Introduction :
L'actualité qui aura
marqué cette fin de vacances est celle "des" attentats de Barcelone,
d'abord celui dans la capitale de la Catalogne qui fit 14 tués dans l'après
midi du 17 août, puis dans la nuit dans la cité balnéaire de Cambrils ;
attentats au pluriel, aussi, car l'enquête devait rapidement révéler des
projets encore plus meurtriers de la cellule démantelée.
Triste contexte,
donc, pour cette rentrée sur mon blog. J'ai choisi de reprendre deux articles
pour en parler. D'abord un article de mon ami Jacques Benillouche, centré sur
la lutte des dernières années de l'Espagne contre le terrorisme djihadiste,
lutte qui malgré ce sanglant raté a connu aussi des succès. Ensuite, un extrait
d'un article d'Alexandre Del Valle, qui connait bien l'idéologie de ces
mouvances terroristes et qui rappelle un fait, peu souligné sur les plateaux de
télévision : le projet fou de reconquête de "El Andalous", terre
d'islam perdue.
J.C
L’Espagne n’est pas néophyte en matière de terrorisme
car elle a connu les attentats sanglants de l’ETA. Les terroristes étaient
autrement plus difficiles à traquer car il s’agissait alors d’Espagnols qui
pouvaient se fondre facilement dans la population contrairement aux islamistes.
Ainsi, on se demande pourquoi Daesh a pris le risque de s’en prendre à un pays
qui n’est pas faible, dont la structure étatique est solide et qui est bien
équipé pour lutter contre le terrorisme.
Le motif officiel avancé pour justifier l’attentat de
Barcelone est un faux prétexte. Expliquer une action destructrice aveugle sur
des civils, par réaction à la participation espagnole à la coalition
internationale anti Daesh en Syrie et en Irak, est un argument qui ne tient
pas. En effet, l’Espagne ne joue pas un grand rôle dans cette coalition, juste
une présence symbolique. Elle se borne à fournir une assistance technique pour
former des militaires en Irak, sans participer aux frappes. Dès octobre 2014,
le pays avait envoyé 300 instructeurs militaires en Irak. Les forces armées
espagnoles ont ainsi formé 46 bataillons et plus de 20.000 militaires irakiens
pour combattre les djihadistes.
L'Espagne s'impliquait peu dans les opérations
militaires. Cependant, le combat espagnol contre les djihadistes n’est pas
récent et date de 2004. Seule une augmentation des moyens a été constatée
depuis 2015. En fait, il faut chercher les raisons ailleurs.
La proximité avec le Maroc a permis à de nombreux
réseaux djihadistes de se constituer mais la police ne cesse d’assener des
coups en démantelant les filières marocaines en connivence avec les terroristes
qui agissent en Belgique. L’Espagne est loin d’être un grand pourvoyeur de
combattants djihadistes ; on évalue à 200 le nombre d’islamistes espagnols
qui combattent en Syrie et en Irak, à comparer aux 3.000 Tunisiens. Il s’agit
du 8ème contingent parmi les pays européens. En revanche
Barcelone est un foyer djihadiste que la police combat avec des résultats
probants : plus de 30% d’arrestations dans cette ville ont été réalisées
grâce à une collaboration discrète mais efficace entre services de sécurité
espagnols et marocains.
Les motivations de Daesh sont ailleurs. L’État
islamique a une stratégie qui consiste à faire parler de lui en toutes
circonstances, à être toujours sur la brèche, à maintenir une mobilisation
permanente de ses militants à l’aide d’opérations spectaculaires. Il se
développe sur le terreau du chaos et de la peur qu’il instille dans les
esprits. Mais il cible, chaque fois, le symbole de la richesse des pays
occidentaux en attaquant les lieux de vacances et de fêtes ; Barcelone
après Nice. Les attentats permettent à Daesh de redorer son blason et de
détourner les regards sur ses échecs au Moyen-Orient ; écrasé à Mossoul en
Irak, il s’est résolu à l’idée de perdre sa capitale Raqqa en Syrie. Ses
troupes décomposées se dispersent alors en Europe où leur expérience des armes
et des explosifs est recherchée par les cellules dormantes.
