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14 juin 2020

« Les Etats-Unis sont entrés dans une spirale d’événements hors de contrôle »


                Pete Buttigieg (à gauche) et son directeur de campagne Mike Schmuhl

Pour Mike Schmuhl, l’ex-directeur de campagne de Pete Buttigieg, ancien candidat à l’investiture démocrate, les Américains sont en train de découvrir la vraie nature de Donald Trump

Après avoir évoqué, lundi, l’idée de recourir à l’armée face aux manifestations, Donald Trump a fait machine-arrière mercredi, après le refus de l’actuel chef du Pentagone, Mark Esper. Le même jour, l’ancien secrétaire américain à la Défense Jim Mattis, qui a démissionné fin 2018 de ses fonctions au sein de l’administration Trump, a accusé le président américain de tenter de diviser les Etats-Unis et a dénoncé la militarisation de la réponse à la contestation dans le pays.
Ancien élève de PSIA, l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po Paris, Mike Schmuhl a dirigé la campagne du candidat à l’investiture Pete Buttigieg lors des primaires démocrates.

Comment voyez-vous la situation politique et sociale aux Etats-Unis marquée par des manifestations contre les violences policières, la pandémie et l’attitude de Donald Trump ?

C’est un incroyable enchaînement ! Nous n’avons jamais connu dans notre histoire une pandémie, une grande dépression et des manifestations pour les droits civiques en même temps. La pression et l’échelle des événements sont spectaculaires quand on voit que le mouvement de protestation a gagné plus de 140 villes du pays et que 21 Etats ont dû faire appel à leurs gardes nationales pour rétablir l’ordre. Et c’est sans parler du choc sanitaire et économique provoqué toutes ces dernières semaines par l’épidémie du coronavirus qui a frappé les Etats-Unis comme nombre d’autres pays. C’est une situation vraiment irréelle. Il y a de la tension dans l’air à travers tout le territoire.

Vous ne pensez pas que ces événements puissent profiter à un Donald Trump prompt à jouer la carte de la loi et de l’ordre ?

Il est notre commandeur en chef, mais aussi notre provocateur en chef. C’est sa marque de fabrique, c’est comme cela qu’il agit. Mais ce qui est aussi frappant, c’est que, depuis le début, nous sommes entrés dans une spirale d’événements hors de contrôle. La réponse et la communication autour de la pandémie du coronavirus n’ont pas été coordonnées alors que nous comptons cinquante Etats sans compter les territoires et districts. Les gens ont été laissés sans direction. Les gouverneurs et les maires ont été livrés à eux-mêmes, d’où un patchwork de réponses face à la situation. Aujourd’hui, la situation économique est terrible avec plus de 40 millions de personnes inscrites au chômage en quelques semaines. C’est un chiffre jamais vu ! Ce n’est pas le Congrès actuel avec les républicains majoritaires au Sénat qui va agir et mener les réformes nécessaires. La pression va donc continuer à monter. Et Donald Trump, qui cherche en permanence à être le centre d’attention et la star du spectacle, tente de reprendre la main ces derniers jours en se mettant en scène. Je pense à cette incroyable séquence où il traverse Lafayette Square pour se rendre de la Maison Blanche à l’église St-John à Washington en vue d’une séance photo après que la police a dégagé les manifestants installés là.

C’est fait pour mobiliser sa base électorale...

Oui, il y a encore une bonne partie des Américains qui sont derrière lui quoi qu’il fasse. Ils sont très loyaux à l’égard de Donald Trump. Mais je dirai qu’il a franchi une ligne pour beaucoup de gens en brandissant une Bible devant l’église St-John pour les besoins d’une photo. Cela a provoqué des critiques jusque dans les rangs de ses amis évangéliques, parmi ses plus forts soutiens, et même au sein du parti républicain à l’image du sénateur Ben Sasse du Nebraska qui a dénoncé l’utilisation de « la parole de Dieu » pour une opération politique. Sa menace de faire appel à l’armée est aussi du jamais vu à cette échelle dans l’histoire de notre pays. Il est prêt à franchir de plus en plus de lignes. Je pense qu’un nombre grandissant de gens va découvrir le personnage qu’il est réellement. La crise a révélé le pire de son caractère. Avec lui, ce n’est pas « après moi le déluge » mais « avec moi le déluge » !
« Je pense que de plus en plus d’Américains vont se rendre compte que la situation actuelle est intenable et qu’ils vont confier à Joe Biden la direction du pays »

Dans ce contexte quelle attitude doit adopter Joe Biden, resté très en retrait ces dernières semaines ?

Il est vu comme un leader montrant de l’empathie et c’est le responsable démocrate disposant de la plus grande expérience pour affronter les énormes défis auxquels les Etats-Unis doivent faire face. Joe Biden est le mieux armé pour trouver des réponses adaptées à la crise actuelle, pour réformer la police, s’attaquer au racisme et permettre aux gens de retrouver du travail. C’est-à-dire pour mettre en place tout un paquet de mesures pour rétablir la situation. Il a l’expérience gouvernementale pour cela, ce dont ne dispose pas Donald Trump qui est seulement intéressé par le pouvoir. Je pense que de plus en plus d’Américains vont voir la différence, se rendre compte que la situation actuelle est intenable et qu’ils vont confier à Joe Biden la direction du pays.

Ne pensez-vous pas qu’il doit se montrer un peu plus présent sur la scène politique et sortir de son confinement chez lui dans le Delaware ?

Il a commencé à se manifester et il va le faire de plus en plus. Il a participé à une cérémonie publique lors de Memorial Day et sa campagne prévoit d’autres sorties de ce type. Et je suis confiant sur le fait que les médias vont s’intéresser de plus en plus à ses activités et à ses idées dans cette période de forte tension. La campagne va monter en puissance durant l’été.

Doit-il accélérer le choix du numéro deux pour son ticket présidentiel ?
Il y a beaucoup de pressions et de bruits autour de son choix d’une personne de couleur, en particulier africaine-américaine. On en parle beaucoup.

Qu’en est-il de Pete Buttigieg ? On parle de lui comme d’un futur membre de l’équipe de Joe Biden ?

Il a quitté la course à l’investiture démocrate début mars et s’est rallié à la candidature de Joe Biden. Il est passé de déplacements quotidiens, de ville en ville, à un arrêt total et au confinement chez lui. Cela a demandé certains ajustements. Il fait ce qu’il peut pour aider la candidature de Joe Biden en participant à des événements de levée de fonds et à des interviews en visioconférence. Si les déplacements sont autorisés dans le pays, il pourrait mener une campagne de terrain plus active dans le Midwest à l’instar des autres responsables de premier rang du parti démocrate, dont les anciens candidats aux primaires comme Elizabeth Warren, Bernie Sanders, Cory Booker, Amy Klobuchar etc. Concernant le rôle futur de Pete, il est vrai que Joe Biden a dit des choses très positives sur lui et a évoqué l’idée de l’incorporer dans son équipe. C’est à lui de dire si cela l’intéresse, mais il paraît difficile de refuser d’aider à rebâtir le pays après Donald Trump.

Gille Sengès
L’Opinion, 4 juin 2020