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18 avril 2008

Un hommage à Aimé Césaire à l'occasion de la fête de Pessah, lu par le Rabbin Gabriel Farhi



Introduction :
Les communautés juives du monde entier vont célébrer la fête de Pessah à partir de samedi soir ... L’occasion de présenter tous mes vœux aux Juifs du monde entier qui viendront visiter le blog prochainement. Et d’inviter tous les autres - qui hélas, ont souvent des connaissances plus qu’approximatives en matière religieuse - à visiter cette page du site du Consistoire Israélite de Paris. Improprement appeler la « Pâque juive » par référence à la fête chrétienne souvent célébrée à la même période (ce ne sera pas le cas cette année), elle correspond pour moi d’abord à la naissance d’une nation au sortir de l’esclavage, « une sortie d’Égypte » que nous sommes invités à revivre symboliquement à chaque génération, comme si nous venions d’être nous-même libérés. Et qui a inspiré un bien beau billet du Rabbin Gabriel Farhi sur notre antenne, dimanche dernier : il y a quelques jours, nous savions que le grand poète martiniquais était en train de mourir ... il nous a quitté le 17 avril, et ceci rend cet hommage encore plus émouvant.
J.C

Bonjour.
Qu’il me soit permis d’ouvrir ce billet d’humeur sur un extrait d’un poème tiré d’un recueil intitulé « Cahier d’un retour au pays natal ».
"Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouerde coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses
à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot."
Ces paroles sont celles d’un poète français qui se meurt : Aimé Césaire. A 94 ans, celui que l’on appelle le « chantre de la négritude » est hospitalisé dans un état préoccupant à Fort-de-France en Martinique. Aimé Césaire a consacré sa vie littéraire et politique à se battre contre le colonialisme et le racisme. La « négritude » est un concept auquel se rallia Sartre pour lutter contre l’assimilation d’une culture et d’une identité. Juifs, nous ne pouvons que nous sentir proche de cette revendication. A cet égard, l’autre grande plume de cette condition noire, Calixthe Beyala déclara lors d’un entretien pour « Israël Magazine » en septembre 2006 : « Entre Juifs et Noirs, il y a une alliance naturelle. Dans ses diatribes contre l’esclavage et le colonialisme, Aimé Césaire rappelle que les Juifs sont des alliés ».
Je ne pense pas que la cause noire et la cause juive puissent se confondre. Cependant, force est d’admettre que nos deux Peuples ont connu l’esclavage, les tentatives d’assimilation, les persécutions. Frères de souffrances, nous le sommes, frères d’espérances nous devons l’être. Des « alliés » comme le dit Calixthe Beyala en pensant à Aimé Césaire.
C’est précisément la réflexion qui doit être la notre en ces jours qui précèdent la fête de Pessah. En déclarant que « Nous avons été esclaves », nous affirmons que nous ne pouvons nous considérer libres tant qu’un homme demeure esclave. L’abolition de l’esclavage a deux siècles pour la plupart des grandes nations occidentales comme la France, l’Angleterre ou les Etats-Unis. Reste que, nous le savons, l’esclavage moderne existe, sous d’autres formes qu’un esclavage massif. De jeunes et petites mains confectionnent nos vêtements, d’autres travaillent quatorze heures par jour pour des salaires de misère. Etre Juif, c’est se souvenir de notre esclavage en permanence en considérant que notre liberté ne sera entière que lorsque tous les hommes seront affranchis. La fête de Pessah est celle d’une espérance messianique. La voix d’Aimé Césaire demeurera dans les consciences la voix d’un homme épris de liberté et de fraternité.
Je prendrai plaisir à vous retrouver le dimanche 4 mai après les fêtes de Pessah. D’ici-là Shavouah tov, bonne semaine à tous et Pessah Saméah.

Rabbin Gabriel Farhi
Judaïques FM, 94.8 FM