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25 septembre 2012

La politique étrangère turque s’essouffle


La politique étrangère menée par Ankara depuis le printemps arabe s’est illustrée par un échec flagrant. Comment expliquer ce constat ? Pour le chroniqueur Cumali Önal, le changement de paradigme stratégique turc du «soft power», plus en souplesse, à un «smart power» plus offensif explique cet échec et ce retour en arrière diplomatique.
L’échec de la politique étrangère turque, amorcé avec le printemps arabe, ne cesse de s’aggraver. Il n’y a plus trace aujourd’hui de cette Turquie qui développait de nouveaux objectifs avec l’Union européenne, Israël et l’Iran d’un côté, et qui, de l’autre, concevait des projets à long terme avec la Syrie, la Russie et les États-Unis. Comme dans le cas de sa politique intérieure, le gouvernement présente des signes d’épuisement. Les développements en Syrie expliquent certainement, dans une large mesure, l’état actuel de la politique étrangère. La Turquie, et en particulier le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, n’a cessé de multiplier les déclarations fermes sur la crise syrienne, lançant des menaces au régime de Bachar al-Assad. Cependant, force est de constater que nous avons été laissés seuls face à la crise syrienne. Les pays occidentaux font profil bas dans leur soutien à la Turquie face à la crise syrienne, et le pays est bien conscient que ce type de soutien, typiquement occidental, sera complètement abandonné si les pays occidentaux estiment la chose nécessaire. 

Les illusions égyptiennes de la Turquie

Quatre pays arabes qui ont renversé leurs dictateurs par le biais d’une révolution – à savoir l’Egypte, la Libye, la Tunisie et le Yémen – ne voient pas dans la Turquie un modèle et ne la rangent pas davantage dans la catégorie des pays auxquels ils attachent une importance particulière, et ce, malgré tous les efforts et les initiatives diplomatiques déployés en ce sens par la Turquie. En particulier, il semble très peu probable que l’Egypte, où les Frères musulmans ont aujourd’hui conquis le palais présidentiel, établissent des liens plus étroits avec la Turquie, en dépit des efforts intensifs de l’administration de M. Erdogan. Dès lors, établir au Moyen-Orient une relation de coopération avec l’Egypte qui serait comparable à celle qui existe entre l’Allemagne et la France en Europe est à court terme un vœu pieux. La nouvelle priorité de l’Egypte a été clairement révélée par la visite en Arabie saoudite de son nouveau président Mohamed Morsi. Non seulement la politique étrangère turque a échoué à s’adapter aux nouvelles conditions, mais encore ses organes diplomatiques – représentés par le Bureau de la diplomatie publique, l’Agence turque de coopération et de développement (TIKA) et les différents centres culturels Yunus Emre – se sont également révélés inefficaces. Par ailleurs, le projet du gouvernement visant à développer les sections arabes de l’agence de presse Anatolie et de la Radio et télévision turque (TRT) dans le but de développer l’image de la Turquie semble également s’être soldé par un échec. L’élan qu’avait créé la politique de la Turquie vis-à-vis d’Israël semble avoir disparu. Ni Israël, ni les groupes palestiniens ne font plus mention de la Turquie. En particulier, nous voyons de près aujourd’hui comment les efforts de la Turquie vis-à-vis de la question palestinienne se sont révélés improductifs. 

Un retour à l’ancien régime diplomatique

Quant à la politique de la Turquie vis-à-vis de l’Irak, c’est une énigme. Nous ne voyons pas aujourd’hui ce que la Turquie a gagné à offrir refuge à l’ancien vice-président de l’Irak Tariq al-Hashimi. Et le monde arabe n’apprécie pas, pour le moins, le fait que la Turquie lui ait offert l’asile. Au contraire, la campagne anti-turque dirigée par le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, qu’on décrit comme étant un second de Saddam Hussein, s’accentue. On sait par ailleurs que les chiites irakiens ne se sentent plus proches de la Turquie. En raison de la politique turque vis-à-vis de la Syrie, les relations turco-iraniennes connaissent leur période la plus tendue ces dernières années. Les deux pays sont en concurrence implicite, et cherchent à s’affaiblir l’un l’autre. Les signaux d’alarme concernent également les relations de la Turquie avec un certain nombre d’organisations internationales et de puissances mondiales, y compris l’UE, l’Union africaine, la Russie et les États-Unis. Pour certains, la raison principale de ces problèmes est que la Turquie a abandonné sa stratégie de pouvoir doux (soft power) pour la remplacer par une stratégie de pouvoir intelligent (smart power). Quelle que soit la raison, la Turquie a besoin d’un nouveau dynamisme et d’un nouvel enthousiasme en matière de politique étrangère. Après avoir été menée avec succès, la stratégie du «zéro problèmes» a été complètement mise de côté. La Turquie est retournée à la politique étrangère qu’elle poursuivait avant l’arrivée au pouvoir de l’AKP. Il n’existe aujourd’hui pratiquement aucun pays limitrophe avec lequel la Turquie n’ait pas de problèmes.

Cumali Önal,
Zaman Today, 27 juillet 2012

Nota de Jean Corcos :
Intéressant article que cette critique publiée par l'édition Internet du journal international turc "Zaman" : rattaché au mouvement conservateur religieux de Fethullah Gülen, on le disait proche du parti au pouvoir AKP. Or - et ce n'est pas la première fois qu'on le constate - on découvre ici une critique nette de la diplomatie du Premier Ministre Erdogan ...