Abnousse Shalmani
J'aurai le plaisir d'avoir dimanche prochain à
nouveau une femme écrivain comme invitée, Abnousse Shalmani. Elle vient de
publier un premier ouvrage au titre étonnant, "Khomeiny, Sade et
moi", édité aux Editions Grasset. Elle est née en 1977 à Téhéran et ses
premiers souvenirs de petite enfant correspondent au début de la République
Islamique, fondée après la révolution de 1979 par Khomeiny, "le vieux en
noir et blanc" comme elle le surnomme. Sa famille était à la fois très riche,
heureuse, et très détachée de la religion, elle raconte comment ils buvaient de
l'alcool et mangeaient du porc à la
maison. Très vite la chape de plomb du nouveau régime, l'obligation pour les
femmes de porter le tchador, la peur, la guerre avec l'Irak sont devenues
insupportables, et ses parents ont décidé de s'exiler en 1985 à Paris comme beaucoup
d'autres membres de sa famille. Son livre est absolument remarquable pour
plusieurs raisons, et j'invite vraiment nos auditeurs à le découvrir. D'abord
il est agréable à lire, sa maitrise de la langue française est parfaite alors que
ce n'était pas sa langue maternelle ; au delà de la qualité de l'écriture, elle
exprime aussi un amour de la France qui l'a accueillie, dont elle a pris la
nationalité et dont la crise et les fractures actuelles l'angoissent. Ensuite,
cette autobiographie n'est pas du tout ennuyeuse, parce qu'elle a écrit un peu
comme on rédige des scénarios de films, et d'ailleurs elle a commencé sa
carrière en réalisant des courts métrages : souvenirs, flash-backs, réflexions,
évocation alternée de journées ou de périodes longues, anecdotes personnelles
et évènements historiques, tout ceci s'articule dans des chapitres courts et plaisants
à lire. Et enfin, il y a un mélange délicieux entre une érudition remarquable
et un langage très cru - on ne compte plus l'usage des mots "cul",
"pute", etc. Au final et surtout, son livre est le cri d'une femme
révoltée, un pamphlet à la fois lucide et joyeux contre le spectre hideux de
l'intégrisme religieux.
Parmi les questions que je
poserai à Abnousse Shalmani :
-
Dès le premier chapitre, nous sommes en 1983,
vous avez 6 ans, vous racontez comment vous vous cachiez à chaque sortie
d'école pour enlever voile et pantalon, et sortir souvent "cul nu",
narguant les "femmes corbeaux" en tchador qui n'arrivaient pas à vous
rattraper, j'imagine que vos parents ont du avoir des problèmes avec la police
des mœurs. Comment ont-ils réagi ? Vous écrivez : "chacun devenait une
bête furtive qui surveillait les uns les autres". Est-ce que ce n'était
pas la marque d'une société totalitaire parfaite, dans laquelle aucune révolte
n'est imaginable ?
-
Vous évoquez "les femmes corbeaux", ces femmes
devenues suppôts fanatiques du régime et heureuses de leur nouvelle situation :
il y a une cousine très laide et très heureuse de voir les jolies femmes cacher
leur beauté ; une surveillante de l'école qui vous a coupé les ongles jusqu'au
sang ; une femme soldat à l'aéroport de Téhéran qui vous fouille et qui insulte
votre famille au moment de votre départ vers Paris. Mais au début du livre, on
voit arriver le terme "pute" qui reviendra ensuite comme un leitmotiv
tout au long du livre. Vous écrivez : "J'ai appris combien une pute pouvait
être délicate et sensible". Pourquoi cette fascination pour les
Courtisanes, les Libertines, les femmes "décalées" ?
-
Comment se fait-il qu'un régime aussi infect
ait pu tenir 35 ans ? Est-ce que finalement les Iraniens ont fait ce grand
retour vers le passé parce que cela correspondait, culturellement, à une
tradition chiite du martyre qui nous parait bien étrange ?
-
Passionnée comme votre père par la Littérature,
vous allez tomber tout à fait par hasard sur un auteur classique de la
Littérature érotique, Pierre Louÿs. Et puis, de fil en aiguille, vous vous
mettez à lire des livres libertins du 18ème siècle, et là, pour vous c'est une
révélation mais au sens politique du terme : vous écrivez "le sexe n'était
là que pour renverser la toute puissance de l'Eglise", et vous rêvez qu'on
puisse diffuser ces livres là en Iran : pourriez-vous l'expliquer à nos
auditeurs ? Et comment pourquoi cette fascination pour le Marquis de Sade, dont
le nom est étrangement associé à celui de Khomeiny ?
-
A propos de ceux qui se définissent de plus
en plus comme les "Musulmans de France", dénomination qui vous révolte
: j'ai découvert en vous lisant beaucoup d'inquiétude et de déception, et cela
depuis longtemps. Vous avez été très choquée, dès 1989, d'entendre des
camarades de classe traiter Salman Rushdie de "fils de pute" ; très
déçue qu'il n'y ait pas eu de manifestation de masse des musulmans après les
meurtres commis par Mohamed Merah ; très triste, quand une amie d'origine
algérienne, brillante, sympathique, s'est mise à porter le voile et à devenir
intégriste : faut-il désespérer face à tout cela ?
Un livre vraiment remarquable, un message bien
sympathique ... j'espère que vous serez nombreux au rendez-vous !
J.C