Le Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi
Voici venu enfin le moment
de vous proposer une première synthèse, au treizième jour de cette nouvelle
guerre entre Israël et le Hamas. J'ai longtemps repoussé cet exercice, d'abord
en espérant qu'un cesser le feu arriverait assez rapidement comme en novembre
2012, de manière à ne pas avoir à écrire un article fragilisé par la dynamique
du conflit : nous n'en prenons pas le chemin ; et entre le stock de missiles de
l'organisation terroriste qui n'aurait été utilisé ou détruit qu'à moitié, et
l'armée israélienne qui n'avance que lentement et sûrement depuis son entrée
dans la bande de Gaza, on peut s'attendre à encore et au minimum, une ou deux
semaines d'affrontements ... Devant
m'absenter pour un moment et ne revenir sur le blog qu'au tout début du mois
d'août, voici donc un premier article qui - pour ne pas faire trop long - se limitera
au terrain diplomatique.
Dans cette guerre souhaitée
par le Hamas qui a tout fait pour que le conflit éclate - pour rappel, la
tentative d'infiltration massive par un tunnel il y a une quinzaine de jours ;
le pilonnage du Sud d'Israël avec des dizaines de roquettes en quelques heures juste avant le déclenchement de l'opération "Rempart
défensif" -, le gouvernement de Jérusalem a bénéficié de l'appui de
pratiquement tous les gouvernements occidentaux, avec bien sûr des nuances
selon les capitales ; son droit à l'auto-défense a été reconnu, même si - et
c'était aussi tout à fait compréhensif - des appels au cesser le feu ont aussi été
tout de suite entendus.
L'Egypte, ennemie de facto
du Hamas qui est une succursale des
"Frères Musulmans" (chassés du pouvoir par l'armée il y a un an), a
proposé un arrêt des hostilités avant toute négociation indirecte entre le
parties, en ne s'engageant donc sur aucune des exigences de l'organisation
islamiste ; le "cahier des charges" du Hamas comprend en effet la
levée totale du blocus de la bande de Gaza, sans aucune garantie sécuritaire
bien entendue, ce qui signifierait qu'une base avancée du Djihad menacerait à
nouveau à la fois l'Egypte - dont le Sinaï est déjà déstabilisé par les
filiales diverses d'Al-Qaïda ; et Israël, qui vient de réaliser combien son
territoire est maintenant partout vulnérable - ceci étant dit, bien sûr, sans
oublier la performance extraordinaire du système "Dôme de fer", mais
en réalisant aussi que quelques "coups au but" sur des milliers de
tirs de missiles tirés peuvent causer de gros dégâts. D'où donc le refus du
"Califat" de Gaza d'en rabattre sur ses exigences ; d'où son refus du
cesser le feu, accepté par Israël qui a bénéficié d'un soutien diplomatique
renouvelé, et cela même après le déclenchement de l'offensive terrestre.
L'Egypte est donc "pour
le moment" objectivement dans le même camp qu'Israël, et c'est un
évènement exceptionnel. Pour l'illustrer, on pourra par exemple voir cette
vidéo publiée par le site Memri qui montre comment le Hamas est durement
interpellé sur les télévisions égyptiennes :
Il suffit de suivre les
différents acteurs s'agiter pour obtenir un cesser le feu, pour reconnaitre la
cartographie politique actuelle du Proche-Orient. Le Qatar - "base
arrière" des Frères Musulmans et où réside Khaled Mechal, chef du
politburo du Hamas - et la Turquie - dont le régime islamiste de l'AKP arme les
mêmes "Frères" au sein de la révolution syrienne - ont proposé un
plan intégrant en préalable quasiment toutes les exigences de
l'organisation terroriste. Le Président de l'Autorité Palestinienne, Mahmoud
Abbas, se trouve sur la corde raide, ayant bien compris que l'écrasante
majorité de la Ligue Arabe soutenait
l'initiative égyptienne de cesser le feu sans conditions ; mais il est, en
même temps, largement discrédité par sa propre opinion publique qui lui
reproche de ne pas en faire assez pour les Palestiniens de Gaza (lire
ici). D'où des messages parfaitement contradictoires : d'un côté, une
déclaration grotesque où il accuse Israël de "génocide" comme le fait
le Premier Ministre turc Erdogan, jamais en retard d'une déclaration
incendiaire ; mais d'un autre côté, il laisse son délégué au Conseil des Nations
Unies pour les Droits de l'Homme dire que les tirs aveugles de missiles contre
les civils en Israël sont "un crime de guerre", ce qui est là encore
une première étonnante ! Lire sur ce
lien.
Paysage diplomatique
rassurant, donc, et qui explique pourquoi des personnalités israéliennes plutôt
connues pour leur modération soutiennent sans hésiter l'élargissement du
conflit avec l'intervention terrestre depuis le soir du 17 juillet : je pense à
la Ministre Tzipi Livni, qui a même laissé entendre qu'il faudrait peut-être
aller "jusqu'au bout", c'est à dire renverser le Hamas ; je pense
aussi au diplomate et ancien Ambassadeur
à Paris Daniel Shek, entendu chez nos excellents confrères de la chaine
israélienne I-24, qui a reconnu que la "dynamique du conflit" - avec
en particulier la découverte par tous du danger effroyable des dizaines de
tunnels "offensifs" construits vers le territoire israélien - avait
modifié sa position.
Mais paysage également
fragile. D'abord parce que la première "grosse bavure", où il y
aurait d'un coup plusieurs dizaines de civiles innocents tués par erreur lors
d'un combat en zone urbaine - et un obus de char est bien moins précis qu'une
bombe guidée par laser - pourrait faire basculer d'abord les opinions publiques
occidentales, et ensuite leurs diplomaties. Mais ensuite et surtout, en raison
de la mollesse plus qu'inquiétante de l'administration Obama. Entre un
Secrétaire d'Etat qui tient pour personnellement responsable Benjamin
Netanyahou de l'échec des négociations israélo-palestiniennes ; un Président
qui s'avère sur tout les plans un indécis sans vision stratégique, ayant déçu
ou trahi presque tout le monde dans la région ; et une opinion publique encore
acquise à Israël mais absolument pas prête à un engagement sur le terrain pour
"sécuriser" la bande de Gaza après l'élimination encore bien
théorique du Hamas ... le gouvernement israélien a du souci à se faire !
D'où les questions de fond
qu'il faudra bien se poser une fois cette guerre là terminée et en supposant au
final cette fois une vraie victoire sur les islamistes de Gaza, et non un
sursis avant le prochain round : un gouvernement israélien ayant parmi sa
coalition des partis politiques hostiles à toute négociation serait-il capable
d'accepter un transfert de souveraineté de ce territoire à l'Autorité
Palestinienne légale ? Les états occidentaux, si mous face aux vrais sponsors
du Hamas - l'Iran, le Qatar et d'autres - sont-ils prêts à engager des
moyens réels pour associer un contrôle
sécuritaire effectif à la levée du blocus, indispensable pour une vie décente
des Gazaouis ? Pas de réponses à ce stade là-dessus. Et donc incertitude totale
sur "la photo de fin", selon l'expression classique des articles anglophones.
Jean Corcos