.C