Rechercher dans ce blog

13 décembre 2018

Les représentants musulmans de France peinent à afficher leur unité


Réunies lors d’un congrès organisé dimanche par le Conseil français du culte musulman, les différentes composantes de l’islam de France veulent garder la confiance de l’Etat.
Ce devait être une démonstration d’unité et de détermination dans la voie de la réforme à l’intention de l’Etat. Le « congrès » organisé par le Conseil français du culte musulman (CFCM), dimanche 9 décembre à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, a montré que des progrès restaient à faire pour convaincre la puissance publique que le CFCM est l’instance la plus à même de prendre en main une nouvelle étape dans la structuration du culte musulman.
Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, était attendu pour conclure la réunion. Avant son arrivée, les représentants des fédérations musulmanes, majoritaires au sein de la direction de l’organisme de représentation du culte musulman, ont fait entendre leurs réticences à l’idée d’une retouche de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, préparée par l’exécutif. Ils ont mis en garde contre la tentation de traiter le culte musulman différemment des autres cultes et contre celle d’une immixtion de l’Etat dans les affaires cultuelles. « Le CFCM redoute un retour en arrière, inspiré par une vision sécuritaire du culte », a résumé Ahmet Ogras, le président de cette instance.

Grincements de dents

Le recteur de la Grande Mosquée de Paris (GMP, proche de l’Algérie), Dalil Boubakeur, en particulier, s’est élevé contre l’idée d’avoir à transformer en association relevant de la loi de 1905 celle qui gère la GMP (loi 1901) et à soumettre à déclaration les contributions venues de l’étranger, comme pourrait le décider le gouvernement. A mots plus ou moins couverts, tous ont critiqué le projet porté par l’essayiste et consultant Hakim El Karoui de mettre sur pied une association de financement du culte musulman indépendante du CFCM et abondée par une redevance sur le pèlerinage, des dons et ultérieurement une redevance sur le halal.
Mais les propositions de la direction du CFCM, résumées dans une résolution, continuent cependant de faire grincer des dents. La déclaration, lue à l’issue de la réunion, n’est donc pas encore le reflet d’un consensus. Plusieurs points font débat. C’est le cas de l’association cultuelle déposée cet été par le CFCM, pour répondre à un besoin de financement du culte, devenu « une question vitale », selon la formule d’Anouar Kbibech, président du Rassemblement des musulmans de France (proche du Maroc).
Ancien président du CFCM, Mohammed Moussaoui n’a pas trouvé correcte la création de cette association au creux de l’été, sans que toutes les parties prenantes soient associées. « On ne déclare pas une association de financement à cinq personnes en plein mois d’août », résume le président de l’Union des mosquées de France (UMF, elle aussi proche du Maroc).
La direction du CFCM préconise par ailleurs de créer un échelon départemental pour représenter le culte, entre les mosquées et les conseils régionaux du culte musulman. Mais, là encore, rien n’est réglé concernant leur mode de désignation. Celui-ci doit-il revenir aux fédérations nationales ? Aux mosquées ? Le représentant d’une autre fédération, la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA), a mis en garde contre un écrasement, par les grandes fédérations arabes et turques, de « la diversité de l’islam de France ». Une autre fédération a indirectement fait connaître ses réticences : Amar Lasfar, le président de l’association Musulmans de France, ex-UOIF, proche des Frères musulmans, n’a pas souhaité s’exprimer.

Conforter la loi de 1905

Pour sa première intervention publique devant les représentants du culte musulman, il revenait au nouveau ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, de confirmer les grandes lignes de la réforme en préparation, qui touchera notamment à la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, dont, selon lui, « les règles qu’elle pose ne sont pas aujourd’hui suffisamment respectées » : « Il ne s’agit pas pour l’Etat d’écrire les règles de l’organisation du culte musulman. Mais il ne peut pas s’en désintéresser », a affirmé le ministre. La volonté du gouvernement, a-t-il affirmé, est de « conforter la loi de 1905 dans le monde de 2018 ».
Il a confirmé que tous les cultes continueraient d’être traités sur un pied d’égalité. Il a rappelé plusieurs règles de base du régime des cultes en France – la liberté de conscience, le fait qu’aucune religion ne peut être utilisée à des fins politiques, le respect « absolu » de l’ordre public. « La parole religieuse a une autorité particulière et à ce titre il n’est pas illégitime qu’elle fasse l’objet d’une vigilance particulière », a-t-il dit.

Cécile Chambraud
Le Monde, 10 décembre 2018