La conférence sur l'antisémitisme dans le palais des nations,mardi 21 avril.
Au fond, Elie Wiesel (photo Jean Corcos, cliquer pour agrandir)
Au fond, Elie Wiesel (photo Jean Corcos, cliquer pour agrandir)
La semaine passée fut riche en émotions, et pas seulement au moment de la diatribe de Mahmoud Ahmadinejad, où nous avons eu l’impression cauchemardesque de revivre une diatribe hitlérienne à Nuremberg ... dénonciation des « Sionistes » qui contrôlent le pouvoir économique et les médias en Occident, évocation du « régime fasciste usurpateur qui a rendu un peuple sans logis en Palestine », dénonciation de la politique agressive des Etats-Unis « qui ont envahi des terres musulmanes en Irak et en Afghanistan », remise en question des structures de l’ONU, prophéties de la fin de l’ordre capitaliste et libéral : un vrai discours révolutionnaire, certes mâtiné d’islam mais d’abord révolutionnaire : comme le national-socialisme ! On en lira la retranscription complète en anglais sur ce lien ; et les journalistes qui ont platement titré « Ahmadinejad fustige Israël » sont soit des abrutis, soit des lobbyistes de la république islamique : ce furent des propos pré génocidaire, comme devait le rappeler Irwin Cotler, ancien ministre de la justice canadien et présent à toutes les manifestations de protestation : « l’Holocauste n’a pas commencé dans les chambres à gaz, mais avec des mots ».
La première réplique fut une commémoration imposante du « Yom HaShoah », qui - par un sinistre hasard du calendrier - tombait le même jour que le discours du gnome iranien, lundi 20 avril.Trois mille personnes occupaient les places réservées sur la place des nations, juste en face de l’entrée de l’ONU. Dans l’assistance, des ambassadeurs, des représentants de toutes les grandes organisations et communautés juives du monde occidental, des rabbins et des prêtres, et - alors que le président de la confédération helvétique avait soulevé une polémique la veille en recevant Ahmadinejad -, le président du conseil d’état suisse, Laurent Moutinot, qui devait juger « intolérables » les propos tenus quelques heures auparavant dans l’enceinte des Nations Unies. Sous le chapiteau se sont succédé une chorale de la communauté juive de Genève, des rescapés de la Shoah qui ont allumé la flamme de la mémoire, et surtout trois personnalités qui se sont mobilisées toute cette dure semaine : Irwin Cotler, déjà cité, Bernard-Henri Lévy qui devait dire : « ceux qui se sont rassemblés ici vont donner une leçon d’antiracisme à un psychopathe », et un rescapé d’Auschwitz, sans doutes le plus célèbre, le Prix Nobel Elie Wiesel, qui devait dire : « Si un jour quelqu’un m’avait dit qu’un jour je serais ici et qu’en face, un chef d’état iranien dirait des choses si laides et insolentes en public, en étant fier, je ne l’aurais pas cru. »
Le lendemain, je devais assister dans l’enceinte même de l’ONU à une conférence organisée par le « Institute on human rights and the Holocaust » (voir photo). Le sujet : l’antisémitisme et l’intolérance. Ici et maintenant ». Elie Wiesel a d’abord parlé, d’une voix sourde, angoissée, et qui rappelait l’essentiel : « ce n’est pas un hasard si Ahmadinejad veut à la fois nier la Shoah et détruire Israël, il veut être celui qui fera mieux que Hitler » ; il a rappelé que Rafsandjani, celui que l’on présente comme un modéré, avait dit qu’en cas de conflit nucléaire il resterait quelques dizaines de millions d’iraniens survivants, et que de tels propos faisaient très peur parce qu’avec un tel fanatisme la dissuasion ne marche pas ; et il a dit que l’antisémitisme était une maladie qui ne guérit jamais !
Comme en écho et un peu plus tard, le Père Patrick Desbois - qui a consacré sa vie à exhumer les fosses communes des charniers de l’ex-URSS (la fameuse « Shoah par balles » qui extermina un million et demi de Juifs) - devait dire que oui, l’antisémitisme ne finit jamais car « les Juifs sont le peuple de Dieu, et ils en portent le stigmate » ; il devait aussi rappeler les propos de Jean-Paul II, « l’antisémitisme est un péché contre Dieu », or le propre d’un péché c’est d’être éternel, comme Dieu ; autres paroles fortes : « tous les négationnistes sont des antisémites, et peu importe s’ils sont de droite, de gauche, athées ou croyants » ; et le discours des antisémites est toujours le même, « les Juifs doivent partir», et on dirait cela même si Israël n’existait pas, on s’en prendrait alors à ceux qui vivent à Paris ou à New York !
Un autre non juif, l’acteur américain John Voight, devait aussi avoir des propos d’amour pour le peuple d’Israël qui seraient vraiment politiquement incorrects dans notre vieille Europe.
Le professeur Shelby Steele, un afro-américain, devait rappeler une vérité évidente : l’antisémitisme est d’abord l’expression de la mauvaise foi ; il progresse chez les Noirs des États-Unis parce qu’ils trouvent une réponse simple aux problèmes qu’ils ne peuvent résoudre ; exactement comme les nations du Tiers Monde, qui font d’Israël le bouc émissaire idéal : à nous de les faire progresser vers la réflexion !
