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03 janvier 2021

La moitié des Français opposés au vaccin contre le Covid

 De la méfiance aux théories du complot

Dans une étude publiée en novembre dernier[i] la France ressort au dernier rang des pays du monde ayant confiance au vaccin contre le Covid : alors que 83% des Sud-Coréens, 79% des Australiens et parmi nos voisins 69% des Allemands, 65% des Italiens et 79% des Britanniques sont favorables au vaccin, seuls 54% des Français déclarent l’être. Un autre sondage fait même part de seulement 41% d’opinions favorables[ii].

La méfiance vis-à-vis des vaccins n’est pas un phénomène récent. A l’époque où le Dr. Edward Jenner a inventé le vaccin contre la variole, à la fin du XVIIIème siècle, des rumeurs circulaient selon lesquelles les personnes vaccinées se verraient pousser des cornes.

Mais ceci, c’était en 1790. Comment, en 2020, peut-on avoir si peu de confiance en un vaccin, de surcroît au pays de Pasteur ?

Cette méfiance française n’est pas si étonnante que cela. En effet, il existe depuis longtemps en France une caste de hauts fonctionnaires et de dirigeants de grandes entreprises, souvent sortis des mêmes écoles, dont les membres ont un niveau d’ « accountability » (terme inexistant en français, signifiant « être comptable de ses actions ») qui reste bien plus faible que dans les autres démocraties comparables. De plus, le souvenir du scandale du vaccin H1N1 des années 2009 – 2010 et celui du scandale du sang contaminé des années 80 – 90 sont toujours présents dans les esprits.

A cela s’est ajouté, en début de pandémie, une communication contradictoire du gouvernement français sur l’utilité du port du masque. Plus tard, l’on a vu les grands médias accorder un peu trop de place aux opinions contradictoires de certains médecins (probablement pour augmenter les chiffres d’audience) et trop peu à la pédagogie, exacerbant ainsi le manque de confiance des Français.

Il est évident que la méfiance vis-à-vis d’un vaccin peut être très dommageable pour lutter contre une pandémie. En 2003, les rumeurs autour du vaccin contre la polio au Nigéria avaient occasionné des boycotts, à la suite de quoi les cas de polio dans le pays avaient augmenté de 500% en trois ans ! De la même façon, l’on a observé que les hésitations vis-à-vis du vaccin contre la rougeole ont entraîné des poussées de l’épidémie et en conséquence des décès entre 2018 et 2020 en Europe et en Amérique.

Concernant le Covid, la première raison (63%) avancée par ceux qui indiquaient en novembre leur refus de vaccination était le doute sur l’efficacité du vaccin. Or il s’avère que l’efficacité des deux vaccins arrivés en tête du peloton (Pfizer-BioNTech et Moderna) est de %95, soit bien au-dessus de ce qui était espéré.

Depuis, c’est la deuxième raison, la peur des effets indésirables (46%), qui a pris de l’importance. Les essais cliniques des vaccins de Pfizer-BioNTech et Moderna sur 73 000 volontaires de divers groupes de risque et d’âge n’ont occasionné aucun effet secondaire grave, en tout cas lors des essais des premiers mois. Ces chiffres devraient normalement rétablir quelque peu la confiance.

Ceci étant, des questions tout à fait légitimes demeurent sans réponse pour l’instant : la durée de l’immunité, la contagiosité même sans être malade, les effets indésirables à long terme, notamment. Il est clair que les gouvernements qui sauront, avec les médecins traitants, répondre avec transparence à ces questions lors des campagnes de vaccination à venir réussiront mieux que ceux qui ne sauront pas y répondre. (Sur cette question, il semble que le gouvernement français se situe au niveau « un peu mieux que la moyenne ».)

Pourtant tout cela risque de rester insuffisant, pour deux raisons : d’une part la facilité avec laquelle la désinformation ou simplement l’information incomplète – ce qui revient au même quand il s’agit de science – prolifère sur les réseaux sociaux et la difficulté, par nature, à y faire face. D’autre part, l’existence de mouvements populistes qui en profitent pour attiser les peurs, érodant la confiance que l’on peut avoir en les experts, les institutions et même la science.

Méfiance, désinformation, théories du complot

L’Organisation Mondiale de la Santé avait identifié assez tôt les dangers pour la santé publique de cette « pandémie parallèle » de désinformation qu’elle avait baptisée Infodemic en avril dernier[iii]. Une initiative avait même été lancée par le Secrétaire Général de l’ONU visant à aider les Etats membres à la combattre.

Au niveau le plus anodin, la désinformation commence par la famille ou les amis qui vous font partager une information dans un souci de bienveillance. A l’extrême opposé, cela peut aller jusqu’aux discours de haine voire de violence. (Au moment où j’écris ces lignes l’on apprenait que des médecins ont reçu des lettres anonymes des anti-vaccins, allant jusqu’à des menaces de mort[iv]).

Parmi les exemples les plus frappants, on peut citer le documentaire « Hold Up » diffusé en novembre sur les réseaux sociaux. Le documentaire critique la gestion de la pandémie en France et dans le reste du monde puis prétend qu’elle fait partie d’un programme secret des autorités gouvernementales. Le fait que ses thèses aient été discréditées une par une par divers organismes de « fact-checking »[v] n’a pas empêché son partage à grande échelle.

