Mario Stasi
Attentat antisémite de
Pittsburgh : « Il faut nommer les choses »
Les Etats-Unis viennent d’être frappés par l’attentat
antisémite le plus meurtrier de leur histoire. Un homme, armé, est entré dans
une synagogue. Il a fait feu sur des Juifs parce qu’ils étaient Juifs. Il a
abattu Joyce Fienberg, 75 ans, Richard Gottfried, 65 ans, Rose Mallinger, 97
ans, Jerry Rabinowitz, 66 ans, les frères Cecil et David Rosenthal, 59 et 54
ans, les époux Sylvan et Bernice Simon, 86 et 84 ans, Daniel Stein, 71 ans,
Melvin Wax, 88 ans et Irving Younger, 69 ans. De nombreux fidèles ont également
été blessés.
De ce drame, il faut une fois de
plus tirer les leçons, les bonnes leçons
La première est qu’il faut nommer les choses, dire la réalité et ne pas choisir
l’euphémisme ou la litote. A lire les réactions de certains de nos responsables
politiques, en France, on a le sentiment qu’il s’agirait d’une fusillade de
plus, d’un drame supplémentaire comme l’Amérique en a connu tant et trop. On a
pu lire des séries de tweets en réaction à ce drame sans qu’une seule fois le
mot « juif » ou le mot « antisémite » ne soit prononcé, à
l’image de Marine Le Pen, exprimant sa « solidarité avec le peuple
américain, endeuillé après la lâche attaque survenue à Pittsburgh » ou de
Jean-Luc Mélenchon, auteur d’un laconique « Horreur à Pittsburgh.
Compassion et solidarité avec les familles », comme s’il s’agissait d’un
crash aérien ou d’une intempérie meurtrière. Et même le président Macron a dû
s’y reprendre à deux fois, sur les réseaux sociaux, passant de la condamnation
d’une « fusillade » à 20h07 à celle « d’un acte odieux
d’antisémitisme » à 22h11. Non, cet événement n’est pas une tuerie ou une
fusillade comme les autres : c’est un attentat antisémite qui a choisi
pour cible des individus non pas parce qu’ils se trouvaient là par hasard mais
des juifs, en plein office, parce qu’ils étaient juifs. Ne pas le dire, ne pas
vouloir le dire, ne pas comprendre qu’il faut le dire, c’est ajouter au malheur
du monde et c’est travestir le fait que l’antisémitisme tue, encore et
toujours.
La seconde, c’est que la libération de la parole
antisémite créé les conditions du passage à l’acte.
Avant d’acheter une arme et
d’aller commettre l’irréparable, l’auteur de l’attentat de Pittsburgh était un
antisémite connecté et assumé, revendiquant sa haine des Juifs et sa xénophobie
sur les réseaux sociaux, notamment le réseau suprémaciste GAB. Avant de
crier « Tous les juifs doivent mourir » dans la
synagogue de Pittsburgh, il avait crié sa haine des Juifs sur Internet,
prétendant que « Les juifs sont des enfants de Satan ».
Son compte était truffé des pires théories du complot désignant les Juifs à la
vindicte. Cette mécanique de la haine est toujours la même et toujours de
petits « tweets » précèdent de grands malheurs. Cette réalité doit
achever de convaincre ceux qui, dans leur défense de la liberté d’expression,
refusent de désarmer des tueurs en puissance. Une prétendue
« opinion » qui invite à tuer l’autre parce qu’il est autre n’est pas
une « opinion », mais la première étape qui peut mener jusqu’au
crime. Les hébergeurs sont en première ligne dans cette bataille et la
nécessité de mettre en place une régulation digne de ce nom est plus que jamais
urgente.
La troisième, c’est qu’il faut lutter contre tous les
antisémites, d’où qu’ils viennent.
Bowers était un suprémaciste complotiste persuadé que
les Juifs devaient mourir parce qu’ils ouvriraient les Etats-Unis à
« l’invasion migratoire » et au « Grand Remplacement ».
D’autres, avant lui, islamistes, ont tué en France des Juifs sur des fondements
et des préjugés pas si éloignés de ceux-là finalement et se rejoignant dans les
théories du complot et le négationnisme.
Ce qui importe, pour nous universalistes, n’est pas de
compter les points sur la question de savoir qui des islamistes ou de
l’extrême-droite est le plus antisémite des deux. Ils sont jumeaux et au final
sécrètent la même haine. Combattre l’antisémitisme, c’est choisir, avec le
regard de la lucidité et la force de la raison, de déloger, partout où elle se
trouve, où elle se dissimule, où elle se travestit, où elle s’exprime, où elle prospère,
la haine des Juifs. On observe des phénomènes en apparence contradictoires mais
qui en réalité organisent le déni : d’un côté, ceux qui ferment les yeux
devant l’extrême-droite, au prétexte du danger islamiste, de l’autre, ceux qui
disculpent l’islamisme au prétexte de l’irrésistible ascension de
l’extrême-droite dans l’opinion et dans les urnes.
La réalité, c’est que l’islamisme comme
l’extrême-droite, avec des méthodes et des objectifs différents, constituent
les pires menaces pour nos démocraties. La réalité, c’est qu’à la fin des Juifs
meurent parce qu’ils sont Juifs. C’est de cela dont nous devons être conscients
pour réduire ces extrémismes à l’état de minorité groupusculaire dont ils
n’auraient jamais dû sortir.
Mario Stasi,
Président de la LICRA, 31 octobre 2018
Président de la LICRA, 31 octobre 2018