Sa réputation était déjà écornée par
plusieurs scandales. La crise du Covid va contraindre l'ONG à mettre en place
un plan de licenciements.
L'annonce a fait l'effet d'une bombe dans le monde des
organisations non gouvernementales : Oxfam
se retire de dix-huit pays d'opérations et licencie un tiers du personnel
de son siège international, soit 1 450 personnes. La célèbre organisation
de développement britannique arrête notamment ses interventions dans les
nations parmi les plus pauvres de la planète, à l'instar d'Haïti,
de l'Afghanistan
du Sri
Lanka et du Soudan.
Fondée en 1942 à Oxford, Oxfam est la plus
réputée des ONG britanniques aux côtés de Save the Children, du World Wild Fund
et d'Amnesty International.
Le manque à gagner des magasins
fermés
Présente dans 90 pays, cette confédération
d'une vingtaine d'associations nationales et de 3 500 organisations
partenaires s'est imposée par son savoir-faire sur le terrain (adduction
d'eau, aide alimentaire, toilettes, tentes…) dans les situations d'urgence
de guerre, de catastrophes et de famine comme dans des programmes à long terme
tels que la lutte contre la pauvreté ou l'évasion fiscale des multinationales,
ou encore la protection des femmes et des filles dans le
tiers-monde. Oxfam est financée par les bailleurs publics, les dons et les
revenus commerciaux de ses 1 200 magasins de seconde main dans huit pays.
« Le coronavirus a rendu notre aide aux plus
vulnérables plus urgente, mais en même temps a impacté négativement sur notre
capacité à d'action » : Oxfam affirme avoir pris ces mesures
radicales à la suite de la pandémie qui a mis à mal sa trésorerie.
Les magasins, qui constituent un cinquième des
revenus, ont été fermés. Si le personnel à plein temps a pu profiter du
chômage technique, les volontaires (50 000) ont été confinés. Par
ailleurs, les subventions gouvernementales tout comme les fonds privés ont
dramatiquement diminué en raison des effets du virus dans les pays
donateurs. Le manque à gagner est estimé à 5 millions de livres
(5,6 millions d'euros) par mois. Enfin, le gouvernement britannique a
refusé de venir en aide au secteur associatif, pris à la gorge par l'arrêt des
manifestations sportives et culturelles, qui lui permettaient de remplir ses
caisses.
Si les mesures annoncées parent au plus pressé, en
réalité Oxfam subit le contrecoup des nombreux scandales qui ont
durablement éclaboussé la réputation de l'ONG.
L'enseigne verte ne s'est jamais remise des
accusations d'abus sexuels commis par son staff en Haïti après le tremblement
de terre de 2010. « Une complaisance frôlant la complicité », a
estimé la commission de l'aide au développement de la Chambre des communes
en 2019 à propos de la direction, qui a fermé les yeux sur les
agissements de cadres incriminés qui avaient eu recours à des prostituées, dont
certaines mineures. Le directeur général d'Oxfam, Mark Goldring, a été
contraint à la démission pour avoir couvert le scandale. En réaction à
cette affaire hautement médiatisée, de nombreuses célébrités, dont l'archevêque
sud-africain et Prix Nobel de la paix Desmond Tutu, ont démissionné de
leur poste d'ambassadeur d'Oxfam. Les dons privés ont chuté dramatiquement.
Par ailleurs, la stratégie d'Oxfam d'accaparer la une
des médias en publiant des études aux thèmes accrocheurs a fortement
déconsidéré l'organisation. « La moitié de la population mondiale vit avec
moins de 5 dollars par jour », « les vingt-six plus riches
détiennent autant d'argent que la moitié de l'humanité », « les
banques spéculent sur la faim », etc. Les rapports aux titres
incendiaires destinés à faire la une des médias cachent trop souvent un manque
de rigueur intellectuelle et scientifique et une mauvaise maîtrise des données
et de l'investigation financière sous couvert de bonnes intentions.
Enfin, Oxfam paie le prix de son hostilité ouverte à
Israël, de son soutien implicite au boycott et de la virulente rhétorique
antisioniste voire judéophobe de certains de ses activistes. Les
donations privées aux États-Unis et au Canada ont souffert de cette
vulgate qui confond volontiers la critique de la politique du gouvernement
israélien dans les territoires occupés et l'antisémitisme. La comédienne
Scarlett Johansson a été privée de son titre d'« ambassadrice », car
la promotion par l'actrice américaine d'une société israélienne de soda a été
jugée incompatible avec son rôle d'émissaire mondiale. Au cœur du système Oxfam
d'utilisation des célébrités du show-business pour promouvoir sa cause,
Hollywood a peu apprécié cette excommunication.
Pour couronner le tout, le 24 mars, Oxfam a dû
présenter ses excuses à l'ambassadeur d'Israël à Londres pour avoir mis sur son
site de vente en ligne plusieurs copies du « Protocole des sages de
Sion », l'un des faux antisémites les plus célèbres, datant de l'époque
des pogroms tsaristes. Les ouvrages ont été retirés de la vente.
Marc Roche,
Le Point, 9 juin 2020