Abdoulaziz Al-Hassan, commissaire de la police
islamique de Tombouctou en 2012, est poursuivi par la CPI et est accusé
d’avoir mis en place une politique de viols, tortures et mariages forcés qui a
réduit les femmes à l’état d’esclaves sexuelles.
C’est dans une ancienne banque transformée en
commissariat islamique que des femmes de Tombouctou ont été parquées par
dizaines. Enfermées de longs jours dans cette prison de fortune, elles ont été
régulièrement violées pour avoir manqué aux règles imposées par les djihadistes.
Les associations de défense des droits humains parlent même de « viols
systématiques » pendant l’occupation de cette région reculée du nord
du Mali, en 2012, par les groupes armés Ansar Dine et Al-Qaida au Maghreb
islamique (AQMI).
Sept ans après les faits, la Cour pénale
internationale (CPI) a annoncé l’ouverture prochaine du procès de l’ancien
commissaire de la police islamique de Tombouctou, le Touareg malien Abdoulaziz
Al-Hassan. Lundi 30 septembre, les juges de la CPI ont confirmé les
charges de « crimes de guerre » et « crimes contre
l’humanité » à son encontre. Entre autres, il est accusé d’avoir mis en
place une politique de viols, tortures et mariages forcés qui a réduit les
femmes de la ville à l’état d’esclaves sexuelles.
« Celles qui ne s’étaient pas bien couvertes,
celles qu’on voyait en compagnie d’un homme qui n’était pas leur mari, celles
qui étaient prises en train de faire le commerce des produits de beauté… Toutes
ces femmes étaient arrêtées, battues et envoyées à la prison pour femmes. Et
dans cette prison, elles étaient violées », explique Bintou Samaké, la
présidente de l’association Wildaf (Women in Law & Development in
Africa), qui fournit du soutien aux femmes victimes de violences.
« Récompenser » les
djihadistes
Mariama* se souvient de sa colère contre les groupes
djihadistes arrivés à Tombouctou, qui bouleversaient son quotidien par leur
violence et leurs règles arbitraires. « Il n’y avait pas de
divertissements, pas de loisirs, pas d’éducation », raconte la jeune
femme, alors âgée de 15 ans. Un jour qu’elle part chercher de l’eau, elle
décide d’ignorer ces règles et sort tête nue. C’est une course rapide, elle
espère passer inaperçue. Mais les extrémistes l’arrêtent et la traînent au
commissariat islamique. Pendant son emprisonnement de quarante-huit heures,
deux gardes l’emmènent dans une pièce reculée, où elle est violée. « Lorsqu’ils
ont fini, ils m’ont demandé de m’habiller. Je n’avais même pas la capacité de
me lever », raconte-t-elle tout bas. A son retour dans la maison
familiale, elle ne dit rien de ce qu’elle vient de subir.
A Tombouctou, beaucoup ont aussi été forcées au
mariage pour « récompenser » les soldats du djihad et
autoriser des relations sexuelles « dans le respect de la
religion », selon la procureure de la CPI, Fatou Bensouda. Parfois,
ces mariages étaient collectifs, les extrémistes se cotisant pour payer une dot
à plusieurs. Une fois la nuit tombée, l’époux officiel laissait place à
d’autres qui, tour à tour, abusaient de leur « femme »,
racontent les enquêteurs qui se sont rendus sur place. Dans certains cas, les
mariages forcés ne duraient que quelques heures et, aussitôt consommés, se
concluaient par un divorce.
En 2012 et 2013, Wildaf a recensé 173 femmes
victimes de violences sexuelles et dont les séquelles physiques, psychologiques
ou les grossesses résultant des viols auraient nécessité une assistance
immédiate. Mais le vrai nombre des victimes, selon les associations, serait de
plusieurs milliers. La plupart se sont tues pendant des semaines, des mois
voire des années, de peur d’être mises à l’écart et blâmées par leurs familles.
Des années plus tard, les langues se délient peu à peu, dans l’espoir que
justice soit rendue.
Après l’arrivée de ceux qu’elle appelle « les
occupants », Ada*, alors âgée de 20 ans, est restée terrée dans
sa maison. Finalement sortie faire des courses pour sa famille, elle est
fouettée en plein marché pour n’avoir pas porté de voile. Elle doit utiliser
l’argent des courses pour acheter de quoi se couvrir. Puis, après une autre
visite au marché, elle reçoit deux demandes en mariage, qu’elle refuse. La
troisième demande n’en est plus une. « Ils sont venus de force, parce
que c’est la loi du plus fort », se souvient-elle. Amenée dans une
nouvelle maison avec le mari qu’elle n’a pas choisi, enfermée pendant deux
semaines, elle est violée tous les soirs. Puis, un matin, le djihadiste divorce
et se remarie aussi vite. « Ça m’a encore déchirée de l’intérieur »,
dit-elle, meurtrie à l’idée qu’une autre femme vive son calvaire.
Aucun homme n’a été inculpé
Ada n’a plus revu son bourreau, qui a quitté la ville
au moment de l’intervention des forces françaises pour libérer le nord du Mali
du joug des extrémistes, en janvier 2013. Beaucoup d’autres n’ont pas eu
cette chance : aucun homme n’a été inculpé pour les viols commis pendant
l’occupation de Tombouctou ; victimes et agresseurs se croisent
régulièrement dans les quartiers centraux de cette cité de 50 000 habitants.
Très peu de femmes ont reçu une assistance médicale ou
psychologique. La Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR), mise en
place par le gouvernement malien pour enquêter sur les crimes de guerre commis
depuis l’indépendance, ne dispose que d’un seul psychologue, basé à Bamako,
pour assister des milliers de personnes affectées. Le procès d’Al-Hassan est le
premier à entendre des victimes de ces crimes. Au Mali, deux plaintes
collectives de victimes de violences sexuelles, déposées en 2014 et 2015,
n’ont jamais abouti après que les juges chargés d’enquêter ont quitté le nord
du pays pour garantir leur propre sécurité.
Malgré un accord de paix signé à Alger en 2015,
les femmes du nord n’ont pas connu de répit. L’année dernière, Alioune Tine,
expert indépendant sur la situation des droits humains au Mali,
déclarait : « Aucune femme ne peut monter dans un bus entre Gao et
Bamako sans risque de violence physique ou sexuelle. » A mesure que
les violences contre les civils se déplacent vers le centre du pays, les viols
se multiplient.
Sept ans plus tard, Mariama essaye toujours de
reprendre une « vie normale » et de retrouver l’insouciance
qui lui a été volée. Le procès d’Al-Hassan, espère-t-elle, lui apportera un
début de répit : « Il faut qu’il paye, dit-elle. S’il
n’avait pas ouvert le commissariat islamique, tout ça ne serait pas
arrivé. »
* Les prénoms ont été changés
Anna Pujol-Mazzini
Le Monde, 1er octobre 2019