Mustafa Barzani
Introduction :
Ci-dessous la deuxième partie
de ma conférence, donnée à Saint-Mandé le 8 janvier 2018, dans le cadre de la
soirée de solidarité judéo-kurde évoquée au 1 / 4
J.C
Deuxième
partie : l’alliance stratégique d’Israël avec les Kurdes irakiens
Pourquoi y a-t-il eu cette
alliance-là, et pas l’équivalent avec les Kurdes de Turquie ou ceux d’Iran ?
A la chute de l’Empire
Ottoman, les grandes puissances, et en premier lieu les Anglais, vont créer plusieurs
Etats se définissant comme « arabes » dont l’Irak, conçu comme un
« pays tampon » entre la Turquie et la Perse. Le nationalisme arabe
était quelque chose de récent, mais partout il va chercher à gommer les
identités culturelles qui étaient gérées avec une certaine souplesse dans
l’ancien Empire. Dans ce nouveau pays, l’Irak, vivaient Chiites, Sunnites et
Kurdes. Au départ, la Société des Nations prévoyait une zone autonome autour de
Mossoul, mais le pouvoir central irakien ne respectera pas cet engagement ;
et cela va déclencher la première révolte kurde menée par Mustafa Barzani dans
les années 30.
Ensuite va naitre l’Etat d’Israël, immédiatement envahi par les
pays voisins. Pour briser cet isolement, David Ben Gourion va essayer de mettre
en œuvre la fameuse stratégie de « l’alliance de revers » avec trois
pays non arabes, l’Ethiopie, l’Iran et la Turquie, trois pays qui étaient à
l’époque alliés des Occidentaux. Avec le régime du Shah, l’alliance militaire
bien que secrète se développa dans les années 70 ; avec la Turquie, il
faudra attendre la fin des années 90 pour nouer une vraie relation stratégique ;
et pour ces deux pays, l’arrivée au pouvoir des islamistes a brisé ces
alliances. Donc la « real
politik » commandait de soutenir les Kurdes d’Irak, et pas les autres.
On vous l’a rappelé tout à
l’heure, il y a eu plusieurs révoltes armées au cours des années 60, 70 et 80.
C’est en 1959 qu’un envoyé de Mustafa Barzani commença à contacter les
Israéliens. A ce moment-là, l’Iran avait une attitude ambiguë vis-à-vis des
Kurdes, soutenant ceux de l’Irak - pays voisin et potentiellement ennemi -,
mais avec la crainte que leur révolte ne s’étende sur son propre territoire.
Ben Gourion autorisa cette aide au début des années 60, à condition qu’elle
reste secrète et donc coordonnée par le Mossad. Ce soutien consista en des
livraisons d’armes et en la formation des combattants kurdes, les Peshmergas.
Et elle se poursuivit au cours des décennies suivantes, alors que l’Iran allait
lâcher les Kurdes d’Irak par deux fois, d’abord lors des accords d’Alger signés
en 1975 par le Shah avec Saddam Hussein ; et puis bien sûr dans les années
80, alors que la nouvelle République Islamique d’Iran devait successivement
mater une nouvelle insurrection kurde, puis subir une guerre très dure entre
1980 et 1988, guerre lancée par Saddam.
C’est la troisième
insurrection, déclenchée par les Kurdes en 1983 qui va provoquer la répression
la plus horrible. Au cours des huit opérations militaires de l’armée de Saddam Hussein
baptisées « Anfal », on a vraiment eu affaire à un génocide des
populations civiles. Et cela m’amène à vous parler de deux émissions de ma
série. En décembre 2002, à quelques mois de l’invasion américaine de l’Irak, je
recevais le professeur Halkawt Hatem, lui-même réfugié kurde irakien. On a
évoqué le massacre de Halabja, où un bombardement à l’arme chimique a tué plus
de 5.000 personnes et laissé 12.000 handicapés à vie. Et voici ce que mon
invité a dit à propos du silence du monde arabe : « Les Kurdes disent
souhaiter autant de droits et de liberté que les Arabes en Israël. Les
Palestiniens ont la possibilité de mener une Intifada : en deux ans, il y
a eu 2.000 tués palestiniens. En un quart d’heure, Saddam Hussein, le chantre
du nationalisme arabe, a tué 5.000 personnes, et contrairement aux Palestiniens
dont la cause est défendue à travers le monde, personne n’a rien dit. » En
décembre 2005, nous avons parlé d’un ouvrage de 700 pages, « Le livre noir
de Saddam Hussein » ; et je recevais un des contributeurs, le docteur
Françoise Brié qui avait souvent été en mission là-bas pour des associations
humanitaires. Dans son introduction, Bernard Kouchner chiffrait à plusieurs
centaines de milliers de mort le bilan du régime irakien ; et d’après mon
invitée, ce livre - qui dénonçait la complicité passive des grandes puissances
dans ces massacres, et en premier lieu de la France -, avait eu un faible écho
médiatique. On a donc là un élément évident de la communauté de destin entre
les Juifs et les Kurdes : les deux ont failli être totalement exterminés
de manière horrible, et avec la complicité du monde.
Jean Corcos