Les
djihadistes ont diffusé sur les réseaux sociaux une série de photos des
massacres de soldats et de policiers chiites lors de la prise de Tikrit.
La
prise de Tikrit par les combattants de l'État islamique en Irak et au Levant
(EIIL) a été accompagnée de massacres de masse de soldats et de policiers
chiites que les
assassins ont eux-mêmes photographiés avant de les diffuser via les réseaux
sociaux1.
S'il
est difficile de vérifier le lieu et la date exacte auxquels ont été pris ces
clichés, ni si d'éventuelles retouches y ont été apportées, les scènes macabres
présentent toutes les apparences de la réalité. On voit les combattants d'EIIL
faire leur entrée dans Tikrit à bord de leurs camionnettes camouflées avec de
la boue. La prise de la ville natale de Saddam Hussein, à mi-chemin entre
Bagdad et Mossoul, s'accompagne de celle d'une grande base de l'armée
irakienne, dont des unités entières se sont débandées sans combattre devant
l'avance des combattants de l'EIIL2.
Les
soldats prisonniers, en tenues civiles, parfois enfilées par-dessus leurs
treillis camouflés, sont rassemblés comme du bétail par des miliciens de l'EIIL
en armes. On les voit entassés, l'air terrorisé, dans des bennes de camions ou
de camionnettes. Les légendes des photos les présentent comme les «troupeaux de
l'armée safavide» (en référence à une dynastie iranienne). Ils sont ensuite
forcés de s'allonger dans des fossés peu profonds, les mains dans le dos.
Alignés devant eux, les djihadistes ouvrent le feu à bout portant sur les
malheureux. Les dernières images montrent les corps entassés dans ces fosses
communes, présentés complaisamment par les assassins.
Les
massacres de masse ne sont pas une pratique inconnue, en Irak comme ailleurs.
Les Kurdes et les chiites avaient fait l'objet de massacres par Saddam Hussein.
En 1991, lors de la première guerre du Golfe, Saddam avait repris contre toute
attente le contrôle du pays en lançant sa Garde républicaine contre les chiites
soulevés contre son régime, et qui avaient cru pouvoir profiter de sa défaite
au Koweït pour secouer son joug. Des quartiers entiers avaient été rasés dans
les citées du Sud, notamment dans les villes saintes chiites de Nadjaf et de
Kerbala. Des dizaines de milliers de personnes avaient été sommairement
assassinées, leur corps jeté dans des fosses communes. Après la chute de Saddam
en 2003, ces charniers avaient été exhumés, mettant à jour une partie des
victimes de cette répression. Nombre de militaires baasistes qui avaient
perpétré ces crimes ont aujourd'hui rejoint les rangs de l'EIIL, et auraient
joué un rôle crucial dans la prise de Mossoul.
La
terrible guerre confessionnelle qui avait déchiré l'Irak sous occupation
américaine entre 2006 et 2009 avait popularisé les vidéos et les
photos de tortures et de meurtres, réalisées et diffusées par les deux camps.
Ces images, comme celles des crimes des moukhabarats de Saddam, étaient à
l'époque particulièrement prisées par beaucoup d'Irakiens, tout comme par un
certain nombre de soldats américains, qui en faisaient les fonds d'écran de
leurs téléphones portables.
Mais
l'EIIL a franchi aujourd'hui un nouveau degré dans la guerre de la
communication, en documentant pratiquement en temps réel la prise de Mossoul,
puis sa marche vers Bagdad, diffusants twitts et posts au fur et à mesure de
son avance. La fermeture par Twitter du compte de l'EIIL n'a pas interrompu le
flux de cette publicité. Au lieu du secret d'un Ben Laden aux interventions
parcimonieuses et soigneusement orchestrées, l'EIIL pratique désormais une
communication tous azimuts, dont on ne sait si elle est destinée à semer
l'effroi chez l'adversaire en renforçant sa réputation de cruauté, ou
simplement due à la banalité de ces exactions pour ses militants. Le «crime de
guerre 2.0» peut avoir aussi l'effet inverse, et renforcer la détermination des
soldats irakiens de Maliki, qui se sont montrés jusqu'à présent complètement
impuissants face aux guérilleros sunnites.
Adrien Jaulmes,
Le Figaro, le 16 juin 2014