Couverture du "Nouvel Observateur", semaine du 2 mars 2005
Introduction :
Quelques précisions, d’abord. J’essaie de faire preuve d’esprit de nuance lors de mes interviews, et certains invités m’en ont félicité. Et écrire qu’il y aurait des sujets tabous dans l’ensemble de la presse « dite de gauche » - peu de grands journaux sont en fait réellement militants - est déjà simplificateur. Cela fait par exemple déjà plusieurs mois que la « politique arabe » de la France fait l’objet d’inventaires peu amènes dans « Libération », tandis que « Le Monde » a souvent publié des reportages crus sur la vie quotidienne en terre d’Islam. Et puis, chaque rédaction est plurielle même si leur direction impose une « ligne » générale ... les lecteurs fréquents de « Libé » dont je fais partie ne peuvent qu’être frappés par le grand écart entre la « quotidienne » de Pierre Marcelle (souvent fielleuse à propos des Juifs) et la rubrique « diplomatiques » de Jacques Amalric (presque toujours rigoureuse).
Mais deux tabous, forts, existaient et ont résisté à la fois au 11 septembre, aux horreurs du terrorisme islamiste et à l’explosion jusqu’en Europe de violences (verbales ou physiques) contre la communauté juive : l’explication systématique de la fureur musulmane par des fautes occidentales - politique américaine, israélienne, ou conséquences lointaines du colonialisme ; et le refus de voir en face le « nouvel antisémitisme » qui a explosé dans nos banlieues, sous prétexte que « des pauvres » issus de l’immigration ne pourraient jouer d’autres rôles que celui de victimes. Ce « logiciel » de la pensée unique est maintenant remis en question, surtout depuis deux affaires fortement médiatisées (celle des caricatures de Mahomet et celle du meurtre abominable d’Ilan Halimi). Voici donc plusieurs exemples relevés dans des journaux dits « de gauche » au cours des derniers jours.
Mais deux tabous, forts, existaient et ont résisté à la fois au 11 septembre, aux horreurs du terrorisme islamiste et à l’explosion jusqu’en Europe de violences (verbales ou physiques) contre la communauté juive : l’explication systématique de la fureur musulmane par des fautes occidentales - politique américaine, israélienne, ou conséquences lointaines du colonialisme ; et le refus de voir en face le « nouvel antisémitisme » qui a explosé dans nos banlieues, sous prétexte que « des pauvres » issus de l’immigration ne pourraient jouer d’autres rôles que celui de victimes. Ce « logiciel » de la pensée unique est maintenant remis en question, surtout depuis deux affaires fortement médiatisées (celle des caricatures de Mahomet et celle du meurtre abominable d’Ilan Halimi). Voici donc plusieurs exemples relevés dans des journaux dits « de gauche » au cours des derniers jours.
