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13 avril 2012

«L'autre atelier du monde» survole la crise


C'est le plus grand pays musulman du monde... et l'économie la plus «hot» d'Asie du Sud-Est. Contradiction?

Non, c'est l'Indonésie. Malgré ses convictions religieuses qui ne sont pas habituellement associées à un grand dynamisme économique, ce pays est l'un des rares qui transcendent la crise économique mondiale.
Économie galopante, dette négligeable, ressources abondantes... même l'intraitable Moody's vient de relever sa note de crédit. Surnommée «l'autre atelier du monde» après la Chine, l'Indonésie est le nouveau «I» qu'il faudra un jour inclure dans le BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
Le dernier bilan est fort enviable: l'économie indonésienne a enregistré une croissance de 6,5% l'année dernière, un sommet depuis 1996. L'inflation a aussi ralenti en janvier pour revenir à 3,65% en rythme annuel - un exploit dans la mesure où plusieurs pays émergents ont du mal à contenir la hausse des prix à la consommation.

Les grands industriels de la planète sont impressionnés.

Après les géants japonais de l'automobile qui sont déjà implantés au pays, General Motors et Ford de même que l'indien Tata Motors veulent y construire des usines. Mercredi dernier, Toyota en a rajouté en annonçant un nouvel investissement de 200 millions dans cet immense archipel de 17 500 îles.

Une armée de consommateurs

Comment l'Indonésie fait-elle pour résister aux chocs économiques pendant que ses voisins en souffrent, incluant la Chine?
«L'Indonésie est une exception en Asie», explique Bank of America Merrill Lynch dans une note financière. Même si la croissance ralentissait légèrement en 2012, à un taux annuel de 6%, le pays profite «des investissements étrangers», de ses projets d'infrastructures et d'une «forte consommation domestique», dit le courtier.
Le miracle indonésien, on le doit en effet à une «demande intérieure très robuste» nourrie par 240 millions d'habitants, confirment les économistes de l'OCDE (Organisation de coopération et le développement économiques).
Le produit intérieur brut (PIB) par habitant reste certes faible (4200$US par habitant, selon la Banque mondiale, soit la 157e place mondiale). Mais le quatrième pays le plus peuplé de la planète voit grandir sa classe moyenne: avec 50 millions de personnes, elle dépasse déjà celle de l'Inde et atteindra 171 millions d'ici à 2020, selon la banque britannique Standard Chartered.
Ainsi, la consommation génère plus de la moitié de l'activité économique, rendant le pays moins dépendant des exportations et donc moins vulnérable aux soubresauts venus d'Europe ou des États-Unis. Et pour maintenir cette vitesse de croisière, les autorités ont encore abaissé les taux d'intérêt jeudi dernier, une troisième détente en quatre mois.
Première économie du Sud-Est asiatique, l'Indonésie figurera «parmi les 10 plus grandes puissances en 2020 et les 6 en 2030», prédit Standard Chartered.
L'agence Moody's souligne également que le déficit budgétaire est resté inférieur à 2% du PIB depuis 2001 (contre environ 10% aux États-Unis). La dette publique ne dépasse pas les 30% (plus de 100% pour les États-Unis).

Corruption, inégalités

Évidemment, l'Indonésie n'est pas sans reproches.
Ce pays souffre toujours de son passé sous le régime Suharto. Les Indonésiens ont engagé des efforts ces dernières années pour lutter contre la bureaucratie, les inégalités sociales et la corruption. Mais elle se trouve toujours parmi les 150 pays les plus corrompus, selon Transparency International.
Une autre priorité est de rattraper le retard dans les infrastructures: peu d'autoroutes, toujours pas de métro dans la capitale Jakarta, des liaisons maritimes dangereuses, une production électrique insuffisante... Ces handicaps ont empêché le pays d'attirer des investissements d'envergure, déplorent les économistes.
Depuis peu, les ouvriers indonésiens multiplient aussi les actions spectaculaires pour améliorer un salaire souvent limité à environ 150$CAN par mois. Organisant de grandes manifestations, ceux-ci ont provoqué des embouteillages monstres à Jakarta il y a quelques jours.
Outre les fabricants d'automobiles, les Nike et Samsung de ce monde se sont rués au pays ces dernières années pour profiter des salaires avantageux. Le salaire minimum, qui varie en fonction des provinces, évolue entre 90$ et 200$ par mois en Indonésie, contre une moyenne de 300$ en Chine et 270$ en Inde, selon une étude de la Japan External Trade Organisation.
Or, le dernier coup de force des ouvriers a payé: le gouvernement vient d'accepter de hausser le salaire minimum.
L'Indonésie ressemble donc à la Chine et à l'Inde... d'il y a 10 ou 15 ans. Encore beaucoup de problèmes à régler, mais le «Dragon de Komodo», comme l'appellent ses voisins asiatiques, a un potentiel énorme.

Richard Dupaul
La Presse.ca (Canada), le 13 février 2012