Pete
Buttigieg (à gauche) et son directeur de campagne Mike Schmuhl
Pour Mike Schmuhl, l’ex-directeur de
campagne de Pete Buttigieg, ancien candidat à l’investiture démocrate, les
Américains sont en train de découvrir la vraie nature de Donald Trump
Après avoir évoqué, lundi, l’idée de recourir à
l’armée face aux manifestations, Donald Trump a fait machine-arrière mercredi,
après le refus de l’actuel chef du Pentagone, Mark Esper. Le même jour,
l’ancien secrétaire américain à la Défense Jim Mattis, qui a démissionné fin
2018 de ses fonctions au sein de l’administration Trump, a accusé le président
américain de tenter de diviser les Etats-Unis et a dénoncé la militarisation de
la réponse à la contestation dans le pays.
Ancien élève de PSIA, l’Ecole des affaires
internationales de Sciences Po Paris, Mike Schmuhl a dirigé la campagne du
candidat à l’investiture Pete Buttigieg lors des primaires démocrates.
Comment voyez-vous la situation politique et sociale
aux Etats-Unis marquée par des manifestations contre les violences policières, la pandémie et l’attitude
de Donald Trump ?
C’est un incroyable enchaînement ! Nous n’avons jamais
connu dans notre histoire une pandémie, une grande dépression et des
manifestations pour les droits civiques en même temps. La pression et l’échelle
des événements sont spectaculaires quand on voit que le mouvement de
protestation a gagné plus de 140 villes du pays et que 21 Etats ont dû faire
appel à leurs gardes nationales pour rétablir l’ordre. Et c’est sans parler du
choc sanitaire et économique provoqué toutes ces dernières semaines par
l’épidémie du coronavirus qui a frappé les Etats-Unis comme nombre d’autres pays. C’est une
situation vraiment irréelle. Il y a de la tension dans l’air à
travers tout le territoire.
Vous ne pensez pas que ces événements puissent
profiter à un Donald Trump prompt à jouer la carte
de la loi et de l’ordre ?
Il est notre commandeur en chef, mais aussi notre
provocateur en chef. C’est sa marque de fabrique, c’est comme cela qu’il agit.
Mais ce qui est aussi frappant, c’est que, depuis le début, nous sommes entrés
dans une spirale d’événements hors de contrôle. La réponse et la communication
autour de la pandémie du coronavirus n’ont pas été coordonnées alors que nous
comptons cinquante Etats sans compter les territoires et districts. Les gens
ont été laissés sans direction. Les gouverneurs et les maires ont été livrés à
eux-mêmes, d’où un patchwork de réponses face à la situation. Aujourd’hui, la
situation économique est terrible avec plus de 40 millions de personnes
inscrites au chômage en quelques semaines. C’est un chiffre jamais vu ! Ce
n’est pas le Congrès actuel avec les républicains majoritaires au Sénat qui va
agir et mener les réformes nécessaires. La pression va donc continuer à monter.
Et Donald Trump, qui cherche en permanence à être le
centre d’attention et la star du spectacle, tente de reprendre la main ces
derniers jours en se mettant en scène. Je pense à cette incroyable séquence où
il traverse Lafayette Square pour se rendre de la Maison Blanche à l’église
St-John à Washington en vue d’une séance photo après que la police a dégagé les
manifestants installés là.
C’est fait pour mobiliser sa base électorale...
Oui, il y a encore une bonne partie des Américains qui
sont derrière lui quoi qu’il fasse. Ils sont très loyaux à l’égard de Donald
Trump. Mais je dirai qu’il a franchi une ligne pour beaucoup de gens en
brandissant une Bible devant l’église St-John pour les besoins d’une photo.
Cela a provoqué des critiques jusque dans les rangs de ses amis évangéliques,
parmi ses plus forts soutiens, et même au sein du parti républicain à l’image
du sénateur Ben Sasse du Nebraska qui a dénoncé l’utilisation de « la parole de
Dieu » pour une opération politique. Sa menace de faire appel à l’armée est
aussi du jamais vu à cette échelle dans l’histoire de notre pays. Il est prêt à
franchir de plus en plus de lignes. Je pense qu’un nombre grandissant de gens
va découvrir le personnage qu’il est réellement. La crise a révélé le pire de
son caractère. Avec lui, ce n’est pas « après moi le déluge » mais « avec moi
le déluge » !
« Je pense que de plus en plus d’Américains vont se
rendre compte que la situation actuelle est intenable et qu’ils vont confier à
Joe Biden la direction du pays »
Dans ce contexte quelle attitude doit adopter Joe Biden, resté très en retrait ces dernières
semaines ?
Il est vu comme un leader montrant de l’empathie et
c’est le responsable démocrate disposant de la plus grande expérience pour
affronter les énormes défis auxquels les Etats-Unis doivent faire face. Joe
Biden est le mieux armé pour trouver des réponses adaptées à la crise actuelle,
pour réformer la police, s’attaquer au racisme et permettre aux gens de
retrouver du travail. C’est-à-dire pour mettre en place tout un paquet de
mesures pour rétablir la situation. Il a l’expérience gouvernementale pour
cela, ce dont ne dispose pas Donald Trump qui est seulement intéressé par le
pouvoir. Je pense que de plus en plus d’Américains vont voir la différence, se
rendre compte que la situation actuelle est intenable et qu’ils vont confier à
Joe Biden la direction du pays.
Ne pensez-vous pas qu’il doit se montrer un peu plus
présent sur la scène politique et sortir de son confinement chez lui dans le
Delaware ?
Il a commencé à se manifester et il va le faire de
plus en plus. Il a participé à une cérémonie publique lors de Memorial Day et
sa campagne prévoit d’autres sorties de ce type. Et je suis confiant sur le
fait que les médias vont s’intéresser de plus en plus à ses activités et à ses
idées dans cette période de forte tension. La campagne va monter en puissance
durant l’été.
Doit-il accélérer le choix du numéro deux pour son
ticket présidentiel ?
Il y a beaucoup de pressions et de bruits autour de
son choix d’une personne de couleur, en particulier africaine-américaine. On en
parle beaucoup.
Qu’en est-il de Pete Buttigieg ? On parle de lui comme d’un futur
membre de l’équipe de Joe Biden ?
Il a quitté la course à l’investiture démocrate début
mars et s’est rallié à la candidature de Joe Biden. Il est passé de
déplacements quotidiens, de ville en ville, à un arrêt total et au confinement
chez lui. Cela a demandé certains ajustements. Il fait ce qu’il peut pour aider
la candidature de Joe Biden en participant à des événements de levée de fonds
et à des interviews en visioconférence. Si les déplacements sont autorisés dans
le pays, il pourrait mener une campagne de terrain plus active dans le Midwest
à l’instar des autres responsables de premier rang du parti démocrate, dont les
anciens candidats aux primaires comme Elizabeth Warren, Bernie Sanders, Cory
Booker, Amy Klobuchar etc. Concernant le rôle futur de Pete, il est vrai que
Joe Biden a dit des choses très positives sur lui et a évoqué l’idée de
l’incorporer dans son équipe. C’est à lui de dire si cela l’intéresse, mais il
paraît difficile de refuser d’aider à rebâtir le pays après Donald Trump.
Gille Sengès
L’Opinion, 4 juin 2020