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17 mars 2020

Le Moyen-Orient à l’heure du coronavirus


Introduction :

L’épidémie se répand partout dans le monde, et en particulier au Moyen-Orient : les chiffres cités dans cet article de Jean-Pierre Filiu sont donc largement dépassés deux semaines après. La situation est particulièrement catastrophique en Iran, où les chiffres officiels sont largement en dessous de la réalité d’après ce que rapportent des sites et comptes twitter d’opposition. Rendons grâce à Jean-Pierre Filiu, et au journal « Le Monde » en d’autres occasions, pour avoir dénoncé l’irresponsabilité criminelle des dirigeants iraniens face à ce fléau : nos chaines de télévision conservent une complaisance ahurissante à leur égard.

J.C

Même si l’Iran est de très loin le pays le plus touché, la diffusion du coronavirus  accentue la vulnérabilité de toute une région déjà très instable.

Les deux millions d’habitants de la bande de Gaza ont rarement l’occasion de se réjouir d’être assiégés de fait par Israël et l’Egypte. C’est pourtant le cas depuis que le coronavirus s’étend dangereusement dans tout le Moyen-Orient et que la « prison à ciel ouvert » que représente ce territoire palestinien en est dès lors protégée.  L’ironie mordante sur Gaza comme « l’endroit le plus sûr au monde » du fait d’une « quarantaine de 14 ans » a gagné les réseaux sociaux. Il est vrai que, au Moyen-Orient, la fermeture des frontières en raison des conflits en cours semble avoir relativement endigué l’épidémie. Israël a en outre décidé, le 4 mars, d’interdire l’accès de son territoire aux ressortissants français, allemands, espagnols, suisses et autrichiens, à l’exception des résidents, après avoir pris des mesures déjà très restrictives à l’encontre des visiteurs en provenance d’Italie et de certains pays asiatiques. Quant à l’Autorité palestinienne, elle a fermé, le 5 mars, l’Eglise de la Nativité à Bethléem, après que des contaminations ont été signalées dans cette ville, peut-être au contact de touristes grecs.

L’IRAN MASSIVEMENT TOUCHE

Avec officiellement plus de 120 décès et près de cinq mille cas de Covid-19, l’Iran est de très loin le pays le plus touché au Moyen-Orient. La réalité est sans nul doute encore plus dramatique, du fait de l’incurie des autorités qui ont longtemps nié l’ampleur du fléau, contribuant ainsi à sa diffusion. La propagande de la République islamique a même assimilé le virus à un nouveau « complot de l’ennemi » américain, voire israélien, plutôt que d’organiser une campagne nationale de prévention. Il est cependant devenu impossible de persister dans ce mensonge d’Etat lorsque le coronavirus a commencé de frapper les cercles dirigeants: un conseiller de l’ayatollah Khameneï, le maître incontesté du pays depuis 1989, en est mort, le 2 mars, ainsi que deux députés, alors qu’est confirmée la contamination de 23 parlementaires, de la vice-présidente de la République et… du secrétaire d’Etat à la Santé, celui-là même chargé de gérer la réponse gouvernementale à une telle menace.
L’aveuglement idéologique du régime iranien s’est aggravé du refus de placer en quarantaine la ville sainte de Qom, à 150 kilomètres au sud de Téhéran, même si son très populaire pèlerinage en a fait un centre majeur (cluster) de transmission du virus. Les autorités ont en revanche accordé une large publicité à la désinfection, le 27 février, du mausolée de l’imam Reza, le huitième imam du chiisme, révéré à Machhad, dans l’est du pays (photo ci-dessus). Ces mesures ponctuelles n’ont évidemment pas suffi à enrayer la diffusion de l’épidémie, amenant le gouvernement à décréter, le 5 mars, la fermeture des écoles et des universités, anticipant ainsi de deux semaines les congés du Nouvel An iranien.  A noter que les prisons ne sont même plus épargnées par le virus, ce qui avive l’inquiétude des proches de Fariba Adelkhah et de Roland Marchal, les deux chercheurs français arbitrairement détenus depuis juin 2019.

SUSPENSION DES PELERINAGES A LA MECQUE

L’Arabie saoudite, où le premier cas a été annoncé le 2 mars, a décidé de suspendre l’Omra, soit le pèlerinage à La Mecque et à Médine qui est entrepris en dehors des cinq jours de hajj proprement dit, prévu cette année à la fin juillet. Les mosquées des deux villes saintes de l’Islam ont de surcroît été fermées pour désinfection, avec de sévères restrictions imposées aux dispensaires de La Mecque, ainsi qu’à la consommation d’eau et de nourriture. Cette suspension de l’Omra vaut pour les Saoudiens comme pour les étrangers, tandis que sont interdits d’entrée en Arabie les voyageurs en provenance d’Italie, d’Iran, de Chine ou de Corée du Sud. Le premier cas de contamination en Arabie proviendrait en effet d’Iran, de même que l’écrasante majorité de la quarantaine de cas recensés à ce jour en Irak (avec les trois premiers morts dans la journée du 5 mars). Bagdad a d’ailleurs fermé sa frontière avec l’Iran et suspendu les liaisons aériennes, une mesure prise sur fond de contestation populaire de la mainmise de l’Iran sur le pays.
Une telle polarisation du débat sur le coronavirus est aussi palpable au Liban, où la dénonciation de la corruption de la classe politique se nourrit désormais de vives accusations à l’encontre du ministère de la Santé. Dans l’Egypte de l’ex-maréchal Sissi, le verrouillage de toute forme d’expression publique n’a laissé qu’un groupe d’opposition dénoncer le manque de transparence du gouvernement. De fait, la ministre égyptienne de la Santé s’est rendue en Chine en témoignage de « solidarité » avec le pays d’origine de l’épidémie, avec don d’un million de masques de protection, tandis que le drapeau chinois était symboliquement projeté sur plusieurs monuments du Caire et de la vallée du Nil. En revanche, les ressortissants du Qatar sont interdits d’entrée en Egypte, une mesure prise en rétorsion à la suspension des admission au Qatar en provenance d’Egypte. Quant aux Emirats arabes unis, ils ont décrété la fermeture des établissements d’enseignement à compter de ce 8 mars, et ce jusqu’à la fin du mois. La plate-forme touristico-commerciale de Dubaï ne tourne déjà plus qu’au ralenti.
Partout, au Moyen-Orient, les autorités misent sur un reflux de l’épidémie et politisent plus ou moins ouvertement les mesures prises à ce stade. Mais la grande inconnue sur l’état réel de la diffusion du Covid-19 en Iran risque de peser durablement sur la région.

PS : Durant les 24h écoulées depuis la publication de ce post, le nombre de morts en Iran s’est officiellement élevé à 194, tandis que l’Egypte annonçait son premier décès, celui d’un touriste allemand. Quant à l’Arabie saoudite, elle vient de placer sous quarantaine sa province orientale, très majoritairement chiite, où ont été repérés les 11 cas à ce jour déclarés par le royaume.

Jean-Pierre Filiu, blog « Un si Proche Orient »,
Le Monde, 8 mars 2020