Alexandre Del Valle
13 morts (1), 100 blessés au
minimum, les attentats de Barcelone, commis un peu avant 18 heures hier avec
une fourgonnette dans les Ramblas, en plein cœur de la capitale catalane,
ont une valeur symbolique pour la nébuleuse islamiste sunnite mondiale, car cette
seconde attaque d’envergure en Espagne - après celle de mars 2004 à Madrid -
frappe le pays que les islamistes radicaux de tous les bords n’ont jamais cessé
de revendiquer comme « territoire perdu. (...)
Rappelons
que l’Espagne est en situation d’alerte terroriste quasi maximale depuis 2015,
bien que depuis les attentats de Madrid du 11 mars 2004, qui firent 192 morts
et 2.000 blessés, aucune attaque jihadiste d’ampleur n’a été commise en
Espagne. Notons tout de même qu’il s’agit en Europe depuis seulement un an du
huitième attentat au camion ou à la fourgonnette.
Si
l’on compare les mobiles des attentats de 2004 à Madrid et celui d’hier, il est
intéressant d’observer que les motivations réelles des attentats terroristes
commis dans les deux villes espagnoles ont été « expliquées » et légitimées de
façon limpide dans une vidéo très significative diffusée par l’Etat islamique
en 2014, depuis la Syrie (« Cham ») : « au nom d’Allah le Miséricordieux, Grâce
à Allah du monde entier, nous sommes dans la terre sainte de l’islam, et je
vous dis à tout le monde et je vous avertis : nous vivons sous la bannière de
l’Etat islamique et nous allons mourir pour elle jusqu’à ce que nous ayons
récupéré toutes les terres musulmanes perdues, de Jakarta à l’Andalousie et je vous
le dis, l’Espagne est la terre de nos ancêtres et nous la récupérerons avec
l’aide de Dieu ».
Rappelons en passant
qu’Al-Andalous n’est pas synonyme de la région actuelle d’Andalousie (sud de
l’Espagne), mais qu’elle désigne plus largement, dans les représentations
arabo-islamiques, toute l’Espagne jadis dominée par l’empire
arabo-berbéro-islamique de 711 à 1492, dont notamment la Catalogne.
Cette
idée de Reconquista à rebours était déjà très présente dans l’un des textes de
revendication des attentats du 11 mars 2004 (gare d’Atocha de Madrid), lorsque,
le 12 mars 2004, les Brigades Abou Hafs Al-Masri, affiliées à Al-Qaïda, se sont
félicité du « succès » de « l’Opération Trains de la mort» en déclarant que «
Les Brigades de la mort ont pénétré au cœur de la terre des croisés européens
pour assener un coup douloureux à l’un des fondateurs de la coalition croisée.
Il s’agit là de régler de vieux comptes avec l’Espagne croisée, alliée des
Etats-Unis, en guerre contre l’islam», expression qui inclut à la fois la
participation de l’Espagne du gouvernement de José Maria d’Aznar à la coalition
américaine en Irak, mais aussi la Reconquista qui mit fin à la présence
arabo-musulmane et au califat en Espagne en 1492. Déjà, en octobre 2003,
Oussama Ben Laden, l’ex chef et cofondateur d’Al-Qaïda, avait clairement
désigné l’Espagne comme cible dans un communiqué envoyé à Al-Jazeera, ce qui
avait mis en alerte les services de renseignement espagnols du Centro Nacional
de Inteligencia (CNI) qui inclurent alors pour la première fois la menace
jihadiste dans leur Directive annuelle stratégique. Cette prise de conscience
bien tardive était due au fait que l’Espagne avait surtout eu maille à partir
auparavant avec le terrorisme basque de l’ETA, extrêmement meurtrier pendant
des décennies, d’où la réaction initiale du premier ministre d’alors, Aznar,
qui imputa à tort à l’ETA la responsabilité des attentats de Madrid. Le 15 mars
2004, quatre jours après le drame, la chaîne de télévision Al-Arabiya,
retransmit une autre vidéo de Ben Laden qui justifiait l’attaque du 11 mars
comme des « représailles pour venger les actions en Irak, Afghanistan et
Palestine ».
Toutefois,
chacun sait que les jihadistes-salafistes d’Al-Qaïda ont toujours été les
ennemis jurés des Etats nationalistes arabes comme l’Irak baassiste de Saddam
Hussein, alors attaqué en 2003 par les Etats-Unis et leurs alliés anglais,
espagnols, etc, au profit de monarchies islamistes sunnites voisines. Cette revendication
plus « anti-impérialiste » et visant à mobiliser les tiers-mondistes
occidentaux, était essentiellement rhétorique, mais le vrai mobile
théocratique-califal avait été clairement formulé puis théorisé dans les années
1980 déjà par le maître de Ben Laden, précurseur d’Al-Qaïda en Afghanistan,
Abdallah Azzam, référence suprême de toute la mouvance
salafiste-jihadiste-takfiriste, dans son ouvrage « La récupération des
territoires islamiques perdus ». L’Espagne – Al-Andalous y figurait en première
place avec la Palestine parmi les territoires islamiques à « reprendre ». Puis
c’est un autre cerveau historique du jihadisme moderne salafiste, Ayman
Al-Zawahiri, le successeur même de Ben Laden, qui déclara lancer une campagne
mondiale jihadiste en vue de la « libération de Ceuta y Melilla », les enclaves
espagnoles du Nord du Maroc dont est originaire l’un des terroristes de
Barcelone, puis de la reprise de « tous les royaumes de l’islam, du
Turkmenistan Oriental (Chine-Xinjang) jusqu’à Al-Andalous ».(...)
Alexandre Del
Valle
Atlantico.fr,
le 18 août 2017
(1) : on le
sait, il s'agissait du bilan provisoire juste après l'attentat.