Juif originaire de Libye, dans une Synagogue détruite de Tripoli
Les traces d'une présence juive sur les côtes
méditerranéennes de l'Afrique remonte à la haute Antiquité. Elle précède d'au
moins neuf siècles la conquête arabe et l’islamisation de l'Afrique.
On retrouve les premières traces d'une présence juive
à Carthage (aujourd'hui la banlieue de Tunis), ville fondée par les
Phéniciens au VIIe siècle avant J.-C. Quatre siècles plus tard, cette cité
portuaire florissante devient une rivale de Rome en termes de commerce, de
richesse et de population. Non loin de Carthage, les juifs de Djerba arrivent
au VIe siècle avant J.-C., fuyant la Judée après la destruction du Premier
temple par Nabuchodonosor. C’est en 586 avant J.-C. à Djerba, où quelques
milliers de juifs trouvent refuge, que commence la construction de la plus
vieille synagogue du continent africain (la Ghriba).
Les juifs arrivent à Carthage avec
les Phéniciens... et les Romains
Des mosaïques représentant des chandeliers à 7
branches (symbole du judaïsme) ont également été découvertes dans une villa
(lors de travaux de voirie) à 110 km au sud de Tunis. Selon les archéologues,
ces vestiges constituent une preuve supplémentaire d’une présence juive dans la
région de Cap Bon entre le IVe et le Ve siècle avant J.-C.
Le premier compte-rendu historique évoquant la
présence de juifs dans une région à l’ouest de l’Egypte apparaît dans l’œuvre
de Flavius Josèphe. L'historiographe romain écrit dans La guerre des juifs qu’au
IIIe siècle avant J.-C., 100 000 juifs furent déportés d’Israël en
Egypte. De là, ils se rendirent en Cyrénaïque (est de la Libye actuelle) et
probablement plus à l'Ouest.
Dans ces régions, ils "côtoyèrent" durant
plusieurs siècles les populations berbères, qu’ils ont parfois même judaïsées.
Cette population "judéo-berbère" longera l’Atlas saharien pour
finalement se fractionner et se fixer au Mzab, au Touat, Tafilalet, Dra’ et
Sous (sud algérien et marocain d'aujourd'hui).
A partir du IVe siècle, le christianisme devient
religion de l’empire romain. Il relègue dès lors le judaïsme au nord et au sud
de la Méditerranée. Cependant, des communautés juives subsistent dans
les périphéries de l’empire.
Saint Augustin témoigne de la
présence juive au Maghreb
Tertullien, puis Saint Augustin, témoignent à
plusieurs reprises de la présence juive au Maghreb, dans de grandes discussions
théologiques et liturgiques qui les opposent au judaïsme au sud de la
Méditerranée (mais qui les rapprochent aussi face "aux païens").
Ils évoquent notamment dans leurs écrits "le
prosélytisme juif" (de cette époque) envers les Berbères "qu’ils
judaïsent en masse". Ces judéo-berbères et ces chrétiens opposeront
par la suite une farouche résistance à l'envahisseur arabe. Ibn Khaldoun, le
grand historien arabe du XVe siècle, relate que "lorsque les armées
venues d'Arabie ont pénétré en pays berbère, de nombreuses tribus berbères
étaient influencées par le judaïsme. (...) Une partie des Berbères
pratiquait le judaïsme, religion qu’ils avaient reçue de leur puissants
voisins, les israélites de la Syrie. Parmi les Berbères juifs, on distinguait
les Djeroua, tribu qui habitait l’Aurès et à laquelle appartenait la Kahina,
femme qui fut tuée par les Arabes à l’époque des premières invasions (VIIe
siècle)."
Les tout premiers habitants juifs du Touat et Gourra
(situées à la frontière algéro-marocaine) seraient arrivés plus tard, au IXe
siècle, en provenance de Mésopotamie. La réalisation de foggaras (canalisations
d’eau souterraines qui évitent l’évaporation) au Touat en témoigne, selon les
archéologues. C’est également par la littérature talmudique, que les historiens
peuvent aujourd’hui retracer les différentes communautés juives dispersées
autour de la Méditerranée. Les rabbins sont engagés dans des correspondances et
des discussions juridiques et religieuses qui traversent l’ensemble du
Maghreb.
Les Almohades détruisent le judaïsme
maghrébin
En 1147, les Almohades s’emparent du Maghreb et de
l'Andalousie et sont sans pitié envers ceux qui refusent de se convertir à
l’islam. Ils ne leur laissent le choix qu'entre la conversion à l'islam et
la mort, ce qui, après un siècle de persécutions, entraîne la disparition de
nombre de communautés juives. Les grandes villes comme Kairouan sont alors
interdites aux juifs, qui se réfugient dans les régions isolées.
