Rechercher dans ce blog

04 janvier 2017

Vincent, Arnaud, Jean-Luc et les Musulmans



L'actualité de la primaire de la Gauche s'est emballée depuis mardi soir et le "dérapage" tout à fait ignoble de Vincent Peillon au cours de l'émission "L'entretien politique" sur France 2. 
Rappelons ses propos :

« Certains veulent utiliser la laïcité – ça déjà été fait dans le passé – contre certaines catégories de population. C’était il y a 40 ans les Juifs à qui on mettait des étoiles jaunes, c’est aujourd’hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans qu’on amalgame souvent avec les islamistes radicaux. C’est intolérable »

Toute personne un minimum cultivée aura d'abord relevé une erreur historique grossière, notre ancien Ministre de l'Education Nationale situant l'étoile jaune sous Giscard. Mais ses propos contenaient aussi d'autres erreurs inadmissibles, qui ont fait l'objet de nombreux commentaires dans la presse et sur les réseaux sociaux.

Sur Facebook, mon ami François Heilbronn, Vice-Président du Mémorial de la Shoah, devait écrire ceci :

"Peillon, nul en Histoire, nul en Maths.
"Consternant, quand Vincent Peillon, Professeur agrégé de Philosophie et ancien ministre de l’Education, commet des erreurs historiques monstrueuses et ne sait pas compter.

Les erreurs : 1) Ce n’est pas la laïcité qui a imposé l’étoile jaune aux Juifs, mais un antisémitisme d’Etat sous ordre de l’occupant allemand et de son régime nazi génocidaire.
2) Vichy était tout sauf un Etat laïc, au contraire ce fut la revanche contre les laïcards et les maçons de la IIIème.
3) L’institution de l’étoile jaune pour les Juifs en zone nord n’était pas il y a 40 ans (1977 ?) mais il y a 75 ans en mai 1942.
4) L’étoile jaune était un marquage qui permettait l’arrestation, la déportation puis l’assassinat en masse des Juifs.
L’insulte : Pourquoi vouloir tracer une symétrie entre des sentiments hostiles (insupportables) aujourd’hui d’une minorité de Français envers les Musulmans en France et une politique antisémite et génocidaire d'Etat contre les Juifs en France pendant la Seconde Guerre Mondiale ? Ce type de comparaison est une insulte aux morts et déshonore celui qui la prononce."


Le CRIF a immédiatement réagi par un communiqué très ferme, le voici :

"Le Crif dénonce les propos de Vincent Peillon comparant le sort réservé aux Juifs sous l'Occupation et la situation actuelle des musulmans en France. Le Crif dénonce la comparaison faite hier lors de son intervention sur France 2 par Vincent Peillon entre le sort des Juifs sous l'Occupation et la situation actuelle des musulmans de France. L'histoire de la déportation de plus de 75 000 Juifs, de la spoliation des biens juifs ou des lois discriminatoires comme le port de l'étoile jaune ne saurait être dévoyée et instrumentalisée au nom d un soi-disant équilibre des souffrances.

De telles déclarations ne servent que ceux qui cherchent à réécrire l'Histoire.

Le Crif demande une clarification et un correctif immédiat de la part de Vincent Peillon."

Suite à la polémique qui s'est vite répandue dans les grands médias, Vincent Peillon a publié des rectificatifs au cours de la journée du 4 janvier. Le journal "Le Monde " en donne un compte-rendu très complet, lire ici . A noter, parmi les réactions, celle très ferme de mon amie journaliste Caroline Fourest, qui est très vite montée au créneau.


Alors, la question qui se pose maintenant, c'est pourquoi ce rapprochement ignoble entre la persécution passée - et génocidaire - des Juifs, et une soi disant persécution anti musulmane dont la France serait soi disant coupable ? Avant de verser quelques éléments à ce dossier, une réflexion :

1° Il n'y a eu aucune action meurtrière contre nos concitoyens musulmans à la suite des horribles attentats qui ont frappé notre pays, près de 250 tués en un an et demi ; les actes anti musulmans ont diminué, au contraire, fortement entre 2015 et 2016.

2° Les mesures anti-terroristes sont une nécessité, et elles protègent toute la population, quelles que soient les origines.

3° Et enfin, s'il y a une légitime inquiétude vis à vis de l'islamisme radical, le confondre avec l'islam n'est en aucune façon le fait de "la Laïcité", mais un discours manipulateur entretenu à la fois par l'extrême-droite, et par la mouvance des Frères musulmans qui souhaite prendre le contrôle de cette minorité.
Alors, pourquoi ce dérapage de Vincent Peillon, et de tant d'autres à Gauche ? Pourquoi cette récurrente référence à la Shoah pour dénoncer une prétendue islamophobie ? Mon amie journaliste Isabelle Kersimon, qui a bien étudié la question, pense qu'au delà d'une hypothétique "chasse aux voix", il y a une vraie conviction que ce rapprochement historique est justifié : ce serait donc pire qu'une maladresse ou un calcul politique ! Voici ce qu'elle a publié sur sa page Facebook :
 
