L’oncle du président de la Syrie a reçu une peine de
quatre ans de prison pour blanchiment et a vu ses biens confisqués.
Le président
syrien Hafez Al-Assad (à droite, disparu en 2000) et son frère Rifaat,
à Damas,
en janvier 1984
C’est peut-être la fin de l’étrange impunité dont
jouissait en France Rifaat Al-Assad, l’oncle du président Bachar Al-Assad et
ex-bourreau de l’opposition syrienne, qui coulait depuis une trentaine d’années
des jours tranquilles, entre son hôtel particulier de la très huppée avenue
Foch, à Paris, et ses propriétés de la Costa del Sol et des bords de la Tamise.
Le frère cadet de Hafez Al-Assad, fondateur du régime baassiste, a été condamné
mercredi 17 juin à quatre ans de prison, pour s’être constitué dans l’Hexagone,
avec l’argent des contribuables syriens, un empire immobilier d’une valeur de
90 millions d’euros.
Le tribunal correctionnel de Paris, qui a sanctionné « des
faits d’une exceptionnelle gravité », a ordonné la confiscation de ces
« biens mal acquis » sans toutefois délivrer de mandat d’arrêt contre
l’octogénaire, absent du procès pour raisons médicales. Ses avocats, qui ont
dénoncé « un procès à caractère politique », « sans la
moindre preuve de flux financiers illicites », ont annoncé leur
intention de faire appel. Compte tenu de son âge et de sa santé fragile, il est
peu probable que Rifaat Al-Assad aille un jour en prison.
Basses œuvres
Le chef des Brigades de défense, une formation
paramilitaire en charge des basses œuvres du régime syrien, est accusé d’avoir
orchestré en 1982 la sanglante reconquête de Hama, alors épicentre d’une
insurrection antigouvernementale, dirigée par les Frères musulmans. De cette
opération, qui a causé des milliers de morts, en majorité civils, et conduit à
la destruction d’une partie du centre historique de la ville, il a gardé un
surnom : le « boucher de Hama ». Deux ans plus tôt, en représailles à
une tentative d’assassinat raté de Hafez Al-Assad, il avait envoyé ses sbires
massacrer des centaines de détenus, dans la prison de Palmyre.
En 1984, la relation entre les deux frères vire à
l’aigre. Profitant d’une hospitalisation du président, l’ambitieux Rifaat
ordonne aux Brigades de défense de se déployer dans Damas. Mais le coup d’Etat
est déjoué et le benjamin de la famille Assad, évincé de l’armée, est obligé de
s’exiler. Il s’établit d’abord en Suisse, puis en France, avec une suite de
200 fidèles. Lui qui ne disposait d’aucune fortune personnelle, commence à
se bâtir un immense patrimoine, principalement en Espagne, mais aussi au
Royaume-Uni et en France où il acquiert, outre sa demeure de l’avenue Foch, des
dizaines d’appartements de standing dans les beaux quartiers parisiens et un
domaine de 45 hectares dans le Val-d’Oise.
Blanchiment aggravé
L’ex-cacique du régime Assad, décoré de la Légion
d’honneur par François Mitterrand pour « services rendus à la
nation », se croit au-dessus de tout soupçon. D’autant qu’après
l’accession de Bachar Al-Assad à la présidence, en 2000, qui s’est
accompagnée de la destruction de ses derniers réseaux en Syrie, il se convertit
en opposant à Damas. Mais en 2013, deux associations anticorruption,
Sherpa et Transparency International, déposent plainte contre lui pour
détournement de fonds publics et blanchiment aggravé en bande organisée.
Leurs arguments ont été entendus par la justice. Sur
la base des notes d’un banquier suisse, des budgets syriens de l’époque et du
témoignage d’un adversaire politique, la présidente du tribunal a jugé que
l’exil doré de Rifaat Al-Assad a été payé par l’Etat syrien. Ses avocats
arguent du contraire, en affirmant que la fortune de leur client provient de
donations du prince héritier puis roi saoudien Abdallah. « Il n’y a pas
au dossier un centime de fonds provenant de Syrie », ont-ils soutenu,
en produisant notamment un chèque de 10 millions de dollars signé
d’Abdallah en 1984 et la preuve de trois virements entre 2008 et 2010.
Rifaat Al-Assad est aussi poursuivi Espagne, pour des soupçons encore plus
vastes de « biens mal acquis », ainsi qu’en Suisse, pour crimes de
guerre.
Nouvelles
sanctions pour Damas
Les Etats-Unis ont imposé, mercredi 17 juin, de
nouvelles sanctions contre 39 individus et entités associés au régime syrien.
Ces annonces ont été faites dans le cadre de la loi César, une nouvelle
législation qui durcit les entraves au commerce avec la Syrie, ainsi que dans
le cadre de précédentes mesures anti-Damas. Parmi les personnalités visées
figurent de nombreux noms qui étaient déjà sous sanctions, comme le président
Bachar Al-Assad et l’entrepreneur Mohammed Hamcho, homme de paille de Maher
Al-Assad, frère du chef de l’Etat. L’épouse de ce dernier, Asma Al-Assad,
présentée par le département d’Etat comme « l’une des plus célèbres
profiteuses de guerre », se retrouve pour la première fois
sanctionnée.
Benjamin Barthes (correspondant à Beyrouth)
Le Monde, 18 juin 2020