Le rabbin Abraham Ibn Ezra (1092-1167) originaire de
Cordoue énumère, après une longue traversée de l’Afrique du Nord, l’étendue du
désastre qui frappe les juifs de Kairouan, Sfax, Gabès et Meknès, massacrés
juste avant ceux de Fès et Marrakech. "Avant la destruction de sa
communauté juive par les Almohades vers 1150, Sijilmassa, située dans le
Tafilalet au carrefour des caravanes, était un centre important de la
civilisation juive. (...) Une cité de sages et d’études talmudiques qui
maintenait une correspondance avec les Yéchivas de toute la Méditerranée",
relate le rabbin andalou. Au XIIe siècle, le judaïsme maghrébin manque de
disparaître.
Hassan el-Wazzan, dit Léon l’Africain, de passage dans
le "sud algérien", annonce que l’aventure du petit royaume juif
saharien du Touat a été brutalement interrompue en 1492 par un prédicateur
musulman venu de Tlemcen, scandalisé de voir à Tamentit des "juifs
arrogants" auxquels n’est pas appliqué, comme dans le reste du
Maghreb, le statut (infamant) des dhimmis (minorités du Livre soumises aux
vexations et à la dîme). Ce prédicateur ordonne la destruction des synagogues
de Tamentit et le massacre des juifs, promettant 7 mithqals d’or par tête de
juif assassiné. Les rares rescapés se partageront entre une adhésion à l’islam
et un exode massif à travers le Sahara, tant vers le Nord que vers le Sud…
Certains, chrétiens persécutés compris, se réfugieront en Castille et en
Aragon, en Sicile, d’autres sans doute dans la région de Tombouctou (actuel
Mali).
Le judaïsme revit en Afrique du Nord grâce à l’arrivée
massive des juifs espagnols et portugais, chassés par les persécutions de
l’Inquisition, sur les côtes du Maroc et d’Algérie. Ce
qui reste des communautés juives du Maghreb sera grossi par ces
expulsés d’Espagne et du Portugal, entre les XVe et XVIe siècles. Les familles
portant les noms de Toledano, Cordoba, Berdugo témoignent de ces racines
ibériques.
Les juifs expulsés d'Espagne sauvent
le judaïsme nord-africain
Cette élite érudite d’éducation andalouse finit par
imposer sa suprématie culturelle et économique aux juifs du Maghreb. Parlant
plusieurs langues, ces négociants sont en contact avec les autres ports de la
Méditerranée. Ces juifs espagnols se distinguent parfois des juifs
"indigènes", comme à Tunis, où ils forment une communauté à part. En Tunisie,
on retrouve les familles Lumbroso, Cartoso, Boccara, Valensi venues pour la
plupart de Livourne, en Italie.
Des quartiers juifs séparés existent un peu partout au
Maghreb, notamment au Maroc (mellah). En passant à la fin du XVIe siècle sous
l’administration ottomane de Souleymane le Magnifique, les choses iront alors
un peu mieux pour les juifs du Maghreb.
La colonisation française à partir de 1830 finit de
détacher les juifs de leurs voisins musulmans. La "France des Lumières et
républicaine", plus protectrice que l’islam, libère les juifs de
leur statut inférieur (dhimmis) de servitude. Le décret Crémieux accorde la
nationalité française aux juifs d’Algérie en 1870. Désormais français, ils vont
combattre durant la guerre de 14-18 aux Dardanelles ou au Chemin des dames.
La fin d'une histoire
Beaucoup quittent le Maroc et la Tunisie en 1948 pour
Israël, d'autres préfèrent le Canada ou les Etats-Unis. La plupart des juifs
d'Algérie seront "rapatriés" en France métropolitaine où ils n'ont,
le plus souvent, jamais mis les pieds. Les derniers contingents seront
"chassés" par les indépendances algérienne, marocaine et tunisienne
dans les années 60. Moins de 5000 juifs vivent aujourd’hui au Maroc, en
Algérie et en Tunisie... Ils étaient encore près de 700 000 dans les
années 50.
Ce judaïsme nord-africain a aujourd'hui quasiment
disparu. Il survit encore dans la tête de quelques témoins vivants. Comme le
disait Paul Valery, "nous savons que les civilisations sont
mortelles". La vieille culture juive du monde arabe est sur le point
de s'éteindre définitivement.
Michel
Lachkar,
FrancetvInfos,
9 juin 2019