Depuis les années 80, l’islam est devenu la seconde
religion en France, largement devant le protestantisme et le judaïsme. Fort de
ces quelque cinq à six millions de musulmans, dont deux millions de pratiquants,
ces derniers sont appelés, indéniablement, à peser de plus en plus lourd dans
la balance électorale. Il est néanmoins nécessaire de rappeler d’emblée que
l’existence d’un vote musulman identitaire en France est loin d’être encore
inscrit dans la sociologie politique et électorale française.
Depuis maintenant trois décennies, l’islam en France
n’a eu de cesse de défrayer la chronique : montée des idéologies
extrémistes, développement de l’identitarisme religieux, basculement dans la
radicalisation et usage de la violence, en sont quelques expressions patentes.
Pourtant, ni la question de la place, de l’organisation, encore moins celle du
dialogue entre l’Etat, les collectivités locales avec les représentants du
culte musulman n’auront été traitées au cours de cette campagne présidentielle.
Ainsi, la question de l’islam en France et de France a
été, une fois encore, escamotée des débats. Une question vite évacuée, au
regard de sa grande « sensibilité » et de sa
« complexité », si l’on se réfère aux justifications des principaux
candidats à l’élection présidentielle des 23 avril et 7 mai derniers. Nous ne
pouvons que nous interroger sur les raisons qui ont fait que le débat de
l’entre-deux-tours entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, a à peine efleuré notre
enjeu, contrairement aux attentes des millions de citoyens français, musulmans
et non musulmans confondus.
La reconduite pour la cinquième fois de l’Etat
d’urgence depuis les attentats de novembre 2016, les 239 victimes du terrorisme
islamiste, les nombreuses tentatives d’attentats déjoués en France, pas loin
d’une vingtaine depuis le début de l’année, rendent, pourtant la question du
dialogue « inclusif » avec les représentants du culte musulman, d’une
urgente nécessité.
Or, une question essentielle demeure : comment
compte réagir le nouveau Président de notre République face à ces défis
posés par l’islam dans notre société, au regard de la laïcité, principe
fondateur de notre Constitution, qui sous-tend notre édifice républicain, ainsi
que vis-à-vis de la Loi de 1905, qui garantit la stricte séparation entre
l’Etat et les cultes ?
Ce dernier entend-t-il rompre avec la politique de ses
prédécesseurs ? Notamment Nicolas Sarkozy qui avait contribué à la
création du Conseil français du culte musulman (CFCM) en 2003, ou François
Hollande qui avait émis le souhait, en juin 2015, de créer la Fondation pour
l’Islam de France, dans la foulée de la Fondation des Œuvres de l’islam, créée
en 2005 à l’instigation de l’ancien Premier Ministre, Dominique de Villepin ?
Le nouveau Président de la République, et son ministre
de l’Intérieur, Gérard Collomb, entendent-ils agir « tambours
battants », et ce afin de palier à ce que certains n’hésitent pas à
décrire comme un retard « coupable » de plusieurs décennies,
confirmant un hiatus de plus en plus criant, difficilement vécu, du
reste, par la 3ème et 4ème génération de jeunes d’origine
immigrée, entre une réalité sur le terrain et des principes, qui semblent
insuffisants pour garantir égalité et équité sur ce dossier sensible ? Se
pencheront-ils sur les questions délicates qui départagent l’opinion publique,
notamment celles qui concernent le financement de l’islam ? La formation
de ses imams ? Et de facto ses relations avec des pays étrangers,
qui financent de nombreuses mosquées sur notre territoire, questions
intrinsèquement liées aux deux premières ?
Les musulmans de France ont voté massivement lors du
premier tour. Ces derniers ont accompli leur devoir citoyen, à hauteur de 73%
en accordant leur confiance dans une grande proportion à Jean-Luc Mélenchon,
Emmanuel Macron, Benoit Hamon et François Fillon, et contre toute attente,
quelque uns d’entre-deux, au FN ! Au second, tour, ils ont manifestement
voté Emmanuel Macron.
Ce fut leur façon d’exprimer leur profonde implication
dans la vie politique de notre pays et de manifester leur ferme volonté de se
faire entendre ; eux, que l’on a coutume d’appeler tantôt la « minorité
visible » tantôt la « majorité silencieuse ». Enfants
de la République, ils ont tenu à démontrer leur attachement à elle, en portant,
par cet acte citoyen, haut et fort ses valeurs. Des valeurs en premier lieu
desquelles celles inscrites au fronton de nos édifices publics « Liberté,
Egalité, Fraternité », tout comme la valeur cardinale de notre
République : la laïcité. Car, nous ne rappellerons jamais assez que c’est
grâce à la laïcité que la liberté de croire ou de ne pas croire est garantie
pour tous.
