W, photo tirée de la bande annonce du film
Après Amin
Dada et Jacques Vergès, le réalisateur suisse, toujours à la recherche des
racines du mal, démonte dans “Le Vénérable W” la mécanique haineuse d'Ashin
Wirathu, moine birman leader du parti Ma Ba Tha. Avec l'ambition de faire œuvre
de pédagogie.
Présenté en séance spéciale à Cannes avant sa sortie
en salles le 7 juin 2017, le nouveau documentaire de Barbet Schroeder, Le
Vénérable W, clôt sa trilogie sur le mal, entamée avec Général Idi Amin Dada :
Autoportrait (1974) et L'Avocat de la terreur (2007)
sur Jacques Vergès. Il s'agit cette fois de dresser un portrait du moine birman
Ashin Wirathu, dit W, effrayant leader du parti fasciste Ma Ba Tha qui appelle
au meurtre de la minorité musulmane Rohingya. Rencontre avec Barbet Schroeder,
où l'on constate que la religion bouddhiste comporte, comme les autres, son lot
de fanatiques.
Dans un pays, la Birmanie, où 90% de la population
pratique le bouddhisme, religion fondée sur un mode de vie pacifique, tolérant
et non-violent, de quel mal est atteint le moine W ?
Sa haine envers les musulmans est presque génétique.
Quand je lui ai demandé à quel moment il avait entendu pour la première fois le
mot « kalar », un terme très péjoratif pour désigner les hommes à la
peau noire, il m'a dit « dès l'enfance ». C'est comme si on
demandait à un habitant du Sud des Etats-Unis de dater l'usage du mot
« nigger ». En France aussi, on a longtemps utilisé le mot
« nègre » avant que sa connotation raciste ne l'exclue du
langage courant. Wirathu, comme d'autres bouddhistes, a donc été conditionné
par son éducation au rejet du musulman. Mais d'autres choses sont venues
sédimenter cette haine et je serais évidemment bien incapable d'expliquer
lesquelles. Mon film tente d'apporter des réponses.
L'une de ces réponses pourrait être un traumatisme
d'enfance...
A l'âge de 12 ans, W a été marqué par le viol d'une
jeune fille bouddhiste par des musulmans dans son village. Depuis, l'obsession
du viol des jeunes filles par les musulmans le hante. Au point de guetter
dans la presse les faits divers sordides pour les monter en épingle et
construire sa rhétorique haineuse. C'est même possible qu'il ait inventé des
viols pour galvaniser ses fidèles. Il y a une zone d'ombre que je n'ai pas
réussi à percer. Mais le mécanisme général de ce mal est clair à la fin du
film.
Depuis la fin du montage, que s'est-il passé en
Birmanie, où en est W avec la justice ?
J'aurais pu faire un autre film tant les
événements sont édifiants. W et son parti, le Ma Ba Tha, ne sont toujours pas
interdits malgré les tentatives de le mettre hors d'état de nuire. Aung San Suu
Kyi, qui partage le pouvoir avec la junte militaire depuis 2015, n'y parvient
pas non plus. Et cela ne risque pas de se produire car U Ko Ni, le prestigieux
avocat musulman de Aung San Suu Kyi, qui était en train de concevoir une
stratégie pour modifier la loi constitutionnelle favorable aux militaires, a
été tué le 29 janvier 2017 d’une balle dans la tête à l’aéroport alors qu’il
tenait son petit-fils dans les bras. La photo de son assassin au moment où il
s’apprête à tirer, certainement prise par les commanditaires du meurtre, a été
mise sur Facebook dans l’heure qui a suivi. On a découvert quelques semaines
plus tard que l'entourage de W serait impliqué dans ce meurtre. W a engagé un
procès contre le journaliste qui a levé l'affaire. Tout est obscur, rien n'est
prouvé, mais la situation est explosive.
La propagande de W, qui repose sur des prêches
racistes et des vidéos de meurtres, ressemble à celle de l'Etat Islamique...
L'utilisation de la violence de façon pornographique
participe en effet du même procédé. A la différence que l'Etat islamique montre
ses propres exactions pour effrayer les populations alors que W et ses sbires
ont tourné des reconstitutions de viols avec des acteurs et du faux sang. W est
également très présent sur les réseaux sociaux. Sur sa page Facebook, il a même
félicité le tueur de l'avocat. Ce qui a provoqué un scandale chez les autres
moines bouddhistes qui ont condamné cette apologie du meurtre et pris la
décision d'interdire W de parole pour contenir son pouvoir de nuisance. Il a
néanmoins trouvé une parade : il apparaît désormais face à ses fidèles, un
bâillon sur la bouche, tandis que ses anciens sermons sont diffusés dans des
hauts-parleurs. Aujourd'hui, c'est l'épreuve de force entre W et le
gouvernement.
Envisagez-vous une suite au Vénérable W ?
J'avais pensé
faire une suite d'une demi-heure à mon documentaire sur Amin Dada car il vivait
dans le désert d'Arabie Saoudite avec l'une de ses quatre femmes et vingt-cinq
de ses cinquante enfants dans un camping de luxe payé par le gouvernement.
Concernant W, l'important était déjà de lever ce lièvre car les médias
français ont été moins impliqués que les médias anglo-saxons dans la dénonciation
de ses appels au meurtre. Je n'ai par exemple pas beaucoup lu dans la presse
française que le pape avait récemment pris fait et cause pour les musulmans
Rohingya. Un non-bouddhiste qui s'oppose aux bouddhistes radicaux, c'est
historique.
Jérémie Couston
Télérama, le 21 mai 2017