Une enquête
de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) donne l’image d’une
société française « où les opinions antisémites atteignent une haute
intensité dans des univers relativement limités mais dont l’expansion est une
thèse raisonnable ». Une société qui estime « que la plupart
des groupes qui la composent sont victimes de préjugés et de racisme : les
juifs, les musulmans, les maghrébins, les noirs, les blancs… », écrit
le directeur de la Fondapol, Dominique Reynié.
L’étude
sur « l’antisémitisme dans l’opinion publique française » rendue publique
vendredi 14 novembre, se fonde sur deux sondages menés par l’IFOP. Le
premier a été conduit en ligne, du 26 au 30 septembre, auprès de 1005
personnes de 16 ans et plus représentatives de la population. Le second,
administré en face-à-face dans la rue, a été mené auprès de 575 personnes de 16
ans et plus déclarant être nées dans une famille musulmane.
L’objectif
était de tester l’hypothèse soutenue en 2004 par Jean-Christophe Rufin
dans son rapport sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, selon
laquelle la part de l’extrême droite dans les violences antisémites reculait au
« profit » d’une frange issue de l’immigration. Le focus mis sur les
sondés de familles musulmanes permet de savoir, selon l’auteur de l’analyse, « si
les musulmans vivant en France sont plus ou moins susceptibles que la moyenne (…)
de partager des préjugés contre les juifs, voire de développer une vision
antisémite ».
- Comment mesurer l’antisémitisme ?
Pour mesurer
l’antisémitisme exprimé par les sondés, les enquêteurs ont construit un
indicateur à partir de six propositions reprenant les préjugés les plus
répandus. Les répondants étaient invités à dire s’ils étaient d’accord avec
chacun d’eux. Figure entre parenthèses le pourcentage d’interviewés d’accord
avec chaque proposition.
La
pluralité des questions permet d’évaluer l’intensité de l’antisémitisme
exprimé. Les personnes d’accord avec les six propositions sont considérées
comme plus virulentes que celles qui n’en approuvent qu’une ou deux. D’autres
questions plus quotidiennes permettent d’affiner ou de nuancer .
- Y a-t-il une propension à l’antisémitisme plus élevée chez les musulmans ?
Seuls
17 % des personnes issues de famille musulmane ne partagent aucun de ces
préjugés contre les juifs, contre 53 % dans la population globale. « Les
musulmans sont deux à trois fois plus nombreux que la moyenne à partager des
préjugés contre les juifs », note Dominique Reynié, et cela d’autant
plus qu’ils se déclarent pratiquants.
Mais en
réponse à plusieurs questions, ils témoignent d’opinions moins hostiles aux
juifs que les proches du Front National. Ils sont 85 % à affirmer que le
fait d’apprendre qu’une personne qu’ils connaissent est juive ne leur fait « rien
de particulier ». Ils approuvent largement l’idée qu’il est important
d’enseigner la Shoah pour prévenir une nouvelle tragédie et sont nettement plus
nombreux que les électeurs du FN à considérer qu’un Français juif est aussi
français qu’un autre. 68 % des musulmans (56 % de l’échantillon
global) pensent qu’il y a du racisme anti-musulman et 31 % (contre
36 %) qu’il y a du « racisme anti-juif ».
- Antisémitisme, antisionisme
« Les
questions sur le sionisme n’évoquent rien pour une part importante des
répondants » dans l’échantillon général (entre 42 % et 47 %), note
Dominique Reynié. Si, pour 46 % (51 % des musulmans), ce terme
recouvre « le droit des juifs d’avoir leur propre Etat »,
37 % (66 % des musulmans) considèrent que c’est « une
idéologie qui sert à Israël à justifier sa politique d’occupation et de
colonisation des territoires palestiniens », 25 % (57 % des
musulmans) pensent qu’il s’agit d’une « organisation internationale qui
vise à influencer le monde et la société au profit des juifs » et
23 % (46 % des musulmans) qu’il s’agit « d’une idéologie
raciste ».
- Quels sont les facteurs favorisant l’antisémitisme et le racisme ?
D’une
manière générale, note M. Reynié, « le fait de se déclarer proche d’un
parti politique, quel qu’il soit, est un facteur favorisant les préjugés contre
les juifs ». 63 % des personnes qui ne se considèrent proches
d’aucun parti ne partagent aucun des préjugés proposés, contre 53 %
seulement des autres.
Parmi les personnes
politisées, la plus forte proportion qui rejette les propositions antisémites
se trouve chez les Verts (62 %), la plus faible au Front national
(25 %). On retrouve le même phénomène lorsque l’on demande si telle ou
telle catégorie de personnes est « trop nombreuse » en
France : les M/aghrébins (51 % de oui en moyenne), les musulmans
(51 %), les étrangers en général (40 %), les noirs d’Afrique
(36 %), les Asiatiques (20 %) et les juifs (16 %).
C’est chez
les proches du Front national et, presque dans la même mesure, de Marine Le Pen,
que « l’on trouve, et de très loin, le plus d’opinions antisémites et
xénophobes ». Plus d’un sur deux trouvent qu’il y a trop de juifs dans
les médias et l’économie et éviterait d’élire un président juif, et 22 %
préfère éviter « un voisin juif ». Pour deux sur trois, un
Français musulman « n’est pas aussi français qu’un autre ».
Pour
Dominique Reynié, l’enquête manifeste que l’opinion antisémite « résulte
(…) d’un jeu de représentations et d’opinions politiques articulées entre
elles. L’antisémitisme s’inscrit dans un monde de défiance dominé par une culture
autoritaire, hostile aux immigrés, autant qu’aux différences sous toutes les
formes qu’elles peuvent prendre ».
L’enquête
montre une société traversée par de fortes tensions « qui pourraient traduire
la montée de logiques communautaristes » et qui se manifestent par le
fait qu’entre un tiers et la moitié des sondés estiment qu’il y a « beaucoup
de » racisme anti-musulman (56 %), anti-juif (36 %),
anti-noir (35 %) et anti-blanc (33 %).
Cécile Chambraud,
Le Monde, 14 novembre
2014