Rechercher dans ce blog

26 septembre 2017

Les Libanais affrontent les tabous de leur guerre dans “L’Insulte”



Le film est l’histoire d’une simple querelle de rue dans le Liban d’aujourd’hui entre Tony, Libanais et nationaliste chrétien, et Yasser, un réfugié palestinien, qui devient une affaire nationale

Vingt-sept ans après avoir pris fin, la guerre civile est revenue hanter les Libanais le temps d’une soirée : le film de Ziad Doueiri visionné mardi en avant-première à Beyrouth dans des salles combles, dépeint avec un réalisme inédit les tabous du conflit.
Le succès du film à la Mostra de Venise (prix du meilleur acteur au Palestinien Kamel El Basha) a été éclipsé par la brève arrestation le weekend dernier de Doueiri en raison d’un long-métrage qu’il a filmé en 2012 en Israël, contrevenant à la législation libanaise.
Le Franco-libanais, qui a quitté le Liban pour les Etats-Unis en pleine guerre civile (1975-1990), s’attaque avec « L’Insulte » pour la deuxième fois au thème de ce conflit, après « West Beirut » (1998, prix François Chalais).
« La guerre du Liban m’a accompagné jusqu’à Los Angeles », explique Doueiri dans un entretien à l’AFP la veille de l’avant-première du film, produit par la Française Julie Gayet.
« La division de Beyrouth entre Est et Ouest est restée vive dans ma mémoire malgré la fin de la guerre et la réunification de la capitale », poursuit-il.

 ‘Chapitres interdits’

« L’Insulte » est l’histoire d’une simple querelle de rue dans le Liban d’aujourd’hui entre Tony, Libanais et nationaliste chrétien, et Yasser, un réfugié palestinien.
La bagarre devient une affaire nationale, ravivant les divisions qui ont déclenché le conflit.
Dans les années 1970, l’établissement de factions armées palestiniennes au Liban était rapidement devenue la pomme de discorde dans ce petit pays. La guerre oppose au départ milices chrétiennes et factions palestiniennes, avant de dégénérer en conflit armé entre chrétiens d’une part et musulmans et factions de gauche favorables à la cause palestinienne de l’autre.
Le film a été salué par les critiques libanais car il aborde de manière franche et sans clichés le thème de la réconciliation, dans un pays où il n’y jamais eu après la guerre d’enquête officielle, de travail de mémoire ou de commissions nationales de réconciliation.
« L’Insulte », ou « Procès N°23 » dans la version originale en arabe, « ouvre des chapitres interdits dans la mémoire collective des Libanais », affirme à l’AFP le critique de cinéma Nadim Jarjoura.
Mais au-delà de la division, le film « explore la nécessité de la réconciliation avec soi-même, sans laquelle il n’y a pas de réconciliation avec autrui », poursuit-il.
« Il faut revenir au passé pour pouvoir en sortir ».
Le script du film, qui commence dûment par une insulte, est d’une audace rarement ressentie dans le cinéma libanais abordant la guerre.

‘Toujours en guerre’

« Sharon aurait dû vous annihiler », lance Tony, incarné par l’acteur libanais Adel Karam, à l’adresse du Palestinien Yasser (Kamel el-Bacha).
Une référence au massacre dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila (1982), perpétré par des milices chrétiennes mais au vu et au su de l’armée israélienne qui venait d’envahir Beyrouth-Ouest, sous la direction d’Ariel Sharon, alors ministre de la Défense.
Tony, lui, est traité de « chien sioniste » : un autre tabou de la guerre au Liban lorsque des factions chrétiennes ont collaboré avec l’Etat juif, pour repousser la menace que représentaient selon elles les Palestiniens pour le Liban.
« Aucune faction ne peut dire qu’elle seule a été persécutée, qu’elle seule a été lésée ou qu’elle seule a versé du sang durant la guerre, assure Ziad Doueiri. Je suis entré autant que j’ai pu dans l’Histoire, mais sans exagérer. »
Dans « L’Insulte », les Libanais n’ont pas encore tourné la page de la dissension, alors que le pays est toujours fortement divisé, notamment sur le conflit dans la Syrie voisine ou les armes du Hezbollah, groupe terroriste chiite.
A son avocat qui lui demande s’il prendrait les armes aujourd’hui, Tony réplique « on est toujours en guerre ».
Mais si les séquelles sont encore vivantes, le chemin vers le purgatoire est possible, semble suggérer le film, avec les personnages se rapprochant au fil du scénario.
Un silence empreint d’émotion s’installe dans la salle à la fin du film, avant que les langues ne se délient, notamment avec des discussions entre générations.
« Tu ne peux plus penser comme ça papa, la guerre est finie », lance un jeune homme à son père grisonnant.

AFP, 15 septembre 2017

Article trouvé sur le « Times of Israël »