Les Espagnols n’ont pas été surpris par l’action
contre Barcelone. Ils s’y attendaient depuis leur mobilisation contre le
djihadisme, depuis quinze ans. Ils ont neutralisé sans publicité de nombreuses
cellules islamiques avant qu’elles n’agissent. Ils savaient que Barcelone
restait une cible emblématique en tant que deuxième ville touristique du pays
avec près de dix millions de visiteurs. Ils n’ont pas pu éviter que Daesh
choisisse le jour où la ville est la plus bondée pour frapper. Depuis le 11
mars 2004 et l’explosion de bombes d’Al-Qaeda dans des trains de banlieue de
Madrid qui ont fait 191 morts, l’Espagne, qui pouvait se sentir épargnée par le
nouveau terrorisme, ne se démobilisait pas. Elle était même devenue
leader mondial dans la prévention des attaques djihadistes car ses deux
organismes de renseignements et de forces de sécurité de l’État avaient
développé des méthodes d’avant-garde.
Les exemples de réussite sont nombreux. Le 25 avril,
une opération anti-terroriste menée avec la police belge avait conduit à
l'interpellation de 9 personnes dans la région de Barcelone. Le 29 décembre
2016, deux djihadistes avaient été arrêtés à Madrid et, après des
perquisitions, la police espagnole avait découvert des vidéos d'hommes en armes
devant une image de la Puerta Del Sol, lieu emblématique de la capitale
espagnole. Depuis 2015, l'Espagne a arrêté 177 suspects en lien avec ses
enquêtes sur le terrorisme islamiste. Enfin, l'Espagne a mis en œuvre des
mesures juridiques ambitieuses pour stopper l'afflux d'argent aux terroristes.
La réussite de la police est aussi due à la coopération de la communauté
musulmane qui est la plus intégrée de l’Europe et qui agit contre la
radicalisation de ses membres.
Bien que la Catalogne soit pointée du doigt comme terreau
djihadiste, l'Espagne est pourtant le pays européen le plus actif en matière de
coopération bilatérale contre le terrorisme. Elle a multiplié les actions et
les rencontres avec les autres pays européens touchés par le terrorisme pour se
concerter sur les nouvelles méthodes à envisager. Elle a été à l’origine d’une
restructuration des institutions européennes de sécurité telles qu'Europol ou
encore Eurojust. Le procureur français François Molins à Paris est en contact
étroit avec son homologue espagnol. Les dernières arrestations en Espagne ou le
démantèlement de cellules djihadistes en Catalogne ou dans le sud de Madrid ont
été le résultat de la coopération des services de renseignement européen et du
Maghreb.
Mais la solution pour neutraliser le terrorisme passe
par la création d’un organisme européen commun, incluant Israël, disposant de
moyens humains et financiers suffisants et qualifié pour intervenir dans tous
les pays. Tout passe par des échanges d'informations et de fichiers et une
entraide concrète multinationale pour démêler les ramifications complexes d'un
réseau international. Israël dispose d'antennes de renseignement dans tout le
Moyen-Orient. Cela permettrait que les combattants terroristes fassent l’objet
de meilleures mesures de contrôle et de surveillance alors qu’ils circulent
librement en Europe. Une coordination totale entre services de sécurité est indispensable
pour plus d’efficacité mais surtout et aussi, ce qui est le plus difficile à
obtenir, pour une uniformisation des procédures judiciaires entre des pays
centralisés comme le France et des pays découpés en régions disposant d’une
autonomie totale à l’instar de l’Allemagne.
La conclusion revient à l’ancien ambassadeur d'Israël
Arie Avidor :
«Mais ce que je tente d'évoquer en si peu de mots,
c'est l'impossibilité de recourir à des solutions miracles contre le
terrorisme. L'Occident n'en a pas (pas même Israël), les régimes
"musclés" (Russie, Turquie, Chine) non plus, les dictatures
sanguinaires (Syrie, Libye, Yémen) encore moins. Nous devrons vivre avec ce
phénomène menaçant et tenter d'y faire face en calculant à chaque fois, dans la
mesure du possible, un coup à l'avance mais en sachant bien que pour une faille
comblée dans notre dispositif, dix autres s'ouvriront à l'avenir. C'est la
leçon que je retiens de décennies de ma modeste expérience, en uniforme ou en
civil, dans la lutte contre le terrorisme. Les populistes et les démagogues,
eux, vocifèrent et dansent sur les flaques de sang. Ils sont dans leur rôle».
Jacques Benillouche,
Temps et Contretemps, 19
août 2017
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