Nathan Sharansky, ancien « refuznik » et prisonnier du Goulag, devenu depuis israélien et nouveau directeur de l’Agence juive, devait dire que l’atmosphère ubuesque que l’on vivait à l’ONU - un Conseil des droits de l’homme dirigé par les représentants des dictatures - lui rappelait l’atmosphère digne d’Orwell de l’ex-URSS qu’il avait fuie : on ne se disait déjà pas antisémites, mais contre « le cosmopolitisme » ou le « sionisme », mais c’était pareil !
Mais les paroles les plus fortes ont été celles du professeur Alan Dershowitz : d’abord par son rappel historique sur la soit disant « innocence » des Palestiniens durant la Shoah, alors que leur leader - le grand mufti de Jérusalem - fut le seul responsable étranger à visiter Auschwitz et à empêcher la sortie, même d’un nombre infime, de Juifs ... Ensuite, en disant que « le nazisme n’était pas mort », mais qu’il se réincarnait dans les discours du Hamas, ou d’Ahmadinejad : la question posée maintenant, ce n’est plus d’être pour ou contre un état palestinien - lui-même, démocrate, est plutôt « colombe » sur ce sujet : mais « de quel côté êtes-vous face aux nazis d’aujourd’hui ? »
Toute la journée du mercredi 22 avril - et alors que, dans un vote surprise et ultra rapide, comme pour effacer l’impact désastreux du discours d’Ahmadinejad, la conférence avait voté le texte de compromis obtenu après d’âpres marchandages entre les occidentaux et les représentants des « non alignés » -, nous avons ensuite assisté à deux séries de conférences, organisées par un collectif d’organisations juives et antiracistes dans un théâtre de Genève - la véritable « maîtrise d’œuvre » revenant à l’ONG « UN Watch » qui a fait un travail remarquable de préparation. Nous étions 700 dans la salle, dont beaucoup venus de France par cars entiers (une manifestation finale eut lieu face à l’ONU dans la soirée).
Le « panel » des intervenants - le matin sur l’antisémitisme, et le soir sur le thème « Israël veut la paix » - était intelligemment conçu, dans la mesure où de très nombreux non juifs ont pris la parole : représentant du Darfour, rescapée du génocide du Rwanda, responsable d’une association de défense des homosexuels, iranienne exilée défendant les femmes de son pays, italo-marocaine militante associative, mais aussi un universitaire israélien d’origine bédouine, une ancienne immigrée d’Éthiopie, des humanitaires envoyés de par le monde à chaque catastrophe naturelle, et le chef de cabinet du Premier Ministre du Canada !
Par rapport aux leçons à tirer, déjà, de cette conférence contre le racisme, j’ai relevé deux discours assez différents :
- ceux qui ont trouvé que l’on avait « limité les dégâts ». D’abord Richard Prasquier, président du CRIF, qui devait dire que « les lignes rouges » définies par la France, n’avaient pas été franchies - nonobstant la référence aux résolutions de Durban I, avec la mention explicite d’un seul état (Israël), mais en des termes déjà « équilibrés » grâce à l’Union Européenne. Ensuite, Irwin Cotler, à nouveau, qui a souligné que l’on faisait face à un antisémitisme virulent, globalisé par les chaînes satellitaires et Internet ; que le fait d’assimiler Israël à l’apartheid ou au nazisme revenait à réclamer moralement sa mort ; que les pires violateurs des droits de l’homme étaient ceux qui jugeaient ... mais que l’on avait encore besoin des Nations Unies, à condition qu’il y ait un sursaut ; et que la « sortie » des Européens lors du discours d’Ahmadinejad était le signe d’une résistance - même s’il aurait fallu le faire avant, et faire pression pour qu’il ne vienne pas ! Enfin, Denis Mac Shane, ancien ministre de Tony Blair, qui devait dire aussi : « oui, l’antisémitisme relève la tête partout, mais aussi la xénophobie » ; « oui, les pays musulmans sont devenus le foyer le plus virulent, et ils contaminent des populations immigrées en Europe ; mais il faut aussi dialoguer, les convaincre que nous ne sommes pas leurs ennemis en les aidant à résoudre les conflits » ; et « les diplomaties européennes ont fait du bon travail avec le texte de compromis voté à Genève ! »
- ceux qui au contraire ont trouvé qu’il n’y avait pas à se réjouir de la situation : disons que c’était le sentiment dominant de la salle, qui a fait une « standing ovation » à Bernard Henri Lévy ; lequel nous a fait un discours percutant, dénonçant la résolution de la conférence, un « SMIC des droits de l’homme », alors que l’on n’a parlé ni du génocide au Rwanda, ni du sort des intouchables en Inde, ni de l’esclavage moderne en terre d’islam, ni du génocide au Darfour ... «les peuples victimes par millions n’ont pas d’existence historique, on ne connaît même pas à 100.000 près le nombre des victimes des guerres oubliées » ... et B.H.L d’appeler à un « Genève III » après « Durban II », et de plaider pour une alliance entre les « sans voix d’hier » (les Juifs rescapés de la Shoah ») et les « sans voix d’aujourd’hui » victimes du « gang de voyous qui ont pris l’ONU en otage ».
Jean Corcos