Selon Christophe Miette, commandant
de police et responsable syndical en Occitanie, Toulouse est loin d'en avoir
fini avec l'Islam radical, sept ans après les attentats de Merah.
Depuis 2012 et les attentats de Mohamed Merah
puis la mise à jour de la fameuse filière djihadiste d’Artigat (Ariège,
au sud de Toulouse), la Ville rose est identifiée comme un foyer important de
l’islam radical en France.
Tandis que vient de se terminer le second procès – en
appel – d’Abdelkader Merah, Christophe Miette, commandant de police et
responsable régional du syndicat des cadres de la sécurité intérieur (SCSI),
lequel fut par ailleurs l’un des enquêteurs lors des attentats de Toulouse,
accepte de décrypter et quantifier les rouages du salafisme à Toulouse.
Actu Toulouse : Sept ans après les attentats de
Mohamed Merah et alors que toutes les figures de la nébuleuse d’Artigat
(Ariège, au sud de Toulouse) sont décédées ou sous les verrous, Toulouse en
a-t-elle fini avec l’islam radical et violent ?
Christophe Miette : Non et il ne suffit pas de neutraliser un ou des
leaders charismatiques, tutélaires, comme Fabien Clain récemment tué en Syrie,
pour mettre fin à ce que j’assimile à une secte.
L’islam radical, à Toulouse, est comme l’Hydre de
Lerne, vous savez cette créature de la mythologie grecque possédant
plusieurs têtes qui se régénèrent doublement lorsqu’elles sont
tranchées. L’islam radical reste présent et inquiétant dans les
quartiers.
Plutôt Al-Jazeera que NRJ 12
Actu Toulouse : sur quels éléments vous basez-vous
pour dresser ce constat ?
C.M. : Nous observons une propension des salafistes à
installer leurs idées dans les quartiers. Les faits sont multiples. Il y a
clairement du prosélytisme sur les marchés mais également, sous couvert
de travail associatif, des organismes ou personnes qui mettent la pression
:
Nous connaissons le cas d’un cafetier interdit de
servir de l’alcool ou un autre prié d’interdire à son épouse d’être derrière le
comptoir. Nous savons aussi que certains « kebabs » sont fermement
« invités » à diffuser Al-Jazeera plutôt que NRJ12 sur les écrans
de leurs commerces…
Le phénomène des écoles coraniques qui, au
prétexte de soutien scolaire, expriment des propos tendancieux, est également
une réalité. Depuis quelques temps, c’est aussi à travers le sport que
rampe la violence du radicalisme, via des personnes originaires de l’Est,
principalement de Tchétchénie.
Ces pressions s’ajoutent à la puissance d’internet
qui, depuis des années, propage le radicalisme.
Toulouse plus concernée que
Marseille
A.T.: Cette réalité est-elle plus importante que dans
d’autres grandes villes françaises ?
C.M.: La zone de défense et sécurité sud, comprenant
les régions Occitanie et Provence-Alpes-Côtes d’Azur (PACA) capte à elle seule
50 % des affaires liées à l’islam radical en France. L’Occitanie est davantage
concernée que la région PACA. Il y a des foyers particulièrement importants
comme Toulouse ou Lunel.
Toulouse est plus concernée par l’islam radical que
Marseille, par
exemple. Pourquoi ? On ne l’explique pas forcément, sinon au travers de
l’histoire : l’Occitanie a toujours été un fort point de radicalisme divers et
varié. Au départ, c’est notre faute. Pendant des années, on a acheté la
paix sociale en laissant les autorités religieuses régler les phénomènes de petite
délinquance à notre place. On s’est ensuite rendu compte que nous avions à
faire à du radicalisme… Toutes les institutions sont fautives et ont agi par
naïveté.
Toutefois, la situation n’est pas forcément plus
inquiétante à Toulouse qu’ailleurs. Le phénomène est suivi, la pression
policière réelle.
Base arrière et financière du
djihadisme
A.T.: Toulouse est un foyer important de radicalisme
selon vous, pourtant la Ville rose n’a pas été concernée par un attentat depuis
les tueries de Merah en 2012. Comment l’expliquez-vous ?
C.M. : Toulouse est une base arrière du djihadisme.
