Comité central du P.K.K
Introduction :
Ci-dessous la troisième partie
de ma conférence, donnée à Saint-Mandé le 8 janvier 2018, dans le cadre de la
soirée de solidarité judéo-kurde évoquée au 1 / 4.
Précision : cette
manifestation a eu lieu avant l’offensive militaire turque en territoire
syrien, déclenchée le 19 janvier contre la zone d’Afrin, qui se situe au Nord-Ouest juste à côté de la frontière ; ceci explique que je n’en
ai pas parlé. Ai-je besoin de dire ici mon entière solidarité envers les
courageux combattants kurdes, qui font face avec leurs moyens si modestes à la
puissante armée d’Erdogan, quasi despote dans son pays ?
J.C
Troisième
partie : les Kurdes de Turquie et de Syrie, une hostilité
définitive ?
Evoquons maintenant un autre
invité de mon émission, Hamit Bozarslan, lui-même kurde de Turquie par son origine
et historien. Il avait raconté pourquoi cette partie du peuple kurde s’est
engagée mollement pour l’indépendance au moment de la chute de l’Empire
Ottoman. D’abord, leurs tribus ont disposé pendant longtemps d’une forme
d’autonomie au sein de principautés ; leur religion les plaçait en
position dominante ; et par rapport à l’ennemi héréditaire perse, ils
occupaient une position périphérique qui d’un côté les marginalisait, mais de
l’autre les rendait utile. Les choses vont changer à la fin du 19ème
siècle, quand le pouvoir ottoman impose une modernisation qui d’une part les
prive d’autonomie, mais d’autre part établit des droits nouveaux pour les minorités
non musulmanes, comme les Arméniens : et là, entre un Empire qui se
disloque peu à peu et les pressions étrangères, les Kurdes vont choisir le camp
panislamiste et anti-arménien. Un choix tragique, puisque des chefs kurdes font
participer leurs régiments de supplétifs au génocide de 1915. Après la chute de
l’Empire ottoman, les Occidentaux prévoient le démembrement total de ce
qu’il en reste, avec les projets de deux états, arménien au Nord Est et kurde au
Sud Est. La confiance dans le personnage de sauveur qu’incarne Attatürk pousse
les Kurdes à espérer retrouver un certain espace de liberté dans la Turquie
nouvelle. Mais la nouvelle République est jacobine, nationaliste, et elle refuse
toute identité minoritaire. Cela va même très loin puisque dès les années 30,
la langue kurde est interdite, et des populations sont déportées vers
l’Anatolie centrale.
Longtemps après, les années 60
et 70 voient un durcissement du pouvoir turc, avec une répression très forte
contre l’extrême gauche où se reconnaissaient beaucoup de Kurdes ;
beaucoup d’intellectuels rêvent d’une révolution, n’oublions pas que ce c’est
la période de la guerre du Vietnam ; et tout cela aboutit à la création du
PKK, « Parti des travailleurs du Kurdistan ». Le PKK était à la fois
un mouvement indépendantiste et un parti marxiste-léniniste, en lutte contre
une Turquie à l’époque meilleur alliée de l’Occident et pilier de l’OTAN. La
lutte armée commence en 1984, elle dure donc depuis plus de 30 ans avec des
périodes de trêves, et elle a fait des dizaines de milliers de victimes.
Différence importante avec les Peshmergas du Kurdistan irakien, le PKK a commis
des attentats en milieu urbain, et il est toujours considéré comme une
organisation terroriste par les Etats-Unis et par l’Union Européenne. Israël,
soutenu par les Américains est donc l’ami des ennemis. Pour ne rien arranger,
les relations entre Ankara et Jérusalem vont devenir de plus en plus étroites à
la fin des années 1990. Et c’est à ce moment que le leader charismatique du
PKK, Abdullah Oçalan, en exil au Kenya, est capturé en 1999 lors d’une
opération commune des services secrets turcs, israéliens et américain.
A propos de services secrets,
aussi, j’ai eu le bonheur d’avoir comme invitée il y a quelques mois Laure
Marchand, journaliste au Figaro, et qui dans son livre « Tripe assassinat
au 147 rue Lafayette » raconte comment le renseignement turc, « Millî İstihbarat Teşkilatı », a fait tuer
trois militantes du PKK en plein Paris.
Jusqu’en 1998, l’état-major du
PKK était basé en Syrie ! Alors que les Kurdes syriens étaient eux aussi opprimés,
le régime de Hafez El Assad autorise le recrutement de combattants à condition
qu’ils soient actifs de l’autre côté de la frontière. Au final, la Turquie
menaça d’envahir les zones kurdes de Syrie, et le PKK fut contraint de quitter
son territoire.
La suite récente, ce fut la
révolution en Syrie à partir de 2011 ; l’engagement au départ des Kurdes
syriens dans une révolte non communautaire ; l’habileté du régime syrien
qui n’a pas envoyé l’armée contre eux, mais leur a sous-traité en quelque sorte
le tache de mater localement les rebelles, des rebelles djihadistes qui par
ailleurs les menaçaient. Et puis s’est établi le Daech dans de vastes zones du
Nord Est du pays, les combattants kurdes du PYD, parti frère du PKK, ont
résisté héroïquement ; et maintenant, pour occuper ce vide il y a eu une
course de vitesse entre les milices chiites, soutenus par l’Iran, et les sunnites
(dont les Kurdes) soutenus par les Occidentaux. Quant à la Turquie, et après un
long cessez-le-feu, Erdogan a relancé à l’été 2015 la guerre contre le PKK, qui
avait abandonné la lutte armée et se revendiquant d’une idéologie pacifique
et autonomiste. En face, vous le savez, et suite au coup d’état raté de juillet
2016, la Turquie s’éloigne à marche forcée à la fois du modèle kémaliste, et de
ses alliés occidentaux.
Conclusion
Au Moyen-Orient, tout est
toujours compliqué et je pense vous l’avoir un peu démontré. Mais il y a aussi
entre le peuple juif et le peuple kurde des affinités historiques qui devraient
l’emporter au final. Les deux ont eu une conscience très ancienne de leur
identité, alors même que leur réveil nationaliste a été somme toute récent. Les
deux ont connu, parmi les autres peuples qu’ils ont côtoyés, à la fois des
périodes de persécution mais aussi de symbiose heureuse : tout le monde
connait ici des figures de la Diaspora qui ont joué un rôle imminent de
serviteurs de l’Etat ; peu d’Arabes, par contre, veulent se souvenir que
l’illustre Saladin, qui reprit Jérusalem aux Croisés et qui a fondé la dynastie
des Ayyoubides au Caire, était un kurde. Mais Juifs et Kurdes, forcés de
compter sur d’autres nations pour leur propres combats politiques, ont été
souvent trahis parce que, à un moment donné, ils ont moins pesé que le poids de
leurs ennemis.
Et au-delà de la géopolitique
et des égoïsmes propres à tous les Etats, Israël y compris, cette mémoire
historique à la fois riche et douloureuse devrait rapprocher encore plus les
deux peuples.
Jean Corcos