Ofer Zalzberg, analyste
principal à l’International Crisis Group, examine l’escalade militaire dans le
sud-ouest de la Syrie, qui s’est traduite, samedi, par des frappes israéliennes
autour de Damas.
La matinée de samedi 10 février
a été marquée par la plus sérieuse escalade militaire entre Israël et la Syrie
depuis des années. A l’origine : un drone attribué par l’armée israélienne
à l’Iran, qui avait pénétré dans l’espace aérien israélien. Tsahal a aussitôt
lancé un raid pour détruire son site de lancement, au cours duquel un avion F16
a été touché et s’est écrasé en Israël. Le pilote est grièvement blessé.
Cet incident a entraîné une réplique massive des
forces israéliennes, qui ont visé douze sites, syriens et iraniens autour de
Damas (Syrie). Deux jours avant cette escalade, l’organisation International
Crisis Group avait publié un rapport très documenté sur le risque d’un nouveau
front en Syrie, impliquant Israël. L’un de ses auteurs, Ofer Zalzberg, analyse
les ressorts de la détérioration sur le terrain.
Ce n’est pas la première fois qu’Israël répond
militairement après qu’un drone a pénétré dans son espace aérien. Mais, ce
matin, l’armée israélienne a agi avec une rapidité et une ampleur sans
précédent. Cela signifie-t-il que les acteurs testent leurs lignes rouges
respectives ?
Ofer Zalzberg : Effectivement, un incident impliquant un drone syrien
n’est pas une chose nouvelle. Ce qui est nouveau, c’est un drone iranien pénétrant
dans l’espace aérien israélien. Pour les officiels israéliens, il s’agit d’une
violation par l’Iran de l’espace israélien — l’appareil a été détruit
30 km au sud de la clôture entre Israël et la Syrie — et d’une indication
claire de la collecte de renseignements par l’Iran sur Israël afin de se
préparer à un conflit armé.
Nous assistons à un cycle d’action-réaction, dans
lequel les parties font preuve d’une prise de risque supérieure à celles dans
le passé récent : l’Iran, afin d’accroître ses capacités de renseignement
sur Israël ; Israël, afin de tracer les lignes rouges qui protègent son
espace aérien ; et enfin la Syrie, afin de protéger son espace aérien de
frappes israéliennes.
Même si personne ne semble désireux, dans l’immédiat,
de déclencher une nouvelle guerre, qui pourrait se transformer en conflit
régional, pourquoi la tension monte-t-elle depuis le début de l’année ?
Tandis que les combats progressent, [le chef de
l’Etat syrien, Bachar Al-] Assad et ses alliés ont repris de plus en plus
de territoires et se sentent maintenant confortés. Dès lors, ils peuvent enfin
réorienter des ressources et prendre des risques pour compromettre les
opérations aériennes israéliennes en Syrie. Cette attitude nouvelle peut avoir
un impact sur la capacité d’Israël à frapper les convois d’armement du
Hezbollah allant de Syrie vers le Liban, transportant notamment des missiles de
haute précision qui peuvent causer des dégâts majeurs à Israël dans une guerre
future avec le Hezbollah.
A quelle conclusion avez-vous abouti dans votre
rapport, publié le 8 février, dans lequel vous mettiez en garde contre une
escalade possible en Syrie ?
La Russie, qui est un soutien important du régime
d’Assad, est la seule puissance en Syrie en mesure de faciliter la conclusion
de deux nouvelles séries d’arrangements, destinées à réduire le risque d’une
confrontation plus large. Cela doit être fait dans deux domaines. Dans le
sud-ouest de la Syrie, la Russie doit négocier des arrangements pour conforter
l’accord de désescalade, éloignant les forces soutenues par l’Iran de la ligne
de cessez-le-feu entre la Syrie et Israël. Et elle doit chercher à négocier un
modus vivendi entre Israël et l’Iran en Syrie, dans lequel l’Iran renoncerait à
construire des ateliers de fabrication de missiles à haute précision et des
infrastructures militaires, tandis qu’Israël accepterait la présence de forces
étrangères dans le reste de la Syrie, en attendant la conclusion d’un accord
sur l’avenir du pays. En l’absence de tels arrangements, les risques d’une
escalade entre Israël, l’Iran et le Hezbollah seront bien plus élevés. Les
événements de la nuit dernière en sont l’illustration.
Comme vous le notez dans votre rapport, ces derniers
mois ont été marqués par des contacts intensifiés entre Israël et la Russie.
Sont-ils productifs ? Israël peut-il vraiment compter sur Moscou pour
juguler les plans iraniens ?
La coordination entre Israël et la Russie existe dans
la mesure où Israël est, dans les faits, autorisé à frapper des cibles du
Hezbollah et de l’Iran en Syrie. Les Syriens sont parfaitement au courant du
fait que la Russie aurait pu utiliser ses technologies antimissiles avancées
pour empêcher les frappes israéliennes, mais elle ne l’a pas fait. Mais en même
temps, les Israéliens savent bien, à la lumière des incidents de la nuit
dernière, que la Russie a permis au drone de traverser la Syrie et d’entrer
dans l’espace aérien israélien.
Dès lors, nous voyons que la Russie fait de son mieux
pour ne pas se retrouver prise au milieu du conflit entre l’Iran et Israël et
pour maintenir des relations correctes avec les deux parties. On comprend bien
que cela va être de plus en plus difficile. Si Moscou veut préserver des
relations de coopération avec les deux parties, il est de son intérêt de
parvenir à de tels arrangements. Dans leur cadre, il lui sera plus facile de
protéger ses alliés à Damas. Dans le contexte d’un large conflit avec l’Iran et
le Hezbollah en Syrie, Israël pourrait procéder à des frappes incapacitantes
contre l’armée syrienne.
Quelles seraient les conséquences si les milices
chiites soutenues par l’Iran intégraient l’armée syrienne ?
La première conséquence serait qu’il y aurait des
forces armées fidèles à Téhéran au sein de l’armée syrienne. Cela rendrait bien
plus improbable la possibilité pour Israël et la Syrie de revenir à la
situation antérieure à 2011, quand leurs frontières étaient, de facto, les plus
calmes de toutes celles qu’a Israël. Pour dire les choses simplement, il sera
plus difficile de stabiliser la dynamique entre Israël et la Syrie, même si
toutes les forces iraniennes et celles du Hezbollah quittent le pays.
Piotr Smolar, correspondant à Jérusalem
Le Monde, 10 février 2018