Dans les
locaux de l'association Atajurt, des familles brandissent le portrait de leurs
proches retenus ou détenus dans le Xinjiang. Almaty, Kazakhstan, décembre 2018
Des documents obtenus par l’ICIJ et rendus publics par
17 médias, dont « Le Monde », montrent l’internement massif de populations
musulmanes en Chine.
Editorial du « Monde ».
La Chine de Xi Jinping entretient un vaste réseau de
centres d’internement secrets où sont détenues au moins un million de personnes
appartenant à la minorité musulmane ouïgoure. Le caractère coercitif et la
fonction punitive de ce que Pékin présente comme des « centres d’éducation
et de formation » sont révélés par les documents obtenus par le Consortium
international des journalistes d’investigation (ICIJ) et rendus publics par
dix-sept médias internationaux dont Le Monde.
La « fuite » et la publication de ces textes
émanant du Parti communiste chinois constituent en elles-mêmes un événement
dans un pays dont les secrets sont généralement bien gardés. Les documents
décrivent en détail les bâtiments, le fonctionnement de ces centres et
l’encadrement idéologique mis en place dans un but avéré : l’endoctrinement
et le lavage de cerveau jusqu’à l’aveu et à la repentance obtenus y compris au
moyen de la torture.
Construits depuis 2017 dans la province du Xinjiang,
dans le nord-ouest de la Chine, ces lieux, entre camps militaires et prisons
secrètes, sont au cœur d’une politique d’internement massif de populations
minoritaires. D’abord niée, leur existence est aujourd’hui justifiée par la
lutte contre des attentats terroristes ayant visé au Xinjiang des Chinois han,
l’ethnie majoritaire en Chine. Pékin continue de démentir qu’il pratique des
détentions tout en défendant son droit d’identifier les individus qui présenteraient
des signes de radicalisation islamique et de les soumettre à une « transformation
par l’éducation ».
Trier, mater intimider
Cette politique d’internement de masse constitue une
atteinte dramatique aux droits de l’homme. Des milliers de Ouïgours à travers le
monde signalent depuis 2017 la disparition de proches. La population visée va
bien au-delà des « suspects » habituels, comme en attestent les
critères extrêmement vagues retenus par la plate-forme de big data qui indique
aux autorités les individus à cibler. Le mode d’emploi de ce vaste fichier que
fournit le document révélé par l’ICIJ montre qu’il est conçu pour trier – vers
la prison ou le travail obligatoire –, pour mater et intimider la population
internée. Enfin, de nombreux témoignages signalent des atrocités – viol,
torture –, bien loin du règlement officiel.
Il peut difficilement en être autrement dans le climat
ultranationaliste et quasi totalitaire instauré par le président Xi
Jinping : les critiques internes conduisent à des arrestations. Cette
politique et celles qui l’accompagnent, comme l’envoi d’un million de cadres
chinois han pour parrainer les familles ouïgoures, servent des objectifs à
peine cachés d’assimilation forcée et de sinisation d’une minorité dont
l’identité, mais aussi les droits à l’autonomie prévus par la Constitution chinoise,
sont bafoués.
Ce nouvel accès de répression orwellienne par la Chine
doit être dénoncé avec vigueur. La mobilisation de familles de détenus
installées à l’étranger a conduit à quelques libérations. Mais le gouvernement
chinois est surtout passé à l’offensive, en invitant des délégations étrangères
à visiter des centres « modèles » préparés pour l’occasion. Face aux
mensonges, il faut soutenir les efforts du Conseil des droits de l’homme de
l’ONU, qui demande une enquête indépendante et un accès au Xinjiang. Forte de
ses succès économiques, la Chine aspire au statut de grande puissance mondiale
respectée. Y accéder suppose le renoncement aux politiques répressives de
triste mémoire et le respect des droits des minorités.
Le Monde, 25 novembre 2019