L’accord ouvre la voie à une reprise des opérations en
Irak, gelées depuis l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani par un
drone américain le 3 janvier.
C’est, dans l’esprit de beaucoup, un premier pas vers
le projet « Nato Middle East » – ou NATO-ME – cette initiative floue
évoquée par le président américain Donald Trump à la mi-janvier. Lors d’une
réunion à Bruxelles, mercredi 12 et jeudi 13 février, les ministres
de la défense de l’OTAN ont entériné le principe du transfert d’une partie des
missions menées en Irak par la coalition internationale de lutte contre l’Etat
islamique (EI) vers l’Alliance atlantique. Celle-ci reprendra les tâches de
formation et de conseil de l’armée irakienne.
L’accord était soumis à l’aval des autorités de
Bagdad, alors que le Parlement irakien avait, lors d’un vote dominé par la majorité
parlementaire chiite et boycotté par les formations kurdes et sunnites, réclamé
le départ des troupes étrangères suite à l’assassinat par un drone américain,
le 3 janvier, du général iranien Ghassem Soleimani. Dans la nuit de
mercredi à jeudi, le gouvernement de Bagdad a marqué son accord pour un rôle
accru de l’OTAN. Cela ouvre la porte à une reprise des opérations, gelées
depuis plusieurs semaines.
« La
résolution du parlement de Bagdad n’était pas contraignante, et l’idée d’une
mission sous le label OTAN est, pour les dirigeants irakiens, plus facile à
vendre en interne qu’une mission américaine, alors qu’ils refusent par ailleurs
d’être au cœur d’une guerre entre les Etats-Unis et l’Iran », analyse un diplomate européen.
Trois nouvelles bases
Tant le secrétaire général de l’Alliance, Jens
Stoltenberg, que le secrétaire américain à la défense, Mark Esper, se sont
montrés peu diserts sur les détails de l’accord. Les modalités devaient être
discutées vendredi, lors de la Conférence internationale sur la sécurité de
Munich, entre les membres de la coalition anti-EI. Il s’agira notamment de
fixer le nombre des militaires transférés d’une mission vers l’autre et
d’envisager la création de trois bases nouvelles, dans le centre de l’Irak.
La France semblait jusqu’ici réticente à s’engager
sous la bannière otanienne. Le chef d’état-major des armées, le général
François Lecointre, avait évoqué ses réserves. Avec ses 160 instructeurs sur
place – dont la présence assure aussi l’accès au renseignement – la mission
française a formé, au total, 27 000 militaires irakiens depuis 2015, dont
des forces antiterroristes. Les autres principaux contributeurs sont le
Royaume-Uni (400 militaires, l’Australie (300) et le Canada (250). Ce dernier
pays assure actuellement le commandement de la mission, qui devrait être repris
par le Danemark (avec 200 hommes) en 2021.
Les membres européens de l’OTAN exigeaient un accord
clair de Bagdad et insistent sur le fait que la mission de l’OTAN n’inclura pas
des missions combattantes. Ils refusent aussi nettement d’être impliqués dans
la logique de « pression maximale » de l’administration américaine
vis-à-vis de l’Iran : la représentation diplomatique des Etats-Unis à
l’OTAN est apparemment parvenue à convaincre Washington que les alliés
européens n’accepteraient aucune concession au sujet de la mission en Irak
s’ils avaient le sentiment qu’ils pouvaient être attirés dans le conflit avec
Téhéran.
Trump veut sortir des « guerres
sans fin »
Certains questionnent l’empressement de l’OTAN à acter
un rôle accru en Irak. Le feu vert de Bagdad a été donné par le premier
ministre démissionnaire Adel Abdel-Mahdi, qui avait pourtant indiqué que la
décision reviendrait à son successeur désigné. Ce dernier, Mohammed Taoufiq
Allaoui, est engagé dans des tractations pour former un gouvernement, au succès
encore incertain. Les équilibres politiques au sein du nouvel exécutif
pourraient influer sur les modalités du maintien des forces étrangères, alors
que les factions proches de l’Iran insistent toujours sur leur retrait complet.
« Les négociations avec Bagdad sur le futur rôle
de la coalition internationale n’ont pas débuté. Or du périmètre de la mission
de la coalition dépend celui de la mission de l’OTAN », souligne un diplomate d’un pays
membre de la coalition à Bagdad. Aucune évaluation détaillée des besoins en
matière de formation et d’appui à la lutte anti-EI, ajoute-t-il, n’a en outre
été réalisée par l’Irak.
L’accord conclu jeudi ébauche, quoi qu’il en soit, un
désengagement des Etats-Unis au Moyen-Orient. Des officiels américains tablent
d’ailleurs sur une extension à court terme de la mission de l’Alliance. « Oui »,
a répondu, sans autre explication, M. Esper, jeudi soir, quand il a été
interrogé sur une possible réduction, à bref délai, du personnel américain en
Irak.
« Le réinvestissement militaire en Irak décidé
par l’administration Trump a été plus subi que désiré, souligne un diplomate européen. Il
a seulement été motivé, depuis mai 2019, par les diverses actions lancées
par l’Iran, mais la logique de Trump reste bien de sortir des “guerres
sans fin”, de laisser jouer les équilibres régionaux ou les pays les
plus concernés. »
C’est dans ce cadre, indique une autre source, que se
place le projet « NATO-ME », fruit d’une réflexion en cours au
Pentagone sur la nécessaire sortie de plusieurs théâtres de conflit, au profit
d’un repositionnement face à la Chine et la Russie et d’un réinvestissement
dans la zone du Pacifique. Dans ce cadre, l’Europe et des acteurs régionaux
seront incités à faire davantage au Moyen-Orient, une aire géographique qui,
dans l’esprit de certains responsables conservateurs, devrait d’ailleurs être
étendue au Maghreb et au Sahel.
Avec, à la clé, bien des questions pour les
partenaires de Washington. Et la conviction, chez certains de ceux-ci, que
« les opérations de l’OTAN ne marchent vraiment bien que quand on y relève
une forte présence américaine » comme le dit un diplomate…
Hélène Sallon, Nathalie Guibert et Jean-Pierre
Stoobants
Le Monde, 14 février 2020