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25 octobre 2020

Négationnisme sur Facebook : première victoire

        Photomontage représentant Marc Zuckerberg, et utilisé pour notre campagne

On a beaucoup parlé de l’influence délétère des messages haineux sur les réseaux sociaux, à l’occasion de l’assassinat horrible du professeur d’Histoire Samuel Paty. Rappelons qu’il fut soumis à une campagne de harcèlement pendant toute la semaine ayant précédé le passage à l’acte du meurtrier.

Tout le monde espère un électrochoc, et le gouvernement a convoqué les directions françaises des principales plates-formes du numérique – Facebook, mais aussi Twitter et d’autres – pour les inviter à prendre leurs responsabilités : mais disons tout de suite que ce combat là n’est pas gagné. Pour les patrons – tous américains – de ces réseaux, ils ne sont que des vecteurs, des circuits de transmission et on ne peut exiger d’eux de censurer à priori ce qui pourrait passer. Mais pour les avocats des différentes associations antiracistes ayant déposé des plaintes dans le passé au titre des Lois existant sur la presse, les réseaux sociaux pourraient être poursuivis comme éditeurs ou représentant légal d’un éditeur, aux dispositions des diverses lois existant ; et en particulier la loi Gayssot réprimant le négationnisme en France.

Petit rappel historique : j’ai fait – au sein d’un groupe informel, mais aussi personnellement – de la « veille » des pages Facebook (personnelles ou de groupes) supports de Dieudonné, dont la nocivité et la dangerosité ne sont apparues au grand jour qu’au début des années 2010. C’est à cette occasion que j’ai réalisé la diffusion effarante du négationnisme sous forme de publications virales, partages ou écrits personnalisés remettant sournoisement en cause la réalité de la Shoah. C’est ainsi que j’ai pris l’initiative de lancer une pétition sur la plate-forme « Change.org » début 2016, pétition qui allait être signée par près de 6000 personnes en quelques semaines. Les plus illustres personnalités l’ont soutenue, à commencer par Serge et Beate Klarsfeld mais également des responsables de la communauté juive, présidents d’institutions, représentant de toutes les religions, élus, journalistes, etc. J’avais parlé sur ce blog de la pétition. Quelques semaines plus tard, je parlais de cette campagne et des menaces du négationnisme lors des assises de la lutte contre la haine sur Internet.

J’ai pu remettre à la Direction interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme un dossier, expliquant la campagne menée et apportant des preuves – sous forme de captures d’écran – du refus de la modération de Facebook de supprimer des contenus négationnistes. Sans fausse modestie, donc, je peux prétendre avoir été un « lanceur d’alerte » au niveau français.

Quelle fut la suite ? La direction locale de Facebook s’est abritée derrière les arguments régulièrement avancées pour ne pas agir, avec en plus culturellement le clivage inconciliable entre la tradition américaine de liberté totale d’opinion – en vertu du premier amendement – et notre propre système juridique, commun à la France et à la majorité des pays européens, et héritier d’un passé abominable que les Américains n’ont pas connus, le nazisme et la Shoah.

Les années suivantes, peu à peu, discrètement, le négationnisme a été relativement modéré par Facebook en Europe : ainsi ont disparu les pages de supporters de Robert Faurisson ou autres négationnistes célèbres ; ceci étant, les signalements restent toujours aussi difficiles car les « boites de dialogue » utilisables pour les signalements, ne mentionnent toujours pas le cas spécifique de la négation des génocides, avec référence aux lois existantes. Cependant, cette propagande restait possible aux Etats-Unis, jusqu’à la déclaration toute récente de Marc Zuckerberg, le PDG fondateur du réseau social (lire sur le journal "Le Monde").  Dans un message publié ce 12 octobre sur son compte personnel, il explique avoir « longtemps lutté avec la tension qui oppose la défense de la liberté d’expression et la négation des horreurs de l’Holocauste ». « Ma réflexion a évolué en voyant les données qui montrent l’augmentation des actes de violence antisémite ».

L’autre géant des réseaux sociaux, devrait suivre Facebook : lire ici

Ce sont donc de vraies victoires : reste, malgré tout, à voir quelle sera l’efficacité des modérations mises en œuvre – en amont ? par signalement ? avec des logiciels dédiés ? Dans tous les cas, une veille militante reste plus que jamais nécessaire, en ces temps dangereux où toutes les haines se rejoignent et peuvent tuer à nouveau.

J.C