À propos de la déclaration de Vincent Peillon, lire Islamophobie, la contre-enquête (oct. 2014), où j'analysais les schèmes de la comparaison inique entre islamophobie et antisémitisme.
Et voici un court extrait de ma conférence donnée à Normale Sup sur le sujet le 10 octobre 2016, publiée par les soins de l'ENS :
Pierre-André Taguieff a écrit en 2003 La Nouvelle Judéophobie, et le concept d’islamophobie a dès lors fait son apparition sur la scène publique avec le pamphlet de Vincent Geisser, chercheur au CNRS, publié en écho : La Nouvelle Islamophobie. Jusqu’alors, le terme était resté relativement circonscrit dans des cercles militants depuis sa réintroduction en France en 1997-1998, par le biais de Tariq Ramadan. Le postulat central de Geisser, calqué sur celui de Taguieff, est erroné : suite aux attentats de septembre 2001, le monde aurait connu une vague islamophobe sans précédent, ce que démentent les enquêtes du Pew Research Center, qui montrent au contraire une vague de solidarité envers les musulmans (mais une défiance envers « l’islam »).
Présenté comme le fruit d’une pensée sociologique et philosophique, l’essai de V. Geisser est plus un pamphlet assez virulent, en soutien à la notion d’islamophobie que développent les identitaires islamistes. Pierre-André Taguieff tentait de définir les contours de l’antisémitisme contemporain qui sévit sous la bannière de l’antisionisme radical et les prédications l’intégrisme islamique. Geisser a énormément contribué à la diffusion de ce concept dans les sphères universitaires et militantes. Il défend le voilement des femmes et l’islam rétrograde comme l’islam véritable et accuse ceux qu’il nomme les « experts » ou les « facilitateurs » relayés par les médias, notamment Alain Finkielkraut, d’être à l’origine de l’expansion de l’islamophobie en France. Mais il précise cependant que ce qu’il qualifie de nouvelle « islamophobie n’a rien de comparable avec l’antisémitisme des années 1930 » .


Dans le même esprit, une autre amie de mon réseau Facebook, Sandra Salomon, écrit quelque chose de très juste à propos d'un possible calcul électoral : il serait parfaitement stupide.

"Combien de candidats se disputent actuellement les voix d'un électorat supposé "musulman" ? Sont-ils cinq ou plus ? Combien parmi les Français musulmans de culture ou de religion sont-ils sensibles à ces sirènes démagogiques ?
Un quart ? la moitié d'entre eux ? Ce serait fort étonnant que cela plaise à la moitié d'entre eux . Sans doute beaucoup moins.
Combien parmi ces derniers sont inscrits sur les listes ? Et enfin parmi les inscrits combien votent-ils ? et combien sur la base de ces motifs faisant appel à un vécu communautaire ?
A la fin, si on arrive à un pourcentage de 10% d'entre eux ce doit bien être le maximum, ce qui représente environ 1% du corps électoral.
Mais pour ce 1% là, on n'a pas fini de subir surenchères démagogiques et les stupidités les plus énormes et de mauvais goût, fabriquant toutes sortes de mythes jusqu'à réviser l'Histoire de la manière la plus fantastique."


Ceci donc à propos de Vincent Peillon. Mais continuons d'ouvrir le dossier sur cette Gauche là et les Musulmans. Il y avait eu aussi, il y a un peu plus d'un an, des déclarations du même ordre de la part de Jean-Christophe Cambadelis le premier secrétaire du parti socialiste (voir sur ce lien)


Dans la même veine, mais sur un ton plus policé - avec cet air de ne pas y toucher qui est un peu sa marque de fabrique - Arnaud Montebourg a, à plusieurs reprises, pratiqué ce genre de "drague électorale" en direction d'un public "arabe" (il est un des rares à utiliser ce terme). Personne n'avait été scandalisé il y a quelques semaines - mais moi oui -, lorsque à la veille de se rendre en Algérie, pays natal d'un grand-père musulman, il se présentait comme un "arabo-morvandiau" .


Il y a eu aussi - et ce sera pour moi l'occasion de rappeler une autre fois où le CRIF a publié un communiqué pour le dénoncer - une autre personnalité de Gauche qui a pratiqué le même genre de raccourcis intolérables que Vincent Peillon : Jean-Luc Mélenchon avait osé faire, cet été, un parallèle avec les persécutions passées des Juifs et des Protestants à propos de l'affaire du Burkini.

Il y a eu, enfin, les déclarations très douteuses de Benoit Hamon concernant l'affaire des cafés "interdits aux femmes" à Sevran. Voir cet article de Marianne.


Concluons sur tout cela : un certain nombre de leaders politiques de Gauche qui prétendent diriger notre pays, ont - par calcul électoral, démagogie ou pure irresponsabilité -, tenu des propos qui tiennent à la fois du relativisme culturel et du révisionnisme historique. C'est extrêmement grave, et pour le coup - alors que je n'indique jamais de consignes de vote - je recommanderai à tous mes lecteurs et ami(e)s de venir voter à la primaire de la Gauche, pour éviter qu'au moins aucun de ceux là ne gagne l'investiture du Parti Socialiste.

J.C