La filière d’Artigat d’Olivier Corel le montre : elle a formé des djihadistes
partis combattre au cœur de ce que fut l’Etat islamique. La forte porosité
avec le trafic d’arme et le trafic de stupéfiants pour assurer le financement
du djihadisme, le confirme. Un attentat local aurait été déstabilisant pour
cette organisation bien huilée.
A.T.: Pourtant Merah l’a fait…
C.M.: J’ai une analyse assez personnelle de son
passage à l’acte : je crois qu’il avait quelque chose à prouver à son frère
Abdelkader. Mais si l’on regarde son parcours, l’on voit un djihadiste qui
tente de partir combattre à l’étranger. On voit aussi qu’il braque une
banque à L’Union, entre ses deux tueries à Montauban et Toulouse, pour
alimenter les fonds de la filière toulousaine…
A.T.: Islam radical, trafic d’armes, trafic de
drogue.. On a un peu de mal à comprendre comment, avec les moyens modernes,
police et justice n’en viennent pas à bout !
C.M.: L’Etat est dépassé. Nous sommes dépassés. Les
armes ? La chute du bloc de l’est combinée à la perte progressive des
frontières a favorisé un important trafic. Les stupéfiants ? Ils génèrent des
millions pour les délinquants désormais organisés en de vraies sociétés
commerciales clandestines. Dans ces supermarchés de la drogue, vous coupez
une tête, il en repousse cinquante ! Concernant le traitement de la
radicalisation nous avons un problème : les renseignements, après plusieurs
années de difficultés sur ces questions-là, font désormais très bien leur
travail. Mais il reste très difficile de judiciariser les cas qu’ils
soumettent à la justice. Nous sommes dans de l’idéologie et souvent les faits
ne sont que des paroles…
Plus largement, seule, la police ne peut pas tout
résoudre. Il faut envisager des partenariats plus forts avec les bailleurs
sociaux, avec la ville de Toulouse. Tout le monde doit être acteur du mieux
vivre en ville. Une porte d’immeuble cassée doit se remplacer, un tag doit être
effacé.
Enfin et surtout, l’éducation doit retrouver toute sa
place. En famille d’abord. Au sein de l’école ensuite.
60 combattants de l’EI originaires
d’Occitanie
A.T. L’Etat islamique est vaincu et la question du
retour des combattants se pose. A combien estimez-vous le nombre de personnes
originaires d’Occitanie partis combattre et donc susceptible de revenir ?
C.M.: Une soixantaine de combattants de l’EI seraient
originaires d’Occitanie. Nous ignorons combien peuvent revenir, s’ils ont
construit, là-bas, une famille et si ces familles sont également sur le retour…
Cette situation inquiète car même les psychiatres ne savent pas dire quel
pourrait être le traumatisme d’un enfant, dont le cerveau est finalement un
disque dur vierge, confronté à de pareilles violences.
On ne sait pas déradicaliser. Ce n’est pas une maladie, c’est
une idéologie politique. Regardez les nazis : 70 ans après la chute du
Troisième Reich, les démocraties luttent encore contre ce mal…
A.T.: Quel est le moral des forces de l’ordre face à
cela ?
C.M.: Nous sommes désabusés, je le crois, mais
combatifs. On veut défendre notre société coûte que coûte. Nous demandons aussi
que la prise en compte de ces phénomènes comme leur pénalisation ne soit plus
l’enjeu de « guéguerre » politiciennes. Il doit y avoir une réflexion
pour avancer de façon posée et consensuelle. La République doit avoir les
moyens de lutter et doit se poser les bonnes questions. Par exemple celui du
financement des lieux de cultes afin d’éviter le sponsor d’états du Moyen
Orient. La République doit aussi donner de l’espoir. Il faut accélérer la
reconquête de ces coins de France où il n’y a plus d’espoir.
Vous savez, quand vous avez un travail, que vous
partez en vacances avec vos enfants, vous croyez au bien-fondé de la démocratie
et vous ne vous tournez pas vers quelconque radicalisation
A Toulouse, fort bassin d’emplois, je crois que nous
sommes capables par de bons partenariats de réinvestir le sort des populations
fragilisées. Et de redonner de l’espoir. La politique doit agir.
Enfin, la géopolitique sera déterminante. Sur ce
terrain, nous avons besoin d’une Europe forte. Et de nous méfier de nos
interventions.
Pascal Pallas,
Actu Toulouse, 25 avril 2019