Le Roi Salmane d'Arabie Saoudite
Ni la peur de l'Iran, ni la menace terroriste, ou le sentiment d'être abandonné par l'Amérique ne suffisent à créer un terreau favorable à un rapprochement entre Riyad et Tel Aviv. La région tout entière aurait pourtant beaucoup à y gagner.
« L'ennemi de mon ennemi n'est pas forcément mon ami. »
L'accord du 14 juillet 2015 visant à empêcher l'Iran de se doter de
l'arme nucléaire a fait deux inquiets au Moyen-Orient : Israël et
l'Arabie saoudite. D'un côté l'Arabie saoudite se livre avec l'ancienne
Perse à des guerres par procuration au Yémen, en Syrie et très
indirectement au Liban. Les forces de sécurité en Israël estiment
d'ailleurs qu'il est nécessaire d'observer de très près les relations
entre les deux grands rivaux. Car après la rupture de leurs relations
diplomatiques, à la suite de l'exécution d'un dignitaire chiite par le
régime saoudien et de l'attaque de l'ambassade saoudienne à Téhéran, un
durcissement du conflit est à prévoir.
Comme
Riyad, Israël voit aussi l'Iran comme son principal ennemi dans la
région. Et tous deux redoutent que leur alliance avec les États-Unis,
leur grand protecteur à des niveaux différents, se distende. Certes, la
normalisation des relations entre les États-Unis et l'Iran trente-sept
ans après la révolution iranienne n'est pas achevée, mais le dégel entre
Téhéran et les pays occidentaux est lui bien amorcé. Un signe qui ne
trompe pas : la tournée européenne du président Hassan Rohani a permis
de multiplier les annonces de contrats au grand plaisir des Européens.
Avec
la levée progressive des sanctions, Israël craint la capacité de l'Iran
à développer un programme nucléaire, même limité désormais au civil. Ce
qui amènerait Téhéran au « seuil » de la fabrication de bombes. A long
terme tout est possible et l'accord a une durée d'une dizaine d'années.
Le risque : un Iran nucléarisé réduirait à néant l'avantage d'Israël
dans la région et pourrait pousser l'Arabie saoudite à se doter à son
tour de l'arme nucléaire.
L'autre sujet
d'inquiétude est le Hezbollah libanais. En se portant au secours de
Bachar Al Assad, l'Iran a non seulement installé ses conseillers
militaires des brigades Al Qods pour coordonner les combats au sol
contre les rebelles, mais aussi livré des armes au Hezbollah, dont selon
toute vraisemblance, des missiles à longue portée. « La troisième guerre du Liban n'est qu'une question de temps. Si le Hezbollah lance une attaque. Nous répondrons avec force », affirme
le général israélien Nitzan Nuriel, aujourd'hui chercheur à l'Institut
du contre-terrorisme à Tel Aviv. Le Hezbollah, ajoutait-il il y a
quelques jours lors d'une rencontre organisée par Elnet (European
Leadership Network), représente l'Iran et prône la destruction de l'Etat
d'Israël. Pourtant depuis cinq ans, la frontière avec la Syrie et le
Liban est, côté israélien, relativement calme. Devant quelques
journalistes à Paris, le leader de l'opposition travailliste
israélienne, Issac « Bouji » Herzog, affirmait que le Hezbollah est
actuellement « enfoncé dans la boue de la politique libanaise et en Syrie ». Mais le mouvement détiendrait plus de 100.000 missiles pointés vers Israël.
Il
y a aussi un autre terrain, très différent. En Israël, nombreux sont
ceux qui pensent que la reprise de négociations israélo-palestiniennes « se fera dans un contexte régional », comme le
soulignait récemment Daniel Shek, ancien ambassadeur d'Israël à Paris.
Ce qui pourrait aller jusqu'à inclure l'Arabie saoudite. D'après Elliott
Abrams, un expert d'un think tank américain, CFR, des contacts
extrêmement discrets et à des niveaux très intellectuels lors de
conférences internationales ont eu lieu entre experts saoudiens et
israéliens. En 2002, l'Arabie saoudite avait également présenté un plan
de paix avec Israël qui est de temps en temps ressorti des cartons, sans
succès jusqu'à aujourd'hui. Un plan qui dans ses grandes lignes prévoit
une reconnaissance de l'Etat d'Israël par les pays arabes, en échange
d'un retrait d'Israël des territoires occupés. Pourtant la grande
instabilité qui règne dans la région cinq ans après les printemps arabes
devrait pousser à trouver des solutions. Car elle a créé un vide en
Syrie, en Irak, en Libye où des organisations terroristes ont pris le
contrôle de pans entiers de territoire. Une menace pour l'ensemble des
régimes arabes en place. L'Arabie saoudite, suspectée d'avoir aidé ces
organisations par l'intermédiaire d'organismes de charité, et qui est
souvent considérée comme l'inspirateur idéologique de mouvements
radicaux, a été la cible de plusieurs attentats revendiqués par Daech.
Cette menace est certes indirecte en Israël : seule une cinquantaine
d'Arabes israéliens ont rejoint les rangs de l'organisation terroriste,
estime-t-on dans les milieux sécuritaires du pays. Mais on redoute
l'influence via Internet des messages de radicalisation chez les Arabes
israéliens qui représentent plus de 20 % de la population locale. Sans
être directement liées au djihadisme sunnite, les attaques, depuis
octobre, de Palestiniens dans les territoires occupés en Cisjordanie et
en Israël se sont multipliées, créant un sentiment d'insécurité.
Et
pourtant... Ni cette menace terroriste, ni la rivalité avec l'Iran, ou
le sentiment d'être abandonné par l'Amérique ne suffisent à créer un
terreau favorable à un rapprochement entre Riyad et Tel Aviv. Comme le
confie un négociateur israélien désabusé après des années d'échec des
négociations avec les Palestiniens, « l'approche régionale est surestimée car personne dans la région n'a intérêt à une amélioration de la situation ». Or
il ne peut y avoir un rapprochement entre Israël et Arabie saoudite
sans que la question palestinienne ne soit résolue. On en est loin. Cinq
ans après les printemps arabes, le Moyen-Orient n'est pas sorti de son
cercle vicieux, de haine et de méfiance.