Romina Ashrafi
Le 21 mai dernier, Romina Ashrafi, jeune fille de 14
ans, était décapitée par son père après s’être enfuie avec son petit ami de 35
ans. Un crime d’honneur qui a choqué les Iraniens et qui témoigne de l’échec de
la justice à protéger les adolescentes.
« Au diable cet honneur à la Daech ! »,
s’indigne le dessinateur iranien
Madhdi Ahmadian suite au meurtre de Romina Ashrafi par son père
le 21 mai 2020. Depuis plusieurs jours, de nombreux Iraniens affichent sur les
réseaux sociaux la photo de la jeune fille de 14 ans pour dénoncer des pratiques
traditionnelles qui choquent une partie de la population : « Le
droit de protéger son honneur…mais l’honneur c’est quoi ? Pourquoi ce
lamentable concept iranien a autant d’importance qu’on en vient à sacrifier son
enfant ? », s’interroge ainsi Mahdi Ahmadian sur Instagram. « Dans
quel monde vit-on ? La mort de Romina a brisé le cœur de tous
les Iraniens musulmans. […] Il faut empêcher la répétition de ces actes »,
écrit un internaute sur Twitter.
Décapitée pendant son sommeil
Originaire de la province de Gilan, au nord de l’Iran,
Romina Ashrafi s’est enfuie avec son petit ami, âgé de 35 ans, suite au refus
de son père d’accepter leur union. La mère de la victime s’est exprimée
sur l’agence iranienne Young Journalist Club : « Je ne sais pas si
elle a nous a donné des somnifères, mais elle nous a servi le thé, son père
s’est rapidement endormi, nous nous sommes couchés plus tard. À 3h du
matin, quand je me suis réveillée, Romina n’était pas là, son père l’a appelée,
on l’a cherchée, on a pensé qu’elle s’était tuée. Elle avait écrit une lettre
où elle disait à son père : "Toi qui voulait me tuer, considère que
je suis morte" », explique-t-elle, des larmes dans la voix.
Romina a finalement été interpellée par la police
iranienne après plusieurs jours. Elle a été reconduite chez son père alors
qu’elle affirmait que sa vie était en danger : « Son père ne lui
laissait pas de liberté, il ne la laissait pas sortir où elle voulait, il ne la
laissait pas s’habiller comme elle voulait… Je crois qu’elle a fui parce
qu’elle avait peur de lui », explique la mère de Romina. Le soir même, le père a décapité sa fille avec une
faucille, pendant son sommeil.
« Romina était une enfant, elle était donc
vulnérable. La loi a failli à la protéger », regrette Tara Sepehri
Far, chercheuse pour Human Rights Watch, spécialiste de l’Iran. Pour elle,
seules des mesures de prévention importantes permettraient d’éviter ce genre
de drame : « Il y a, par exemple, un nombre limité de refuges pour
femmes et je ne crois même pas qu’ils y acceptent les jeunes filles. Il
faudrait aussi former les forces de l’ordre à être plus vigilantes sur ces cas »,
explique la chercheuse.
Violences faites aux femmes, mariages précoces
« Ce n’est pas le premier cas de crime
d’honneur en Iran. On compte une trentaine de cas ces 18 dernières années. Ce
sont des cas qui ne sont pas médiatisés, car cela se passe dans des milieux
plus marginalisés et pas forcément par le père », explique Tara
Sepehri Far. Le nom de Romina vient donc s’ajouter à une liste déjà bien
trop longue de femmes victimes de violences domestiques, dont Hajereh
Hosseinbar, jeune femme de 20 ans, morte sous les coups de son mari le 13 mai
ou encore Zebideh, 40 ans immolée par son mari également cette
année. « Je voulais juste dire que Romina, Hajereh et toutes
celles dont on entend parler aux informations sont plus nombreuses qu’on ne le
pense. Beaucoup d’entre elles ne sont pas tuées physiquement mais sont
détruites mentalement », écrit une internaute.
Les Iraniens dénoncent également le manque d’impunité.
En effet, le petit ami de Romina, beaucoup plus âgé qu’elle, pouvait très bien
la manipuler mais il n’a pas été gardé en détention. « Il faut
savoir que si le père avait accepté, le mariage aurait été tout à fait légal,
selon la loi », explique Tara Sepehri Far. En effet, en République
islamique, l’âge légal du mariage est de 13 ans pour les femmes et de 15 pour
les hommes. La femme doit avoir l’accord de son tuteur légal pour valider le
mariage. Tara Sepehri Far estime que le problème est structurel et qu’il
faut une volonté politique pour provoquer un changement, mais « les
conservateurs ont plutôt tendance à dire que cela ne serait pas arrivé si
on rendait les conditions du mariage moins difficiles »,
regrette-t-elle.
De 3 à 10 ans de prison, selon la décision du juge
Suite au meurtre de sa fille, le père de
Romina se serait rendu à la police avec l’arme du crime. Kazem Razmi,
gouverneur du district de Hovigh où vivait la famille, a affirmé à l’agence de presse iranienne
qu’il était toujours en prison et qu’une enquête était ouverte. Massoumeh
Ebtekar, vice-présidente chargée des femmes et des affaires familiales a
également twitté sur l’urgence à
approuver le projet de loi pour la sécurité des femmes. Mais celle-ci est loin
d’être validée en raison des réticences de certaines instances du
régime. « L’objectif premier de cette loi est de définir la
violence contre les femmes », affirme Tara Sepehri Far.
En attendant, le père de Romina échappera à la peine
de mort, car la loi du talion, c’est-à-dire la réciprocité du crime et de la
peine, ne s’applique pas lorsqu’un père tue ses enfants. Selon l’avocat Hamid Reza Goudarzi,
il encourt entre 3 et 10 ans de prison. « Comme la flèche qui indique
le nord sur toutes les boussoles, le doigt de la vengeance se dirige toujours
vers une femme », regrette sur Twitter un Iranien.
Sara Saidi
RFI, le 28 mai 2020