Introduction :
J'évoquais la semaine dernière une des associations qui militent pour le dialogue judéo-musulman, "Les Bâtisseuses de Paix", dont j'espère inviter prochainement les responsables. Voici un article déjà un peu ancien, publié dans le journal "Libération" et qui relate une action très simple pour rapprocher les communautés : passer une journée ensemble, à la découverte du patrimoine culturel de "l'autre" ...
J.C
J.C
C’est une association qui veut empêcher un transfert du conflit du Proche-Orient en France. Il y a quinze jours, les Bâtisseuses de paix sont allées à l’Institut du monde arabe. Dimanche dernier, elles ont affrété un bus à Créteil (Val-de-Marne), emmenant une soixantaine de personnes de tous âges déjeuner dans le quartier juif du Marais, à Paris, puis participer à des ateliers «partage de culture» au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme.
«Vous allez découvrir tout ce qu’il y a de commun aux deux cultures. On va essayer de faire en sorte que vous vous rencontriez», lance Annie-Paule Derczansky, 47 ans, fondatrice de l’association. Après quelques tâtonnements - «le chauffeur vient de Normandie», explique une dame -, on descend du bus. Sarah, 20 ans, musulmane, est d’emblée consensuelle : «On ne pense pas à nos différences quand on est ensemble. Les Arabes, les Juifs, c’est la même chose.» Elle fait tout de même remarquer que dans son établissement de Créteil, les «jeunes Juifs se barrent» du collège pour aller dans le privé ; et aussi, que «quand on entends des gens qui disent "les Juifs c’est comme ça et comme ça", moi, je n’y crois pas. Mais certains peuvent se laisser influencer par eux». Sarah, elle, décide avec qui elle «traîne».
Racisme. Très vite, la rencontre entre les deux communautés est l’occasion de libérer la parole autour des problèmes. Sabine, Juive tunisienne, lance : «A Créteil, il y a beaucoup d’antisémitisme et de racisme, les gens ne se mélangent pas.» Hassinia, arabe, est la «meilleure copine» de Rosie (Juive d’Alger). Elles racontent leur rencontre. Hassinia : «Quand je l’ai connue, elle ne voulait pas me dire qu’elle était juive.» Depuis, elles ont élevé leurs enfants ensemble. Rosie dit qu’elle est là parce qu’elle en a marre de cette «haine». Elle détaille : les pierres lancées à la sortie de la synagogue, son verrou de porte enfoncé «parce qu’on nous accepte pas comme Juifs dans le quartier». Entre Rosie et Hassinia, ça n’a pas toujours été simple. Hassinia : «Avant, je mettais un keffieh palestinien.» Rosie : «Ça, je ne l’acceptais pas.»
Samia, 39 ans, vient d’Algérie. Elle vit en France depuis un an et demi. On lui «avait entré dans la tête que le Juif, c’est pas bien». Là, elle assure : «J’ai un voisin juif, il vaut dix musulmans. Ça se voit, on peut s’entendre.» La discussion s’engage sur le foulard, la tolérance, le respect. Chacun détaille ce que fait l’autre dans sa religion. Eléonora vient de Toulouse, convertie à l’islam après son mariage avec un Égyptien. En emménageant en banlieue parisienne, elle était «ravie d’arriver dans un contexte multiethnique, raconte-t-elle, je ne savais rien de ces tensions». Elle raconte comment une petite fille prénommée Sharon a fait se lever une mère avec ce commentaire : «Ils l’ont appelée Sharon par provocation ?» Ou encore ces familles juives qui ont vendu leur appartement lorsqu’une mosquée a été construite à Créteil. «C’est la peur», commente Marlène, Juive tunisienne.
Racines. Après le repas, c’est la visite du musée. Sabine, la quarantaine, dit avoir bien vu que, finalement, les langues arabe et hébraïque avaient les mêmes racines. Avec ses voisines de table, Samira a échangé des idées autour «des plats qu’on fait». Sarah explique ne pas savoir si elle aurait pris «seule» l’initiative de visiter le musée. Roger, Juif tunisien, entonne avec Hayet une chanson arabe de bienvenue qui porte sur l’hospitalité et qui dit, en substance : «Mon voisin, c’est mon voisin, je suis l’ami de tout le monde.»
Didier Arnaud
© Libération, 6 février 2008