Rechercher dans ce blog

24 septembre 2017

Quand le président turc Erdogan fait campagne pour les législatives allemandes



Le portrait du président turc Recep Tayyip Erdogan 
sur une affiche électorale de l'Alliance des démocrates allemands (ADD) 
dans une rue de Cologne, le 7 septembre 2017 en Allemagne 


Dans les rues de Cologne, à quinze jours des législatives, un portrait plein d'autorité illustre les affiches électorales de l'Alliance des démocrates allemands (ADD). Celui du président turc Recep Tayyip Erdogan.

L'homme fort d'Ankara n'est bien sûr pas candidat au scrutin du 24 septembre, mais l'intention est claire : s'ingérer dans le jeu politique allemand quitte à envenimer la crise avec la chancelière Angela Merkel que tout destine à un quatrième mandat.

Depuis le coup d'État raté de juillet 2016, les relations sont au plus bas, M. Erdogan estimant que l'Allemagne protège des conjurés. En retour, Berlin le taxe de dérive autoritaire en muselant partis et médias d'opposition.

En août, M. Erdogan a de nouveau sonné la charge en appelant les 1,2 millions d'électeurs germano-turcs -- travailleurs invités des années 1960-70 et leurs descendants notamment-- à voter en masse contre la dirigeante conservatrice, les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts. Tous qualifiés d'"ennemis" de la Turquie.

L'ADD, dont tous les candidats sont d'origine turque, n'a certes aucune chance d'être représentée au Parlement, mais le fait que ce parti fasse campagne avant tout dans la partie occidentale de l'Allemagne n'est pas anodin.

- L'écho positif d'Erdogan -

Il veut ainsi surfer sur l'amertume de Turcs considérés des décennies durant comme de la simple main d'œuvre pour le bassin industriel de l'ouest du pays. Mme Merkel a d'ailleurs reconnu que cette population avait été méprisée, l'Etat ne leur ayant proposé aucune forme d'intégration jusque dans les années 1990.

"Ce message qu'Erdogan défend une Turquie forte et les Turcs d'Allemagne trouve un écho positif en particulier auprès de ceux qui ont un sentiment d'exclusion, de discrimination", relève le chercheur Yunus Ulusoy, de l'Université de Duisburg-Essen.

Tarik, employé dans un café et qui vit en Allemagne depuis 15 ans, est de ceux qui du coup s'abstiendront donc le 24 septembre.

"Jusqu'ici je votais SPD, mais tous sont des menteurs. Ce coup-ci je ne voterai pas", explique ce Berlinois de 45 ans, martelant que grâce à Erdogan "la Turquie est devenue mille fois mieux, aussi bien que l'Europe".

Jusqu'ici cependant les Turcs d'Allemagne ont largement fait la part des choses. Issus pour beaucoup des classes populaires, ils ont voté majoritairement pour le camp islamo-conservateur de M. Erdogan lors des scrutins turcs, tout en étant fidèles à la gauche en générale et au SPD en particulier lors d'élections allemandes.

Néanmoins, les ministres des Affaires étrangères et la Justice, Sigmar Gabriel et Heiko Maas sont inquiets. Ils ont appelé à stopper la "propagande" diffusée notamment à travers les centaines de mosquées contrôlées par Ankara en Allemagne.

"Nous ne devons pas (...) sous-estimer les dangers qui émanent des organisations étatiques d'Erdogan", ont-ils écrits dans une tribune, craignant que "les communautés musulmanes d'Allemagne ne tombent (...) sous l'influence du président" turc.

- Une communauté déchirée -

Les services de sécurité allemands se sont eux alarmés de l'exacerbation en Allemagne des conflits politiques turcs.

"Le profond fossé qui divise la Turquie traverse aussi la communauté germano-turque", confirme le chercheur Yunus Ulusoy.

"Le paysage politique turc a toujours été déchiré - entre gauche et droite, laïcs et religieux, kurdes et nationalistes. La nouveauté, c'est l'intensité de la division et l'importance qu'y prend une seule personne : Erdogan", poursuit-il.

Face à ces tensions, les représentants des Turcs se veulent rassurant.

M. Erdogan devrait cesser d'avoir "une attitude paternaliste envers les Turcs installés en Allemagne", dit ainsi à l'AFP, Gökay Sofuoglu, président de la Communauté turque, la principale organisation germano-turque. "Nous n'avons pas besoin de leçons de démocratie".

Dilmar Yilmaz, jeune vendeuse de Baklava à Berlin lui donne raison, exprimant à la fois de l'admiration pour le président turc et son intention de voter selon des considérations politiques allemandes.

"Il a mis la Turquie à une bonne place dans le monde. La Turquie n'est plus pareille : les routes sont meilleures, tout est meilleur", relève-t-elle.

"Mais tout ce qu'il dit n'est pas bon", dit la jeune femme de 24 ans dont le cœur penche pour le SPD.


(©AFP 15 septembre 2017
Trouvé sur le site Romandie.com