Introduction :
L’épidémie se répand partout dans le monde, et en particulier
au Moyen-Orient : les chiffres cités dans cet article de Jean-Pierre Filiu
sont donc largement dépassés deux semaines après. La situation est
particulièrement catastrophique en Iran, où les chiffres officiels sont
largement en dessous de la réalité d’après ce que rapportent des sites et
comptes twitter d’opposition. Rendons grâce à Jean-Pierre Filiu, et au journal « Le
Monde » en d’autres occasions, pour avoir dénoncé l’irresponsabilité
criminelle des dirigeants iraniens face à ce fléau : nos chaines de
télévision conservent une complaisance ahurissante à leur égard.
J.C
Même si l’Iran est de très loin le pays le plus
touché, la diffusion du coronavirus accentue la vulnérabilité de toute
une région déjà très instable.
Les deux millions d’habitants de la bande de Gaza ont
rarement l’occasion de se réjouir d’être assiégés de fait par Israël et l’Egypte. C’est
pourtant le cas depuis que le coronavirus s’étend dangereusement dans tout le
Moyen-Orient et que la « prison à ciel ouvert » que représente
ce territoire palestinien en est dès lors protégée. L’ironie mordante sur
Gaza comme « l’endroit le plus sûr au monde »
du fait d’une « quarantaine de 14 ans » a gagné les réseaux
sociaux. Il est vrai que, au Moyen-Orient, la fermeture des frontières en
raison des conflits en cours semble avoir relativement endigué l’épidémie.
Israël a en outre décidé, le 4 mars, d’interdire l’accès de son territoire aux ressortissants
français, allemands, espagnols, suisses et autrichiens, à
l’exception des résidents, après avoir pris des mesures déjà très restrictives
à l’encontre des visiteurs en provenance d’Italie et de certains pays
asiatiques. Quant à l’Autorité palestinienne, elle a fermé, le 5 mars, l’Eglise de la Nativité à Bethléem,
après que des contaminations ont été signalées dans cette ville, peut-être au
contact de touristes grecs.
L’IRAN MASSIVEMENT TOUCHE
Avec officiellement plus de 120 décès et près de cinq
mille cas de Covid-19, l’Iran est de très loin le pays le plus touché au
Moyen-Orient. La réalité est sans nul doute encore plus dramatique, du fait de
l’incurie des autorités qui ont longtemps nié l’ampleur du fléau, contribuant
ainsi à sa diffusion. La propagande de la République islamique a même assimilé le
virus à un nouveau « complot de l’ennemi » américain, voire israélien, plutôt que
d’organiser une campagne nationale de prévention. Il est cependant devenu
impossible de persister dans ce mensonge d’Etat lorsque le coronavirus a
commencé de frapper les cercles dirigeants: un conseiller de l’ayatollah Khameneï,
le maître incontesté du pays depuis 1989, en est mort, le 2 mars, ainsi que
deux députés, alors qu’est confirmée la contamination de 23 parlementaires, de
la vice-présidente de la République et… du secrétaire d’Etat à la Santé, celui-là même chargé
de gérer la réponse gouvernementale à une telle menace.
L’aveuglement idéologique du régime iranien s’est
aggravé du refus de placer en quarantaine la ville sainte de Qom, à 150
kilomètres au sud de Téhéran, même si son très populaire pèlerinage en a fait
un centre majeur (cluster) de transmission du virus. Les autorités ont
en revanche accordé une large publicité à la désinfection, le 27 février, du
mausolée de l’imam Reza, le huitième imam du chiisme, révéré à Machhad, dans
l’est du pays (photo ci-dessus). Ces mesures ponctuelles n’ont évidemment pas
suffi à enrayer la diffusion de l’épidémie, amenant le gouvernement à décréter,
le 5 mars, la fermeture des écoles et des universités, anticipant ainsi de deux
semaines les congés du Nouvel An iranien. A noter que les prisons ne sont
même plus épargnées par le virus, ce qui avive l’inquiétude des proches de Fariba Adelkhah et de Roland Marchal, les deux chercheurs
français arbitrairement détenus depuis juin 2019.
SUSPENSION DES PELERINAGES A LA MECQUE
L’Arabie saoudite, où le premier cas a été annoncé le
2 mars, a décidé de suspendre l’Omra, soit le pèlerinage à La Mecque et à
Médine qui est entrepris en dehors des cinq jours de hajj proprement
dit, prévu cette année à la fin juillet. Les mosquées des deux villes saintes
de l’Islam ont de surcroît été fermées pour désinfection, avec de sévères
restrictions imposées aux dispensaires de La Mecque, ainsi qu’à la consommation
d’eau et de nourriture. Cette suspension de l’Omra vaut pour les Saoudiens
comme pour les étrangers, tandis que sont interdits d’entrée en Arabie les
voyageurs en provenance d’Italie, d’Iran, de Chine ou de Corée du Sud. Le
premier cas de contamination en Arabie proviendrait en effet d’Iran, de même
que l’écrasante majorité de la quarantaine de cas recensés à ce jour en Irak
(avec les trois premiers morts dans la journée du 5 mars). Bagdad a d’ailleurs
fermé sa frontière avec l’Iran et suspendu les liaisons aériennes, une mesure
prise sur fond de contestation populaire de la mainmise de l’Iran sur le pays.
Une telle polarisation du débat sur le coronavirus est
aussi palpable au Liban, où la dénonciation de la corruption de la classe politique
se nourrit désormais de vives accusations à l’encontre du ministère de la
Santé. Dans l’Egypte de l’ex-maréchal Sissi, le verrouillage de toute forme
d’expression publique n’a laissé qu’un groupe d’opposition dénoncer le manque
de transparence du gouvernement. De fait, la ministre égyptienne de la Santé
s’est rendue en Chine en témoignage de « solidarité » avec
le pays d’origine de l’épidémie, avec don d’un million de masques de
protection, tandis que le drapeau chinois était symboliquement projeté sur
plusieurs monuments du Caire et de la vallée du Nil. En revanche, les
ressortissants du Qatar sont interdits d’entrée en Egypte, une mesure prise en
rétorsion à la suspension des admission au Qatar en provenance d’Egypte. Quant
aux Emirats arabes unis, ils ont décrété la fermeture des établissements
d’enseignement à compter de ce 8 mars, et ce jusqu’à la fin du mois. La
plate-forme touristico-commerciale de Dubaï ne tourne déjà plus qu’au ralenti.
Partout, au Moyen-Orient, les autorités misent sur un
reflux de l’épidémie et politisent plus ou moins ouvertement les mesures prises
à ce stade. Mais la grande inconnue sur l’état réel de la diffusion du Covid-19
en Iran risque de peser durablement sur la région.
PS : Durant les 24h écoulées depuis la publication de
ce post, le nombre de morts en Iran s’est officiellement élevé à 194, tandis
que l’Egypte annonçait son premier décès, celui d’un
touriste allemand. Quant à l’Arabie saoudite, elle vient de placer sous
quarantaine sa province orientale, très majoritairement chiite, où ont été
repérés les 11 cas à ce jour déclarés par le royaume.
Jean-Pierre Filiu, blog « Un
si Proche Orient »,
Le Monde, 8 mars 2020