Sam Touzani arpente la scène belge depuis 25 ans.
"Mardi, tôt le matin, j'ai reçu des messages
concernant les événements. J'étais meurtri. Je vis à proximité de la station
Maelbeek et toute la journée, j'ai entendu le concert des sirènes. J'ai
ainsi été témoin des dommages collatéraux de ces attentats islamistes.
Contrairement à d'autres, j'aime nommer correctement
les choses, et c'est pour cela que je parle bien ici d'attentats islamistes.
Je suis beaucoup moins politiquement correct que d'autres. Je fais partie
de ceux, minoritaires, qui pensent que, malheureusement, les métastases
sont dans les textes coraniques. Cela m'agace toujours un peu quand j'entends:
"Attention, pas d'amalgame, l'islam n'a rien à voir l'islamisme."
Cela reviendrait à dire, selon moi, que l'inquisition n'a rien à voir avec
le catholicisme. Alors qu'on sait que les deux sont profondément liés.
Bien sûr, je sais qu'il y a une majorité de musulmans qui aspirent à vivre
leur foi tranquillement. Mais j'ai l'impression que les intellectuels de
l'islam des Lumières se manifestent peu, ou sont en tout cas peu entendus.
Mon problème est qu'on nie un peu trop la réalité aujourd'hui.
On ne touche pas à l'islam. On n'ose pas, même quand on a affaire à des actes
innommables. On a cultivé une certaine forme de communautarisme qu'on a
entretenu à des fins électoralistes. Comment voulez-vous qu'on demande
à une communauté de ne pas être communautaire quand nous sommes le pays le
plus communautarisé au monde? Nous avons, en Belgique, le triste record
du nombre de jeunes issus de l'immigration qui partent en Syrie. C'est
énorme. Il y a mille et un facteurs qui expliquent pourquoi ces jeunes
partent. Ils sont en quête d'identité, mais ce n'est pas suffisant. Il faut
aussi avoir vachement envie de bastonner et de tuer. J'en ai un peu marre
de la sociologie compassionnelle. L'idéologie islamiste est fascisante
et elle est à prendre au sérieux. C'est là que j'en veux à nos États démocratiques
qui la cautionnent à travers des alliances contre nature avec le Qatar,
l'Arabie Saoudite...
Les progressistes et les démocrates sont pris en
sandwich entre, d'un côté, l'extrême droite et les populistes qui rationalisent
un discours de haine sur le dos de tous les musulmans et tous les étrangers,
et, de l'autre côté, une faction qui ne nomme pas les choses sous prétexte
qu'elle va faire le jeu de l'extrême-droite. Moi, je demande plutôt: mais
qui va faire le jeu de la démocratie? Pendant trop d'années nous avons regardé
la société par le prisme de l'éthnico-religieux, et pas assez par le prisme
de la citoyenneté. À la diversité, je préfère l'égalité. Si on est égaux,
on pourra parler de nos différences et avoir le courage d'être critique et
de rire de son propre sacré sans sortir les kalachnikovs.
Je n'ai pas de réponse. Je suis juste un observateur
citoyen et un artiste. En tant qu'artiste, je suis donc le contraire d'un
spécialiste. En revanche, je suis expert de ma propre expérience. Je suis
un laïc convaincu. On ferait bien en Belgique d'être un vrai état laïc. Et
d'utiliser ce mode opératoire comme un vrai outil dans le processus démocratique.
Je préfère un 'libre ensemble' où l'on confronte les idées, plutôt qu'un
'vivre ensemble' sans avoir de vrais débats. Nous devons confronter les
idées et pas juste attendre que ça pète. Néanmoins, tant que deux êtres humains
continueront à dialoguer, je ne pourrai pas complètement désespérer
de notre humanité."
Propos recueillis par Mélanie Noiret
L'Echo (Belgique), 26 mars 2016
Bruxellois issu de l'immigration marocaine,
c'est un artiste de terrain subversif, laïc et engagé pour une citoyenneté
active.