Les différents candidats, dans le cadre du premier
tour de l’élection présidentielle, ont tous proposé des programmes politiques
porteurs de grandes ambitions. Mais lequel d’entre eux a été le plus vertueux
en termes d’engagements concernant la question de l’islam en France et de
France ? Les débats ayant été, inopportunément, peu audibles et peu
loquaces sur le sujet, ils ont rendu cette question du lien entre Islam et
Marianne, pourtant si essentiel à notre vivre ensemble apaisé, davantage
hermétique.
Dans ce contexte, sans doute, la question sémantique
(islamisme, radicalisme islamique, djihadisme, fondamentalisme, salafisme,
wahhabisme, tekfirisme…) y est pour beaucoup dans la constitution de digues
d’incompréhensions au sein de notre société. La simple existence et le
renforcement, hélas, parfois, de ces « obstacles » à une citoyenneté
« réelle » comme l’on à coutume de l’affirmer, confirme peut-être
aussi que la République a pu perdre un peu de ses réflexes d’intégration.
L’insuffisante connaissance du legs culturel et
civilisationnel arabo-musulman dans notre tradition judéo-chrétienne européenne
autant que méditerranéenne, aura aussi été la cause d’interprétations
hasardeuses, sur fond de question migratoire et de menace terroriste qui pèsent
sur notre territoire, sans, bien sûr affirmer un lien entre les deux.
Enfin, s’il fallait chercher une autre raison
expliquant ce rendez-vous « manqué » entre les prétendants à la
Magistrature suprême et la religion musulmane, celle de l’insuffisante
détermination à clairement définir la nature du mal qui ronge notre société devrait,
sans doute, être mise en exergue. Il s’agit, bien évidemment, de
l’idéologisation et de la confessionnalisation du fait religieux. Ainsi,
l’Islam politique, brandi, comme la réponse au recours à la violence armée, à
l’aune de la « geste » réformiste et révolutionnaire qui a secoué les
rives méridionales de la mer Méditerranée à partir du printemps 2011 s’est-il
mué en une interrogation et une perception sujette à caution, à l’aune de la
dénonciation de ce qu’aucuns n’hésitent pas à qualifier d’entrisme des Frères
musulmans…
Objectif Législatives
Désormais, que comptent faire Emmanuel Macron, élu
Président de notre République le 7 mai, et le nouveau
gouvernement d’Edouard Philippe ? Le temps presse et quelques
semaines qui nous séparent des élections législatives ne permettront évidemment
pas de rattraper le retard ou tout simplement de combler le fossé qui s’élargit
à chaque scrutin.
Mais pour autant, rien n’est totalement perdu. A cet
égard, les élections législatives des 11 et 18 juin prochains nous offrent
ainsi une formidable occasion de se « rattraper » pour les
responsables politiques autant que ceux issus d’une société civile qui ont du
mal à se fédérer et s’unir pour peser dans les débats, et transformer ceux-ci
en normes et lois si essentielles pour garantir la cohésion nationale .
La responsabilité des élus locaux, des milliers de
candidats au renouvellement des 577 sièges qui composent l’Assemblée nationale
et les partis et organisations politiques auxquels ils appartiennent est ainsi
immense.
Les quelque 7000 candidats aux législatives devront
ainsi se positionner clairement, sur tous ces enjeux, en veillant chacune et
chacun à se saisir de cette question devenue capitale pour le
bien-vivre-ensemble au sein de notre République qui se veut égalitaire autant
que fraternaliste.
Une lourde responsabilité repose aussi sur les milieux
académiques, les intellectuels, les artistes, en tant qu’acteurs et vecteurs de
la transformation sociale et sociétale. Il s’agit de rappeler aux 577 prochains
représentants du peuple, que, de part, leur principale mission consistant à
veiller à mettre en œuvre les droits fondamentaux individuels – et ce, en
garantissant égalité des droits et devoirs de chaque citoyen -, chacun d’eux se
doit d’en assurer une couverture universelle et homogène, en veillant à éviter
scrupuleusement autant l’ostracisme que le communautarisme.
C’est, du reste, pour cela que la laïcité, qui combat
les discriminations de toutes natures (âge, sexe, religion, couleur,
orientation sexuelles…) est plus que compatible avec l’islam, elle en assure la
légitime expression.
Emmanuel
DUPUY, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)
Karim
IFRAK, Islamologue (CNRS)
Opinion
Internationale, 19 mai 2017