Djihadistes en Syrie
Six personnes soupçonnées de s'être rendues récemment
en Syrie ont été interpellées et placées en garde à vue dans le cadre de l'opération anti-djihadiste menée à
Strasbourg le 13 mai 2014. Se pose ou se repose la question de leur
endoctrinement. Comme l'a montrée la démographe Michèle Tribalat dans un
article du Figaro (21 septembre 2001), "Sortir des amalgames",
les divers sites Internet francophones
ou arabophones fréquentés par de jeunes Français (musulmans) offrent
un matériau intéressant pour comprendre la problématique.
En premier lieu, de nombreux écrits sur les sites
islamiques développent des discours anti-occidentaux qui trouvent d'abord leur
justification, sous une forme ou sous une autre, dans les textes sacrés. On
s'étend longuement sur la corruption de la parole divine (le Coran) par les
juifs et les chrétiens, qui prêchent par anthropomorphisme, associationnisme et
idolâtrie. L'Occident impie est ensuite élevé au rang d'ennemi absolu, puis les
diatribes anti-américaines et antisémites viennent clore le tout. Le sociologue
Samir Amghar, interrogé par Le Parisien (20 septembre 2010, p. 2-3)
estime qu'Internet est devenu la principale source d'information religieuse,
mais aussi le principal pourvoyeur de radicalité.
Ce n'est plus tant dans les mosquées, lieux
traditionnels du débat mais aussi du recrutement des djihadistes avant le 11
Septembre 2001, et où les imams se savent aujourd'hui très surveillés par les
services de renseignement, que le jeune musulman français se rend. À la
question de savoir pourquoi une telle personne pourrait être sensible à ce
discours, il répond: "Ce jeune âgé de 15 à 35 ans, souvent issu de la
deuxième ou troisième génération de l'immigration, est mû par un double besoin
de rupture: à l'égard de ses parents, dont il considère l'islam routinier, et
du fait de sa quête d'identité. Sa revendication d'un islam éclairé comporte une
forte dimension protestataire." À la question de savoir quelles tendances
de l'islam on trouve sur la Toile, Samir Amghar répond: "Toutes. Mais un
site sur deux est, selon moi, de tendance salafiste. Car le salafisme, mouvance
fondamentaliste qui a pour référence les théologiens d'Arabie saoudite, a été
le premier à fonder son mode de prédication et de recrutement de fidèles sur
cet outil. On y distingue deux tendances: le salafisme djihadiste, minoritaire,
qui prône la violence comme moyen d'imposer la primauté de l'islam dans le
monde, et le salafisme quiétiste, qui récuse la violence terroriste tout en
préconisant la distance avec l'Occident impie et ses valeurs. Cette mouvance
supplante deux autres tendances: les Frères musulmans, dont l'influence s'exerçait
par les cours, la diffusion de cassettes et DVD, et les conférences; et le
Tabligh, qui utilisait le porte-à-porte."
C'est ainsi que les sites islamistes extrémistes (dont
une vingtaine en français au moins) gangrènent la toile, mêlant antisémitisme
virulent, théorie du complot et soutien au terrorisme. Différents discours des
figures majeures de la nébuleuse islamiste sont accessibles. Ces textes,
parfois longs (plus de dix pages) sont traduits en français. Ainsi, sur un
"forum islamique", l'Égyptien Ayman al-Zawahiri (le numéro deux
d'Al-Qaïda) répond longuement (mais pas en direct) à des questions
d'internautes; l'un d'eux demande s'il faut "partir au combat".
"Oui, l'assure Zawahiri, il y a la possibilité de partir en Irak ou en
Afghanistan si la personne trouve un guide de confiance." Parmi des récits
de "référence", on trouve aussi un "message à la jeunesse"
d'Abdullah Youssouf Azzam, cheikh palestinien qui fut à l'origine du premier
djihad en Afghanistan. "Rien que le djihad et les armes. Pas de
négociation, pas de discours, pas de dialogue", répète celui qui fut l'un
des modèles de Ben Laden. "Allah nous prépare pour la victoire",
détaille pour sa part, sur une trentaine de pages traduites à partir de cours enregistrés,
l'Américain d'origine yéménite Anwar Al-Awlaki -cet imam extrémiste de 38 ans a
été abattu au Yémen fin 2009. Propagandiste djihadiste, il avait fait de la
Toile son principal outil d'influence, et passe pour avoir été le
"conseiller spirituel" de trois des auteurs des attentats du 11
Septembre 2001 et, plus récemment, de Nidal Malik Hassan - ce psychiatre de
l'armée américaine a tué treize personnes en 2009 au Texas.
Les discours guerriers s'adressent également aux
femmes, les "cavalières de l'islam" (combattantes tchétchènes ou
palestiniennes). Un "cheikh martyr" détaille ainsi leur rôle
"dans le combat contre l'ennemi", tout de "sacrifice" à
l'époux et au fils. Un texte signé de l'épouse d'Al-Zawahiri et adressé aux
"sœurs musulmanes" vilipende "l'Occident impie qui ne veut pas
que tu te pares de ton hijab, car cette pratique divulgue leur déclin et la
bassesse de leurs mœurs". Mentionnons également la Fatwa du cheikh Salman
ibn Fahd al 'Awdah Hafizahullah sur le statut des opérations martyrs en Islam:
"Quant à celui qui frappe jusqu'à la mort, alors ça doit être sous le
contrôle de gens qui ont de l'expérience comme nous l'avons cité, pour
s'assurer qu'il y aura des morts et des blessés, qu'il y aura de gros dégâts,
que la terreur soit répandue chez les ennemis, que ça les pousse à rentrer chez
eux sans pour cela engendrer des représailles graves de leur part, tel que se
venger en tuant des innocents, ou la destruction des villes et des villages, ou
toute chose semblable."
Ces diatribes (sur le Net) sont si virulentes qu'elles
ne doivent pas manquer d'échauffer les esprits de quelques jeunes par ailleurs
perturbés, en quête d'identité et confrontés au dilemme de vivre dans un choc
de cultures. Par exemple, c'est ainsi que l'on trouve sur un portail de vidéo,
cet échange étonnant entre un Français récemment converti à l'Islam et le
Shaykh al-Albâni, sur le djihad. Le converti interroge le Shaykh: "Si les
fautes que l'on a fait avant de se convertir à l'islam, lorsque l'on fait la
chahâda ("attestation" ou "témoignage de foi" c'est la
profession de foi de l'islam, dont elle constitue le premier des cinq piliers),
ces fautes sont-elles effacées? Ces péchés sont-ils effacés?" Réponse du
prêcheur: "Le Messager a dit: "L'islam (la conversion d'une personne)
efface tous les péchés précédent (son) islam." Autre question: "Je
voulais savoir maintenant, nous, quand on veut s'engager pour le djihad
qu'est-ce qui est le plus important dans l'immédiat? C'est faire le djihad
contre soi-même (la science) ou faire le djihad avec les armes pour combattre
les mécréants?" Le converti demande ensuite ouvertement s'il doit partir
en Irak ou ailleurs et immédiatement pour accomplir le djihad par les armes.
La mouvance islamiste utilise donc le "réseau des
réseaux" et les sites qu'elle rassemble sont foisonnants et terriblement
dangereux. Grâce à l'Internet, les islamistes diffusent leur propagande et
recrutent les futurs terroristes dont certains, un jour, commettront des
attentats en Europe ou ailleurs.
Marc Knobel
Le "Huffington
Post", 16 mai 2014