Dans l'Europe
de ce début de XXIe siècle, on tue des hommes, des femmes et des enfants pour
la seule raison qu'ils sont juifs. Ce n'est pas une violence indiscriminée,
aveugle. Ce sont des agressions ciblées, précises, perpétrées contre des
victimes choisies pour ce qu'elles sont – non pour ce qu'elles font ou auraient
pu faire.
La vérité de l'attentat commis le samedi 24 mai contre
le Musée juif de Bruxelles est là, dans toute sa brutalité et sa tragique
simplicité. La veille de l'élection du Parlement européen, dans la « capitale »
de l'Union Européenne, et
à quelques jours de l'anniversaire du Débarquement de juin 1944, étape cruciale
dans la défaite du nazisme, l'antisémitisme a tué sur le Vieux Continent –
encore.
La justice dira si le Français arrêté dimanche 30 mai
à Marseille est bien l'auteur de la tuerie du samedi 24. Ce jour-là, un homme
entre dans le Musée juif, en plein après-midi, au centre de Bruxelles. Il porte
un sac, en sort une arme et ouvre le feu. Il tire une douzaine de fois avant de
ressortir moins de
deux minutes plus tard. Quatre personnes sont tuées.
La scène rappelle les crimes commis le 19 mars 2012
par Mohamed Merah dans une école juive deToulouse. Ce jour-là, ce sont un
professeur et trois enfants qui sont tués dans la cour – parce que juifs. Merah
a rattrapé par les cheveux une fillette qui cherchait à s'enfuir, pour lui tirer
une balle dans la tête.
Avant d'analyser, il faut « décontextualiser », ne prendre
en considération que cette singularité factuelle, celle de Bruxelles comme
celle de Toulouse, pour lui donner toute sa signification : le retour d'une
judéophobie mortifère, cette haine raciste à l'état pur qu'est l'antisémitisme.
Un homme suspecté d'être l'auteur de
la tuerie du musée juif de Bruxelles a été arrêté ce dimanche à Marseille. Le
suspect est un Français de 29 ans. Il a été interpellé en possession d'armes et
est déjà connu des services de police.
Nombre d'indices semblent pointer la responsabilité du
jeune Français arrêté dimanche dans le quadruple meurtre de Bruxelles. Dans ses
bagages, la police a trouvé un fusil d'assaut Kalachnikov portant les
inscriptions d'un groupe djihadiste actif en Syrie ; un revolver, des munitions
et une caméra du type de celle utilisée par Merah pour filmer et «signer» ses crimes.
Comme Merah, le jeune homme paraît avoir mélangé
gangstérisme et djihadisme, tuant au nom d'un combat islamiste ou al-qaïdiste
dont la guerre en Syrie est le nouveau théâtre. Il y aurait séjourné un an, à
l'instar de centaines d'autres jeunes Européens, d'origine maghrébine le plus
souvent, pour lesquels la Syrie est devenue un camp d'entraînement au djihad.
Internet, et particulièrement Facebook, joue ici son
rôle de plate-forme de recrutement et de diffusion de l'invraisemblable fatras
idéologique qu'est le discours djihadiste. Celui-ci emprunte au vieil
antisémitisme européen et aux théories du complot qui s'épanouissent sur le Net
pour rhéabiliter les archétypes racistes les plus ignobles.
La libération de la parole antisémite est l'une des
marques de l'époque. Irréductible à telle ou telle explication géopolitique,
elle est portée, en France, par l'islam radical et par les vitupérations d'un «
comique » de boulevard trop célèbre. Ce serait fuir ses responsabilités que de
ne voir là qu'une affaire relevant de la police.
Editorial du journal "Le Monde", 2 juin 2014