Antoine Basbous est directeur de l'Observatoire des Pays Arabes. Franco-libanais, il a toujours pris des positions très claires et courageuses alors que la Syrie occupait son pays d'origine ... et que la France, comme la communauté internationale et comme les partis politiques de Beyrouth toutes confessions confondues semblaient parfaitement s'en accommoder. Deux jours après l'assassinat du ministre Pierre Gemayel, il a publié dans le journal "Le Figaro" une tribune libre qui replace parfaitement l'évènement dans la géopolitique régionale.
J.C
Quelle coïncidence ! Depuis trente ans, les principales victimes d'assassinats politiques au Liban appartiennent à la mouvance souverainiste ! Du chef druze Kamal Joumblatt, tué en 1977, aux présidents maronites Bachir Gemayel (1982) et René Mouawad (1989), en passant par le premier ministre Rafic Hariri, l'intellectuel Samir Kassir et le député Gébran Tuéni (2005) et enfin Pierre Gemayel ... tous avaient en commun leur opposition à l'occupation et à l'hégémonie syriennes.
Les preuves irréfutables ont été réunies dans plusieurs assassinats : l'enquête a nommément identifié les officiers syriens qui avaient assassiné Joumblatt ; le meurtrier de Bachir Gemayel a été libéré par l'armée syrienne, dans la minute qui a suivi son retour à Beyrouth (1984) ; Mouawad a été carbonisé deux jours après avoir rejeté le gouvernement que Damas voulait lui imposer ; l'assassinat de Hariri est intervenu suite aux menaces personnelles et répétées du président Assad et du chef de ses renseignements au Liban ... L'enquête internationale a identifié les commanditaires de ce dernier crime et a fait incarcérer les quatre généraux les plus proches de Damas, du président Lahoud et du Hezbollah.
Dès lors, on comprend mieux l'acharnement de ces parties contre la constitution du Tribunal international destiné à juger les assassins qui ont semé la mort depuis deux ans, au sein du camp indépendantiste. Si celles-ci n'avaient rien à se reprocher dans la dernière série de meurtres, pourquoi s'entêteraient-elles avec autant de détermination à torpiller le Tribunal international ? Et ce n'est pas fini : plusieurs obstacles peuvent encore entraver sa ratification. Le gouvernement libanais est au bord de l'incapacité. Après la démission des ministres chiites et l'assassinat de Pierre Gemayel, il suffit qu'un seul ministre disparaisse pour que le quorum requis des deux tiers ne soit pas atteint et que le gouvernement ne puisse pas approuver le Tribunal international.
Aussi, les présidents prosyriens, de la République et du Parlement, vont tout entreprendre pour faire avorter la ratification de ce Tribunal. Auquel cas, le Conseil de sécurité devrait le former, sous le chapitre VII, de façon contraignante, sans solliciter l'approbation des autorités libanaises.
Ne nous y trompons pas : le gouvernement issu des élections parlementaires de 2005 n'a jamais eu les moyens de gouverner. Il est bloqué par les détenteurs du vrai pouvoir : le président de la République qui doit tout à la Syrie ; le président du Parlement et la haute administration, hérités de l'époque de l'occupation syrienne ; le Hezbollah qui constitue un État dans l'État et qui obéit aux injonctions de ses maîtres syro-iraniens. Ce dernier n'a-t-il pas pris l'initiative de déclencher la guerre des 33 jours, en juillet, et ne poursuit-il pas, depuis, son « coup d'État » sournois à Beyrouth ?
