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08 avril 2016

Sam Touzani : L'idéologie islamiste est fascisante et elle est à prendre au sérieux



Sam Tou­zani ar­pente la scène belge de­puis 25 ans.

"Mardi, tôt le matin, j'ai reçu des mes­sages concer­nant les évé­ne­ments. J'étais meur­tri. Je vis à proxi­mité de la sta­tion Mael­beek et toute la jour­née, j'ai en­tendu le concert des si­rènes. J'ai ainsi été té­moin des dom­mages col­la­té­raux de ces at­ten­tats is­la­mistes.

Contrai­re­ment à d'autres, j'aime nom­mer cor­rec­te­ment les choses, et c'est pour cela que je parle bien ici d'at­ten­tats is­la­mistes. Je suis beau­coup moins po­li­ti­que­ment cor­rect que d'autres. Je fais par­tie de ceux, mi­no­ri­taires, qui pensent que, mal­heu­reu­se­ment, les mé­ta­stases sont dans les textes co­ra­niques. Cela m'agace tou­jours un peu quand j'en­tends: "At­ten­tion, pas d'amal­game, l'is­lam n'a rien à voir l'is­la­misme." Cela re­vien­drait à dire, selon moi, que l'in­qui­si­tion n'a rien à voir avec le ca­tho­li­cisme. Alors qu'on sait que les deux sont pro­fon­dé­ment liés. Bien sûr, je sais qu'il y a une ma­jo­rité de mu­sul­mans qui as­pirent à vivre leur foi tran­quille­ment. Mais j'ai l'im­pres­sion que les in­tel­lec­tuels de l'is­lam des Lu­mières se ma­ni­festent peu, ou sont en tout cas peu en­ten­dus.

Mon pro­blème est qu'on nie un peu trop la réa­lité au­jour­d'hui. On ne touche pas à l'is­lam. On n'ose pas, même quand on a af­faire à des actes in­nom­mables. On a cultivé une cer­taine forme de com­mu­nau­ta­risme qu'on a en­tre­tenu à des fins élec­to­ra­listes. Com­ment vou­lez-vous qu'on de­mande à une com­mu­nauté de ne pas être com­mu­nau­taire quand nous sommes le pays le plus com­mu­nau­ta­risé au monde? Nous avons, en Bel­gique, le triste re­cord du nombre de jeunes issus de l'im­mi­gra­tion qui partent en Syrie. C'est énorme. Il y a mille et un fac­teurs qui ex­pliquent pour­quoi ces jeunes partent. Ils sont en quête d'iden­tité, mais ce n'est pas suf­fi­sant. Il faut aussi avoir va­che­ment envie de bas­ton­ner et de tuer. J'en ai un peu marre de la so­cio­lo­gie com­pas­sion­nelle. L'idéo­lo­gie is­la­miste est fas­ci­sante et elle est à prendre au sé­rieux. C'est là que j'en veux à nos États dé­mo­cra­tiques qui la cau­tionnent à tra­vers des al­liances contre na­ture avec le Qatar, l'Ara­bie Saou­dite...

Les pro­gres­sistes et les dé­mo­crates sont pris en sand­wich entre, d'un côté, l'ex­trême droite et les po­pu­listes qui ra­tio­na­lisent un dis­cours de haine sur le dos de tous les mu­sul­mans et tous les étran­gers, et, de l'autre côté, une fac­tion qui ne nomme pas les choses sous pré­texte qu'elle va faire le jeu de l'ex­trême-droite. Moi, je de­mande plu­tôt: mais qui va faire le jeu de la dé­mo­cra­tie? Pen­dant trop d'an­nées nous avons re­gardé la so­ciété par le prisme de l'éth­nico-re­li­gieux, et pas assez par le prisme de la ci­toyen­neté. À la di­ver­sité, je pré­fère l'éga­lité. Si on est égaux, on pourra par­ler de nos dif­fé­rences et avoir le cou­rage d'être cri­tique et de rire de son propre sacré sans sor­tir les ka­lach­ni­kovs.

Je n'ai pas de ré­ponse. Je suis juste un ob­ser­va­teur ci­toyen et un ar­tiste. En tant qu'ar­tiste, je suis donc le contraire d'un spé­cia­liste. En re­vanche, je suis ex­pert de ma propre ex­pé­rience. Je suis un laïc convaincu. On fe­rait bien en Bel­gique d'être un vrai état laïc. Et d'uti­li­ser ce mode opé­ra­toire comme un vrai outil dans le pro­ces­sus dé­mo­cra­tique. Je pré­fère un 'libre en­sem­ble' où l'on confronte les idées, plu­tôt qu'un 'vivre en­sem­ble' sans avoir de vrais dé­bats. Nous de­vons confron­ter les idées et pas juste at­tendre que ça pète. Néan­moins, tant que deux êtres hu­mains conti­nue­ront à dia­lo­guer, je ne pour­rai pas com­plè­te­ment déses­pé­rer de notre hu­ma­nité."

Pro­pos re­cueillis par Mé­la­nie Noi­ret
L'Echo (Belgique), 26 mars 2016

Bruxel­lois issu de l'im­mi­gra­tion ma­ro­caine, c'est un ar­tiste de ter­rain sub­ver­sif, laïc et en­gagé pour une ci­toyen­neté ac­tive.