Réunies lors d’un congrès organisé dimanche par le
Conseil français du culte musulman, les différentes composantes de l’islam de
France veulent garder la confiance de l’Etat.
Ce devait être une démonstration d’unité et de
détermination dans la voie de la réforme à l’intention de l’Etat. Le
« congrès » organisé par le Conseil français du culte musulman
(CFCM), dimanche 9 décembre à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, a
montré que des progrès restaient à faire pour convaincre la puissance publique
que le CFCM est l’instance la plus à même de prendre en main une nouvelle étape
dans la structuration du culte musulman.
Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, était
attendu pour conclure la réunion. Avant son arrivée, les représentants des
fédérations musulmanes, majoritaires au sein de la direction de l’organisme de
représentation du culte musulman, ont fait entendre leurs réticences à l’idée
d’une retouche de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat,
préparée par l’exécutif. Ils ont mis en garde contre la tentation de traiter le
culte musulman différemment des autres cultes et contre celle d’une immixtion
de l’Etat dans les affaires cultuelles. « Le CFCM redoute un retour en
arrière, inspiré par une vision sécuritaire du culte », a résumé Ahmet
Ogras, le président de cette instance.
Grincements de dents
Le recteur de la Grande Mosquée de Paris (GMP, proche
de l’Algérie), Dalil Boubakeur, en particulier, s’est élevé contre l’idée
d’avoir à transformer en association relevant de la loi de 1905 celle qui gère
la GMP (loi 1901) et à soumettre à déclaration les contributions venues de
l’étranger, comme pourrait le décider le gouvernement. A mots plus ou moins
couverts, tous ont critiqué le projet porté par l’essayiste et consultant Hakim
El Karoui de mettre sur pied une association de financement du culte
musulman indépendante du CFCM et abondée par une redevance sur le pèlerinage,
des dons et ultérieurement une redevance sur le halal.
Mais les propositions de la direction du CFCM,
résumées dans une résolution, continuent cependant de faire grincer des dents.
La déclaration, lue à l’issue de la réunion, n’est donc pas encore le reflet
d’un consensus. Plusieurs points font débat. C’est le cas de l’association
cultuelle déposée cet été par le CFCM, pour répondre à un besoin de financement
du culte, devenu « une question vitale », selon la formule
d’Anouar Kbibech, président du Rassemblement des musulmans de France (proche du
Maroc).
Ancien président du CFCM, Mohammed Moussaoui n’a pas
trouvé correcte la création de cette association au creux de l’été, sans que
toutes les parties prenantes soient associées. « On ne déclare pas une
association de financement à cinq personnes en plein mois d’août »,
résume le président de l’Union des mosquées de France (UMF, elle aussi proche
du Maroc).
La direction du CFCM préconise par ailleurs de créer
un échelon départemental pour représenter le culte, entre les mosquées et les
conseils régionaux du culte musulman. Mais, là encore, rien n’est réglé
concernant leur mode de désignation. Celui-ci doit-il revenir aux fédérations
nationales ? Aux mosquées ? Le représentant d’une autre fédération,
la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et
des Antilles (FFAIACA), a mis en garde contre un écrasement, par les grandes
fédérations arabes et turques, de « la diversité de l’islam de
France ». Une autre fédération a indirectement fait connaître ses
réticences : Amar Lasfar, le président de l’association Musulmans de
France, ex-UOIF, proche des Frères musulmans, n’a pas souhaité s’exprimer.
Conforter la loi de 1905
Pour sa première intervention publique devant les
représentants du culte musulman, il revenait au nouveau ministre de
l’intérieur, Christophe Castaner, de confirmer les grandes lignes de la réforme
en préparation, qui touchera notamment à la loi de 1905 sur la séparation des
Eglises et de l’Etat, dont, selon lui, « les règles qu’elle pose ne
sont pas aujourd’hui suffisamment respectées » : « Il ne
s’agit pas pour l’Etat d’écrire les règles de l’organisation du culte musulman.
Mais il ne peut pas s’en désintéresser », a affirmé le ministre. La
volonté du gouvernement, a-t-il affirmé, est de « conforter la loi de
1905 dans le monde de 2018 ».
Il a confirmé que tous les cultes continueraient
d’être traités sur un pied d’égalité. Il a rappelé plusieurs règles de base du
régime des cultes en France – la liberté de conscience, le fait qu’aucune
religion ne peut être utilisée à des fins politiques, le respect « absolu »
de l’ordre public. « La parole religieuse a une autorité particulière
et à ce titre il n’est pas illégitime qu’elle fasse l’objet d’une vigilance
particulière », a-t-il dit.
Cécile Chambraud
Le Monde, 10 décembre 2018