De la même façon, le documentaire « Plandemic » sorti en mai aux Etats-Unis affirmait que le virus a été fabriqué par l’homme, que les campagnes de vaccination allaient tuer des millions et que l’immunologue américain Dr. Anthony Fauci était corrompu. Ce documentaire a également été vu par des millions d’internautes.

Dans une vidéo devenue virale en mars dernier, le docteur holistique californien Thomas Cowan affirme que la pandémie de COVID-19 a été provoquée par l’émergence de la technologie 5G. N’avions-nous pas vu que la pandémie avait moins d’impact dans les pays africains où les antennes 5G n’étaient pas encore installées ?

Selon d’autres publications, le virus aurait été créé de toutes pièces par les Juifs visant à profiter des crashs boursiers qui en résulteraient, ou même visant à prendre le contrôle des gouvernements afin de contrôler l’humanité. On a même vu circuler sur des réseaux sociaux une photo de déportés Juifs à Auschwitz acheminés vraisemblablement vers les chambres à gaz, avec l’ajout de la mention « Eux aussi partaient à la « douche », ils avaient confiance. Et vous, avez-vous confiance à ceux qui veulent tous nous « vacciner » ?? »

Nous sommes tous un peu irrationnels

Ceux qui, de nos jours, croient à des thèses de ce genre – celle selon laquelle Bill Gates œuvrerait à nous injecter des puces électroniques avec les vaccins étant un autre exemple – ressemblent à une version moderne de ceux qui pensaient, en 1790, que le vaccin contre la variole leur ferait pousser des cornes.

Imaginez pour un instant que, répartis dans des dizaines de pays, des milliers de scientifiques, d’experts en virologie, de chercheurs, mais aussi de fonctionnaires de la santé publique et d’employés des organismes de contrôle auraient monté tous ensemble une organisation secrète, au bénéfice de l’industrie pharmaceutique !

Ceci ressemble énormément aux allégations de « fraude électorale généralisée » du parti perdant des élections présidentielles américaines : des milliers de fonctionnaires, de volontaires de tous bords, d’observateurs des deux partis politiques et même des juges, auraient réussi à organiser, sur plusieurs Etats à la fois, une fraude à grande échelle et ce, sans laisser de trace !

Derrière ce phénomène se cache le problème du « biais de confirmation », bien connu des sciences sociales et objet de nombreuses recherches[vi] : il s’agit d’un biais cognitif qui consiste à privilégier les informations confirmant ses opinions ou croyances et à accorder moins de poids à celles jouant en défaveur de celles-ci.

Nous avons tous un peu de biais de confirmation en nous. Simplement, déjà en être conscient, mais également ajuster sans cesse son comportement pour rester dans les limites du raisonnable n’est pas chose facile, surtout à l’ère des réseaux sociaux.

La fin du tunnel ?

Concernant le vaccin, mon approche consiste simplement à m’informer autant que faire se peut, puis, n’étant pas un expert, de faire confiance au consensus scientifique. D’une part l’avis de mon médecin traitant et d’autre part le fait que le Dr. Fauci ait annoncé, début décembre, qu’il « se ferait vacciner ainsi que toute sa famille dès que l’homologation aurait lieu » me suffisent.

La méfiance vis-à-vis des vaccins en France et dans une moindre mesure dans les autres pays occidentaux s’explique aussi par la perte du souvenir des épidémies meurtrières qui ont été éradiquées justement grâce aux vaccins. Ce côté un peu ‘enfant gâté’ se manifeste aussi dans la difficulté qu’ont beaucoup de gens à accepter de reporter ou réduire leurs traditionnelles fêtes de fin d’année, juste une seule fois dans leur vie, alors qu’ils sont confrontés à une pandémie mondiale.

Et pourtant c’est à ce même monde occidental que l’on doit l’extraordinaire exploit d’avoir développé des vaccins en un temps record de 10 mois, grâce à la technologie mRNA notamment. Ils constituent un premier pas vers la victoire contre cette maladie qui continue à tuer 12 000 personnes chaque jour qui passe !

C’est donc bien la fin du tunnel que l’on commence à voir au loin.

NB : L’original en turc de cet article est publié dans le journal juif de Turquie, Salom.

[i] Jean-Jaures.org

[ii] Ouest-france.fr

[iii] who.int

[iv] Lepoint.fr

[v] Lemonde.fr

[vi] https://www.newyorker.com/magazine/2017/02/27/why-facts-dont-change-our-minds

 

Michel Alfandari

Times of Israël, 25 décembre 2020

 

A propos de l'auteur :
Né dans une famille polyglotte à Istanbul, Michel a émigré deux fois, d’abord à New York puis à Paris. Ces exils volontaires lui ont permis d’acquérir à la fois une vision intérieure des cultures "étrangères" (américaine, française) et une vision extérieure sur ses propres cultures multiples. Après huit ans à New York, il s'est installé à Paris en tant que cadre dans une grande entreprise internationale. Observateur quadri-culturel de la société, il souhaite apporter de nouvelles perspectives sur les développements en Turquie, Israël, Etats-Unis et en France