Une délégation turque se rendra en France les 20 et
21 mai prochains. Les programmes scolaires turcs, enseignant entre autres
le «bon djihad», ont déjà suscité de nombreuses réactions.
Le
président Erdogan ne s’en cache pas, il a des vues sur l’école française. Dans
un article paru vendredi 3 mai, Le Point révélait que le chef d’État envisage
d’ouvrir des établissements scolaires turcs en France. Dans le courant du mois
d’avril, les responsables des lycées français en Turquie ont reçu plusieurs
visites « modérément courtoises » des fonctionnaires d’Ankara, informe
l’hebdomadaire.
Ces
représentants du pouvoir seraient venus pour « contester les fondements légaux
de la scolarisation d’enfants turcs dans ces établissements », précise encore Le
Point. Les lycées français de Turquie n’accueillent pas seulement les
enfants d’expatriés de l’Hexagone, mais aussi ceux des dirigeants de l’AKP, le parti d’Erdogan défini comme
«islamo-nationaliste» et conservateur.
Recep Tayyip Erdogan a chargé une délégation turque de
se rendre en France les 20 et 21 mai prochains, afin d’y observer les
lycées internationaux. L’objectif serait ensuite d’exiger la création de lycées
turcs sur le territoire français. « Des Français sont mis sous pression à
Istanbul et à Ankara par le pouvoir d’Erdogan, qui cherche à implanter des
écoles turques en France, et le Quai d’Orsay ne bouge pas », s’inquiète un
proche du dossier cité par Le Point.
La décision d’ouvrir de tels établissements ne
relèvera sans doute pas uniquement de la volonté du président turc, mais aussi
du ministère de l’Éducation nationale et de celui des Affaires
étrangères. Contactés par Le Figaro, ceux-ci n’ont pas encore apporté
les précisions attendues sur le sujet.
Quoi qu’il en soit, Jean-Michel Blanquer n’hésite pas
à porter en étendard son combat pour la laïcité de l’enseignement, quitte à
s’attirer les foudres d’établissements religieux comme l’école musulmane
d’Échirolles qu’il entend fermer pour son «inspiration salafiste». L’ouverture de ces
établissements turcs en France pourrait bien dénoter avec cette politique, du
moins si le contenu des enseignements est calqué sur celui en vigueur en
Turquie. L’islamisation des programmes menée par Erdogan dans son pays a déjà
suscité des inquiétudes dans les médias français ces dernières années.
Dès février 2012, le président de la Turquie
déclarait vouloir «former une génération pieuse». Une déclaration suivie par la
création de trois cours optionnels de religion au collège (la vie de Mahomet,
la lecture du Coran, les connaissances religieuses de base) à l’été 2012.
Celles-ci, axées sur la vision d’un islam sunnite, sont devenues obligatoires
dans plusieurs établissements faute d’autres options. Par la suite, le pouvoir
turc a peu à peu remplacé la prédominance des lycées publics «classiques» par
les lycées «imam hâtif», destinés à la formation des imams et prédicateurs. Les élèves ayant
échoué aux concours d’entrée en lycée public sont désormais inscrits d’office
dans ces établissements religieux (bien qu’ils ne deviennent pas tous imams à
la sortie). La Turquie comptait 1408 lycées de ce type en 2017, accueillant
517.000 élèves.
Ce programme
marquait aussi la disparition de la théorie de l’évolution de Charles Darwin
Avec un nouveau programme diffusé en juillet 2017, le
gouvernement a instauré l’enseignement du concept de «djihad» dans la plupart
des établissements. « Le djihad existe dans notre religion et il est du devoir
du ministère de l’Éducation de veiller à ce que ce concept soit enseigné de
façon juste et appropriée », avait alors déclaré le ministre de l’Éducation
nationale turc, Ismet Yilmaz.
Il avait précisé qu’il ne s’agissait pas de la guerre
sainte mais du « bon djihad », exaltant « l’amour de la patrie ». Ce programme
marquait aussi la disparition de la théorie de l’évolution de Charles Darwin,
dépassant le « niveau de compréhension des élèves ». Une grande partie du
programme consacrée à Atatürk, fondateur de la République de Turquie, est quant
à elle remplacée par la tentative de putsch raté du 15 juillet 2016.
Camille Lecuit
Le Figaro Etudiant, 7 mai 2019