J.C
Alain Duhamel dans sa rubrique de « Libération » datée du 1er mars :
« Quand le «gang des barbares» s'en prend au malheureux Ilan, c'est encore le fruit mortel des séquelles des clichés sur «le juif est riche et sa communauté est solidaire». A quoi il faut ajouter un antisémitisme qui, lui, se développe sur le sol français depuis deux décennies, vigoureusement et parfois violemment : l'antisémitisme islamiste et, beaucoup trop souvent, l'antisémitisme musulman et immigré. Lui aussi a des racines religieuses antiques, mais sans la récente repentance chrétienne. Des prêches, des DVD, des cassettes, des associations, des mouvements activistes entretiennent stéréotypes haineux et préjugés sociaux envieux. Des intellectuels, des religieux, des laïcs tentent de combattre de leur mieux avec courage cet antisémitisme-là, tantôt virulent et tantôt diffus mais toujours présent : ils sont minoritaires chez les leurs, d'autant plus que se mêlent aux traditions religieuses une jalousie sociale et une animosité spécifique envers mieux intégrés et mieux reconnus qu'eux. La France d'aujourd'hui ne ressemble pas à l'âge mythique de l'Andalousie où cohabitaient presque harmonieusement les communautés. Ici, c'est l'antagonisme communautariste qui menace et, comme trop souvent, au détriment des moins nombreux. »
Interview de Malek Boutih dans « Le Nouvel Observateur » daté du 2 mars :
« On a fait une erreur dramatique, particulièrement à gauche, en confondant l'analyse des causes de cette violence et le discours qu'il fallait lui opposer. Insidieusement, on l'a légitimé, on lui a donné une justification politique. Ces jeunes qui, contrairement à ce que disent beaucoup de policiers, n'ont pas la tête vide, l'ont parfaitement compris et ont repris ce discours à leur compte. « La société est pourrie ; les délinquants en col blanc ne vont jamais en prison », vous disent les dealers. Il s'est passé la même chose avec le discours antisémite. Un cran supplémentaire dans la transgression des règles et des tabous a sauté. Au lieu de combattre de front la haine antijuive, on a invoqué l'Intifada, l'« identification à la juste cause palestinienne ». Sans se rendre compte, d'ailleurs, qu'on reproduisait les mêmes schémas que ceux qui trouvent de bonnes raisons aux « papys flingueurs » qui tirent sur les Arabes parce qu'ils sont, disent-ils, excédés par le bruit des mobylettes. Résultat : l'antisémitisme, comme la violence, s'est banalisé. A force de le comprendre, certains ont fini par le justifier. »
Reportage de Jean-Pierre Langelier dans « Le Monde » daté du 28 février, à propos d’un colloque à Kuala Lumpur sur l’incompréhension « Islam-Occident », avec quelques citations fortes :
« Éducation bien ordonnée commence par soi-même, souligne Usman Bugaje, président de la commission des affaires étrangères du Parlement nigérian. Cet universitaire déplore que les peuples musulmans connaissent de moins en moins bien leur propre religion, sans parler de celle des autres : "Inutile de remonter à l'Andalousie arabe pour constater que l'éducation est de plus en plus rétrécie, souligne-t-il. Nous devons revitaliser les programmes, renouer avec notre grande tradition intellectuelle !"
C'est également l'avis de Mohammed Arkoun, historien de la pensée musulmane. "Nous avons besoin avant tout, constate-t-il, d'une véritable politique d'éducation et d'une recherche scientifique ambitieuse. Les travaux des experts n'alimentent que des débats d'initiés sans écho dans les médias ni dans le grand public." Pour Mohamed Charfi, ancien ministre tunisien de l'éducation (1989-1994), cette dernière représente, avec la liberté, l'égalité hommes femmes et la bonne gouvernance, l'un des quatre domaines où le monde musulman doit accomplir des progrès décisifs.
Celui qui présida aussi, dans son pays, la Ligue des droits de l'homme connaît bien son sujet. Il eut la charge de porter un coup d'arrêt à l'islamisation, qui, à la fin du règne d'Habib Bourguiba, avait contaminé le système d'enseignement, par le truchement des manuels scolaires. "L'éducation doit être modernisée, résume-t-il. Elle doit ouvrir les esprits, apprendre à réfléchir, éveiller le sens critique. La connaissance d'autrui et de ses systèmes de pensée est un moyen essentiel d'enrichissement de soi." (...)
Ouvrir les yeux sur soi et sur l'Occident suppose que le monde musulman cesse de se poser en perpétuelle victime. "C'est toujours la faute de l'autre, note Mohamed Charfi : le colonisateur, l'impérialisme, le système financier international, le FMI, la Banque mondiale. Quand amorcera-t-on l'autocritique qui permettra un diagnostic lucide de nos échecs ?" Mohamed Arkoun regrette que, depuis les croisades, l'islam ne retienne de ses contacts avec l'Occident que les souvenirs douloureux, et n'ait pas su tirer à son profit les leçons de la raison et des Lumières. »
J.C