Notre émission du dimanche
15 juin sera bien singulière, car nous allons laisser de côté l'actualité pour
évoquer à nouveau la terrible mémoire de la Shoah. Nous ne le ferons pas avec un
historien mais avec un écrivain d'une grande sensibilité et qui est à la fois
une femme et une musulmane, Karima Berger. Nous parlerons de son dernier livre,
"Les attentives", sous-titré "Un dialogue avec Etty
Hillesum", c'est publié aux Editions Albin Michel. Elle est née en 1952 à
Ténes, en Algérie, et elle est venue vivre très jeune en France, en 1975, où
elle a soutenu un doctorat en sciences politiques. Elle a eu une vie très riche
puisqu'elle a été à la fois cadre supérieur dans de grandes entreprises, mais
également et depuis une dizaine d'années, écrivain, auteur notamment de
"L'enfant des deux mondes", en 2002 et de "Eclats d'islam".
Ces précisions sur sa biographie éclairent déjà sa propre personnalité, à la
fois très attachée à ses origines, à l'éducation qu'elle a reçue, et en même
temps et elle le souligne souvent, en rupture avec cela puisque sa vie d'adulte
s'est construite ailleurs. Et là, je dirais qu'elle a trouvé une sorte de
miroir dans la personnalité d'Etty Hillesum, cette jeune juive hollandaise déportée
à Auschwitz et morte à 29 ans, à l'automne 1943, elle qui a eu une vie
spirituelle si intense pendant cette période si noire, mais en restant en même
temps éloignée de sa religion. Je dois avouer aussi, avec un peu de honte, que tout
ayant tant appris sur la Shoah, je n'ai encore lu ni son journal intime écrit avant son arrestation,
ni les "Lettres de Westerbork", écrites dans ce sinistre camp de
transit d'où sont partis vers la mort plus de 100.000 hommes, femmes et
enfants, soit 70 % de la communauté juive des Pays Bas. Et c'est grâce à Karima
Berger, grâce à ce "dialogue spirituel au féminin" comme elle a
joliment dédicacé le livre que j'ai reçu, que je l'ai découverte et que nous
allons en parler sur Judaïques FM.
Etty Hillesum
Parmi les questions que je
poserai à Karima Berger :
-
Pour planter le décor et le décor au sens
propre du terme, puisque nous entrons au premier chapitre de votre livre
réellement dans ce que fut l'appartement d'Etty Hillesum à Amsterdam : qui était
cette mystérieuse petite marocaine au visage "animal et serein à la
fois" dans laquelle vous vous êtes quasiment réincarnée, pour accompagner
celle qui y a écrit son journal, il y a 70 ans ?
-
Vous évoquez Shéhérazade, l'héroïne des "Mille
et Une Nuits", et vous dites : "Comme cette femme d'Orient qui en
proie à un despote a parlé des nuits entières pour sauver ses sœurs, Etty tu as
écrit aussi pour sauver tes sœurs et le monde". Pourriez-vous nous expliquer ce rapprochement,
entre cette juive morte en déportation et Shéhérazade ?
-
Quand Etty Hillesum écrit : "je ne veux
pas être contaminée par cette haine farouche des Allemands qui verse un poison
dans nos cœurs", quand elle dit "on souffre des deux côté de toutes
les frontières, il faut prier pour tous", est-ce que ce n'est pas une
attitude chrétienne ?
-
Dans plusieurs parties de votre livre vous
évoquez ce que vous appelez "la part
orientale" de sa personnalité. Vous faites des rapprochements entre ses
paroles et ses gestes et la religion musulmane : ce sont des croisements entre
son journal et des versets du Coran, c'est le fait qu'un jour elle se prosterne
sur un tapis. Et puis il y a aussi chez elle cette forme d'abandon à Dieu, de
soumission qui est considérée comme la marque de l'islam. Que comprendre, dans
le fond, par cette notion de soumission ?
-
Etty Hillesum écrit en juillet 1942 "Ce
qui est en jeu, c'est notre extermination". Or elle a accepté de
travailler pour le "Judenrat", l'organisation de la communauté
imposée par les nazis qui, contrairement à la France, était chargé en partie de
l'administration du camp de transit de Westerbork, et de la définition des
convois qui partaient chaque mardi. Bien sûr qu'au final elle-même et sa
famille ont été déportés, comme tous ceux qui servaient de rouage à cette
machine infernale, mais enfin ce n'était pas une attitude courageuse : qu'en
pensez-vous ?
-
Pourquoi ce parallèle que vous faites entre
ce que vous appelez le "blanc arabe" sur la Shoah et le "blanc israélien"
sur la Nakba de 1948 ? Pourquoi n'avoir pas laissé la Shoah de côté, en mettant
plutôt en parallèle la souffrance des deux exodes, parce qu'il y a eu aussi un
million de juifs déracinés des pays musulmans ?
L'émission est déjà enregistrée, et cela a été un grand
bonheur d'avoir pour invitée une intellectuelle de si grande qualité : soyez
nombreux au rendez-vous !
J.C