Plus de 120 savants musulmans du monde entier ont
publié sur Internet une « lettre ouverte à Ibrahim
Awwad Al-Badri, alias ‘Abu Bakr Al-Baghdadi’, et aux combattants et adhérents
du soi-disant’Etat islamique’». La liste des signataires est publiée par ordre
alphabétique à la fin du texte, du sultan de Sokoto au Nigeria, Muhammad Saas
Ababakar, jusqu’à Zaki Zaidan, professeur de charia à Tanta en Égypte.
L’Égypte – via l’institution Al Azhar, le grand mufti
Chawqi Allam notamment – y est particulièrement représentée. Mais d’autres
signataires viennent de Jordanie, du Maroc, de Tunisie, du Liban, du Pakistan,
d’Indonésie, d’Irak, du Soudan et même d’Arabie saoudite. L’Europe est
également représentée avec quelques signatures anglaises, néerlandaises, ou
allemandes. Un Français figure également dans la liste : « Marzouk Bakkay,
de la Fédération nationale des musulmans de France ». Sans doute la
transcription arabe du nom de Merzak el Bekkay, vice-président du Conseil
régional du culte musulman d’l’Île-de-France.
Un résumé en 24 points expose les fautes commises par
le chef autoproclamé du « califat » au regard du droit et des
sciences islamiques. Des erreurs longuement commentées, références à l’appui,
dans ce texte d’une vingtaine de pages :
« 1. Il est interdit en islam d’émettre fatwas
sans posséder toutes les connaissances nécessaires. Même alors, les fatwas
doivent suivre la théorie juridique islamique tel que définie dans les textes
classiques. Il est également interdit de citer une partie d’un verset du Coran
– ou une partie d’un verset – pour en déduire une règle sans regarder tout
l’enseignement du Coran et des hadiths lié à cette question. (…) 4 – Il est
permis dans l’islam de différer sur n’importe quel sujet, à l’exception des
fondements de la religion que tout musulman doit connaître. 5 – Il est interdit
dans l’islam d’ignorer la réalité de l’époque contemporaine lorsque l’on rend
un avis juridique. 6 – Il est interdit dans l’islam de tuer des innocents. 7 –
Il est interdit dans l’islam de tuer des émissaires, des ambassadeurs et des
diplomates ; par conséquent, il est interdit de tuer les journalistes et les
travailleurs humanitaires. (…) »
Dans un paragraphe intitulé « Gens du
Livre », les auteurs rappellent que l’EI leur a « donné trois choix :
jizyah (paiement de l’impôt), l’épée, ou la conversion à l’islam. Vous avez
peint leurs maisons rouges, détruit leurs églises, et dans certains cas, pillé
leurs maisons et leurs biens. Vous avez tué certains d’entre eux et poussé de
nombreux autres à fuir leurs maisons sans rien, à l’exception de leurs vies et
des vêtements qu’ils portaient sur leur dos. Ces chrétiens ne sont pas
combattants contre l’islam ou des transgresseurs mais des amis, des voisins et
concitoyens ».
Du point de vue juridique de la charia, souligne en
effet le texte, « ils relèvent tous d’accords anciens, qui ont environ
1400 ans, et les décisions du djihad ne s’appliquent pas à eux. (…) En bref,
ils ne sont pas étrangers à ces terres, mais plutôt les peuples autochtones de
ces terres avant l’époque islamique ; ils ne sont pas ennemis, mais
amis ».
Dans un autre paragraphe consacré aux yézidis,
considérés par l’EI comme « des adorateurs de Satan » et, pour cette
raison, « tués par centaines et enterrés dans des fosses communes »,
ces savants musulmans affirment, références à l’appui, qu’ils doivent être
considérés eux aussi comme des « Gens du Livre ».
Quant à l’esclavage, « aucun érudit de l’islam ne
peut contester que l’un des objectifs de l’islam est de (l’) abolir »,
affirme le texte, qui rappelle que Mohammed lui-même avait affranchi ses
esclaves. « Vous avez remis en vigueur une pratique que la charia avait
travaillé sans relâche pour réparer et qui était considérée comme interdite par
consensus depuis plus d’un siècle », déplorent les auteurs. « Vous
portez la responsabilité de ce grand crime et toutes les réactions auxquelles
il peut conduire contre l’ensemble des musulmans ».
En conclusion, ces 120 savants musulmans du monde
entier reprochent aux combattants de l’État islamique d’avoir « mal
interprété l’islam » et d’en avoir fait « une religion de dureté, de
brutalité, de torture et d’assassinat ». « C’est un grand mal et une
atteinte à l’islam, aux musulmans et au monde entier », affirment les
auteurs, qui appellent les coupables à « se repentir », à
« cesser de nuire à autrui et revenir à la religion de la miséricorde ».
Anne-Bénédicte
Hoffner
"La
Croix", 26 septembre 2014