Désinfection
du mausolée de l’imam Reza dans la ville iranienne de Machhad,
le 27 février
2020
La
population iranienne condamne la gestion calamiteuse de la pandémie par la
République islamique, qui tente d’échapper à ce désaveu en relançant l’escalade
avec les Etats-Unis en Irak.
L’Iran est officiellement, avec 1685 décès et 21.638
cas au 22 mars, le troisième pays le plus touché par le coronavirus, après la
Chine et l’Italie. Mais la réalité est encore plus catastrophique, du fait
du mensonge d’Etat qui a longtemps entouré la pandémie.
La République islamique voulait en effet occulter sa gestion désastreuse de la
crise, quitte à exposer le personnel soignant, voire à le transformer, en
l’absence de toute mesure de protection, en relais majeur de diffusion du
virus. Les ayatollahs au pouvoir s’accrochaient en outre à la fiction d’une
immunité divine accordée aux centres de pèlerinage chiite qui, demeurés ouverts
jusqu’à ces derniers jours, sont devenus de redoutables foyers (clusters) de
contamination. C’est ainsi la légitimité à la fois politique et religieuse du
régime qui est atteinte, peut-être de manière irréversible.
L’aveuglement des fanatiques
L’Iran compte la plus importante population chiite du
monde, mais les villes saintes de Najaf et de Karbala sont situées en Irak,
d’où l’importance accordée par la République islamique aux deux sites de Qom et
de Machhad. Celui-ci, dans l’est du pays, a été construit autour du mausolée de
l’imam Reza, le huitième du rang dans la piété chiite, enterré là en 817. Qom,
situé à 150 kilomètres au sud de Téhéran, même s’il n’abrite que la tombe de
Fatima, la soeur de Reza, est devenu essentiel pour le régime. Il y dispense en
effet son enseignement religieux à plus de 40.000 étudiants, avec une forte
proportion d’étrangers, en concurrence directe des séminaires de Najaf. C’est à
Qom que, le 19 février, les autorités ont reconnu les deux premiers cas de
coronavirus en Iran, annonçant au bout de quelques heures la mort des
contaminés. Mais il est à craindre que l’épidémie ait touché bien plus tôt la
ville, où résident 700 séminaristes chinois, sans compter les 2,5 millions de
touristes accueillis chaque année, dont de nombreux Chinois (10% de la
vingtaine de millions de Musulmans chinois sont chiites).
La propagande du régime a longtemps attribué le coronavirus à un « complot de l’ennemi »
américain et israélien, complot dont l’aura surnaturelle de Reza et de Fatima
protégerait la République islamique. Alors que l’Arabie saoudite suspendait
sine die les pèlerinages à La Mecque et à Médine, l’Iran se contentait, le 27
février, d’une désinfection très médiatisée du site de Machhad (photo ci-dessus).
Seule l’augmentation exponentielle du nombre des victimes reconnues a poussé
les autorités, d’abord à anticiper de deux semaines les congés du Nouvel an
iranien, le 5 mars, ensuite à fermer les sites de Qom et de Machhad, le 16
mars. Cette décision a été le soir même combattue par des manifestants fanatisés qui ont forcé l’accès
aux sites pour s’y rassembler, et même embrasser les mausolées.
Le trou noir iranien
Jamais le fossé n’a été aussi béant entre le régime,
porté à la surenchère par ses propres extrémistes, d’une part, et la population
scandalisée par la faillite de ses gouvernants, d’autre part. Un tel désaveu
populaire s’inscrit dans le fil de la sanglante répression des protestations de
novembre dernier, puis de la destruction, en janvier par les Gardiens de la
révolution, d’un avion de ligne ukrainien dont la majorité des passagers
étaient iraniens. La profonde colère, déjà alimentée par ces deux drames,
atteint aujourd’hui des niveaux inégalés face à un régime accusé d’aveuglement
criminel, sur fond de corruption endémique (les sites de Qom et de Machhad
abritent des fondations aux revenus très conséquents pour la nomenklatura
dirigeante). L’ayatollah Khameneï et ses fidèles sont dès lors tentés par la
fuite en avant d’une nouvelle escalade avec les Etats-Unis en Irak, car l’élimination de Soleimani au début de l’année
leur avait permis de restaurer, même temporairement, une spectaculaire unité
nationale.
La République islamique, sortie victorieuse de son précédent cycle de confrontation avec les
Etats-Unis en Irak, a relancé les hostilités le 11 mars. Deux
Américains et un Britannique ont alors été tués dans un tir de roquettes contre
une base du nord de Bagdad. Les raids menés par Washington, en représailles
contre des milices pro-iraniennes, ont fait au moins 6 morts irakiens, dont
trois militaires et deux policiers, relançant les appels à un retrait des
quelque cinq mille militaires américains encore présents dans le pays. Téhéran,
malgré le caractère meurtrier de la frappe du 11 mars, suivie depuis d’autres
tirs sur des cibles américaines, a pourtant échoué à entraîner les Etats-Unis
dans un engrenage durable. Donald Trump, résolu à ne plus s’engager au
Moyen-Orient, a préféré riposter en durcissant les sanctions contre l’Iran. La
propagande de la République islamique a beau marteler que les sanctions
américaines sont la cause principale de la vulnérabilité de l’Iran face au
coronavirus, cette manoeuvre ne suffit plus à apaiser les virulentes critiques
de la population.
Le choc du coronavirus, déjà sévère pour la République
islamique, ne prendra toute sa mesure qu’une fois l’épidémie surmontée. L’heure
de vérité pourrait alors être terrible pour le régime iranien.
Jean-Pierre Filiu
Blog « Un si proche Orient », Le Monde 22
mars 2020