Introduction :
Ci-dessous la première partie de ma conférence donnée à Saint-Mandé le 8 janvier 2018, dans le cadre de la soirée de solidarité judéo-kurde évoquée au 1/4.
J.C
Première partie :
l’histoire millénaire des relations entre Juifs et Kurdes
Au moment de l’indépendance de
l’Etat d’Israël - qui va précéder partout dans le monde musulman le départ,
forcé ou volontaire, de pratiquement tous les Juifs -, on estime leur nombre à
environ 25.000 dans le Kurdistan irakien. Ce sont de loin les plus nombreux par
rapport aux autres territoires peuplés de Kurdes, puisqu’on y dénombre 146
communautés, vivant dans des villes ou des petits villages, contre seulement
une vingtaine en Iran ; seulement 150 juifs vivaient en Syrie, dans la
localité kurde de Qamichli à la frontière turque ; et très peu dans les
zones kurdes de la Turquie.
Mais quelle était l’origine de
ces communautés ? Comme dans tous les pays de la Diaspora, il est impossible
de définir une histoire linéaire. Il y a bien sûr les descendants des exilés,
et pour l’Irak on sait qu’ils ont été déportés suite à la conquête assyrienne
du Royaume d’Israël. Dans le deuxième livre des Rois, il y a un passage qui
dit : « le Roi d’Assyrie prit Samarie ; et amena Israël captif
en Assyrie ; il leur assigna pour séjour Hala, les rives du Habor, fleuve
de Gosan et les villes des Mèdes ». Elément indiscutable, la tradition
orale des Juifs du Kurdistan irakien les fait descendre de ce premier exil. Cette
tradition situe dans cette région les tombeaux de Prophètes bibliques, Nahum,
Daniel et Jonas. Mais il y a eu aussi, comme ailleurs, des mélanges de
population. C’est ainsi que dans un petit royaume dont la capitale était Erbil
– siège actuel du gouvernement autonome du Kurdistan – la maison royale et beaucoup
de sujets se sont convertis au Judaïsme au 1er siècle après J.C. Il
y a eu aussi en sens inverse beaucoup de conversions au christianisme. Au Moyen-Orient
comme en Europe, les Juifs ont parfois dû fuir : or les montagnes du
Kurdistan ont toujours servi de refuge, on l’a vu il y a deux ans quand des
dizaines de milliers de Yézidis ont fui les troupes du Daech ; et ainsi,
beaucoup de Juifs vivant dans les régions conquises par les Croisés sont venus
se réfugier au Kurdistan irakien.
Alors comment
vivaient-ils ? On a les témoignages de voyageurs juifs, Benjamin de Tudèle
au 12ème siècle, et Petachiah de Ratisbonne au 13ème
siècle. Ils décrivent des communautés prospères, et jouissant même d’une forme
d’autonomie à Mossoul. Ensuite, il va y avoir une période moins brillante
pendant deux siècles avec les invasions mongoles, jusqu’à ce que toute cette
région passe sous contrôle ottoman, ce qui a apporté une forme de stabilité. Un
autre voyageur juif, Zekariah al-Zahiri, a rapporté l’existence de communautés qui
avaient une vie religieuse très intense, avec des Yeshivot, et une dynastie de
Rabbins dont le nom était Barzani. Ces Juifs kurdes étaient commerçants ou
artisans, mais aussi paysans ou éleveurs dans les villages. Dans l’ensemble
correctement traités, ils étaient quand même dans une situation de sujets à
maitre. Les Juifs négociaient leur existence au quotidien avec les chefs tribaux
kurdes, jusqu’à la création de l’Etat irakien par les Anglais. Et là deux
choses vont se passer : les débuts de la rébellion kurde dans les années
30 ; et puis l’hostilité suscitée par le Sionisme, qui va entrainer une
hostilité vis-à-vis des Juifs, et même un pogrom de grande ampleur à Bagdad en
1941. Par ailleurs, l’attachement à la Terre Sainte était très vivace en Irak,
et on sait que c’est une communauté qui a fait une Alya de masse et durable.
Mais ceux qui vivaient en zone
kurde l’ont fait dans des conditions vraiment particulières : d’après les
témoignages de leurs descendants vivant en Israël, « c’est le seul endroit au
monde où les juifs sont sortis dans les rues pour célébrer leur retour après
2.700 ans, tandis que leurs voisins non juifs pleuraient leur départ. ».
Ces communautés kurdes sont ainsi
toutes parties en 1950-1951.
Jean Corcos