L'échec de l'occupation américaine de l'Irak rejaillit sur l'avenir du Liban. L'Iran devient plus arrogant et plus pressé d'imposer son « croissant chiite ». Il accélère son offensive au Liban à travers son allié syrien. Le guide de la Révolution iranienne, Ali Khamenei, vient de fixer les objectifs stratégiques de l'alliance : contrôler le pouvoir à Beyrouth (après Bagdad) sous prétexte de vouloir infliger une défaite à Israël et aux États-Unis au Liban. Le chef du Hezbollah a exécuté l'ordre de son chef spirituel et a retiré les ministres chiites du gouvernement, délégitimant celui-ci sur les plans constitutionnel et religieux en le qualifiant de « gouvernement de l'ambassadeur américain ». Le premier ministre Fouad Siniora a compris le message et les menaces induites qui l'accompagnent. Il s'est enfermé au siège du gouvernement avec ses ministres pour échapper aux tueurs d'État et continuer à porter la cause indépendantiste.
À travers ses engagements depuis 2004 et l'adoption de la résolution 1559, la communauté internationale, sous l'impulsion de Paris et de Washington, cherche à restaurer la souveraineté du Liban. Elle vote des résolutions à l'ONU et mène un effort diplomatique intense. À l'opposé, l'axe syro-iranien se renforce au Liban : envoi d'armes et de munitions ; financement du Hezbollah ; soutien illimité au président Lahoud qui verrouille l'édifice institutionnel.
L'axe syro-iranien a été dopé par la généreuse proposition de James Baker de réhabiliter Damas et Téhéran pour stabiliser l'Irak. Faute d'avoir su ou voulu le briser, l'Amérique embrasserait demain ce qu'elle qualifiait hier « d'axe du Mal ». Damas fixe le prix de ce marché : son retour au Liban contre la stabilisation de l'Irak. Téhéran veut constituer son « croissant chiite », poursuivre son programme nucléaire et obtenir la reconnaissance de son rôle par Washington. Les vieilles méthodes des Alaouites en Syrie, éprouvées depuis trente-six ans, pourraient continuer à faire la preuve de leur efficacité.
Contrairement à ses homologues européens, le président Chirac a fini par comprendre combien il était vain de négocier avec Assad. Lequel se réjouit beaucoup du terme prochain du mandat du président français qui a été si longtemps compréhensif à l'égard de la dictature syrienne. Aujourd'hui, le vrai bras de fer oppose l'axe syro-iranien à la communauté arabe et internationale, avec le Liban pour théâtre. Les Libanais sont devenus la chair à canon de ce conflit qui les dépasse. La mouvance chiite radicale, qui considère l'Iranien Khamenei comme son Wali el-faghih (le vicaire du Prophète sur terre) et lui obéit aveuglément, est complètement investie dans le projet de « croissant chiite ». Le pire n'est pas derrière nous.
Les preuves irréfutables ont été réunies dans plusieurs assassinats : l'enquête a nommément identifié les officiers syriens qui avaient assassiné Joumblatt ; le meurtrier de Bachir Gemayel a été libéré par l'armée syrienne, dans la minute qui a suivi son retour à Beyrouth (1984) ; Mouawad a été carbonisé deux jours après avoir rejeté le gouvernement que Damas voulait lui imposer ; l'assassinat de Hariri est intervenu suite aux menaces personnelles et répétées du président Assad et du chef de ses renseignements au Liban ... L'enquête internationale a identifié les commanditaires de ce dernier crime et a fait incarcérer les quatre généraux les plus proches de Damas, du président Lahoud et du Hezbollah.
Dès lors, on comprend mieux l'acharnement de ces parties contre la constitution du Tribunal international destiné à juger les assassins qui ont semé la mort depuis deux ans, au sein du camp indépendantiste. Si celles-ci n'avaient rien à se reprocher dans la dernière série de meurtres, pourquoi s'entêteraient-elles avec autant de détermination à torpiller le Tribunal international ? Et ce n'est pas fini : plusieurs obstacles peuvent encore entraver sa ratification. Le gouvernement libanais est au bord de l'incapacité. Après la démission des ministres chiites et l'assassinat de Pierre Gemayel, il suffit qu'un seul ministre disparaisse pour que le quorum requis des deux tiers ne soit pas atteint et que le gouvernement ne puisse pas approuver le Tribunal international.
Aussi, les présidents prosyriens, de la République et du Parlement, vont tout entreprendre pour faire avorter la ratification de ce Tribunal. Auquel cas, le Conseil de sécurité devrait le former, sous le chapitre VII, de façon contraignante, sans solliciter l'approbation des autorités libanaises.
Ne nous y trompons pas : le gouvernement issu des élections parlementaires de 2005 n'a jamais eu les moyens de gouverner. Il est bloqué par les détenteurs du vrai pouvoir : le président de la République qui doit tout à la Syrie ; le président du Parlement et la haute administration, hérités de l'époque de l'occupation syrienne ; le Hezbollah qui constitue un État dans l'État et qui obéit aux injonctions de ses maîtres syro-iraniens. Ce dernier n'a-t-il pas pris l'initiative de déclencher la guerre des 33 jours, en juillet, et ne poursuit-il pas, depuis, son « coup d'État » sournois à Beyrouth ?
L'échec de l'occupation américaine de l'Irak rejaillit sur l'avenir du Liban. L'Iran devient plus arrogant et plus pressé d'imposer son « croissant chiite ». Il accélère son offensive au Liban à travers son allié syrien. Le guide de la Révolution iranienne, Ali Khamenei, vient de fixer les objectifs stratégiques de l'alliance : contrôler le pouvoir à Beyrouth (après Bagdad) sous prétexte de vouloir infliger une défaite à Israël et aux États-Unis au Liban. Le chef du Hezbollah a exécuté l'ordre de son chef spirituel et a retiré les ministres chiites du gouvernement, délégitimant celui-ci sur les plans constitutionnel et religieux en le qualifiant de « gouvernement de l'ambassadeur américain ». Le premier ministre Fouad Siniora a compris le message et les menaces induites qui l'accompagnent. Il s'est enfermé au siège du gouvernement avec ses ministres pour échapper aux tueurs d'État et continuer à porter la cause indépendantiste.
À travers ses engagements depuis 2004 et l'adoption de la résolution 1559, la communauté internationale, sous l'impulsion de Paris et de Washington, cherche à restaurer la souveraineté du Liban. Elle vote des résolutions à l'ONU et mène un effort diplomatique intense. À l'opposé, l'axe syro-iranien se renforce au Liban : envoi d'armes et de munitions ; financement du Hezbollah ; soutien illimité au président Lahoud qui verrouille l'édifice institutionnel.
L'axe syro-iranien a été dopé par la généreuse proposition de James Baker de réhabiliter Damas et Téhéran pour stabiliser l'Irak. Faute d'avoir su ou voulu le briser, l'Amérique embrasserait demain ce qu'elle qualifiait hier « d'axe du Mal ». Damas fixe le prix de ce marché : son retour au Liban contre la stabilisation de l'Irak. Téhéran veut constituer son « croissant chiite », poursuivre son programme nucléaire et obtenir la reconnaissance de son rôle par Washington. Les vieilles méthodes des Alaouites en Syrie, éprouvées depuis trente-six ans, pourraient continuer à faire la preuve de leur efficacité.
Contrairement à ses homologues européens, le président Chirac a fini par comprendre combien il était vain de négocier avec Assad. Lequel se réjouit beaucoup du terme prochain du mandat du président français qui a été si longtemps compréhensif à l'égard de la dictature syrienne. Aujourd'hui, le vrai bras de fer oppose l'axe syro-iranien à la communauté arabe et internationale, avec le Liban pour théâtre. Les Libanais sont devenus la chair à canon de ce conflit qui les dépasse. La mouvance chiite radicale, qui considère l'Iranien Khamenei comme son Wali el-faghih (le vicaire du Prophète sur terre) et lui obéit aveuglément, est complètement investie dans le projet de « croissant chiite ». Le pire n'est pas derrière nous.
Antoine Basbous
Le Figaro, 23 novembre 2006