Marc Knobel
Mon frère en humanité,
lorsque un attentat ensanglante ta ville, lorsque un attentat perfore tes
poumons, lorsque un attentat pulvérise ton quartier, ton marché, ton train, ton
métro, ton souk, ton café, ton restaurant, ton cinéma, ta salle de spectacle,
ton avion, tu n'as pas/plus de religion, tu n'as pas/plus de couleur, tu n'as
pas/plus de sexe, tu n'as pas/plus de classe sociale, tu n'es ni noir, ni
jaune, ni blanc, ni français, ni arabe, ni juif, ni chrétien, ni bouddhiste. Tu
n'es plus qu'une victime. Nous devrions nous en souvenir.
Et pourtant... Mon frère en
humanité, lorsque tu meurs si subitement, éventré, perforé, écrasé, laminé,
sans même savoir pourquoi tu es mort, pourquoi tu dois quitter si brutalement
ainsi les tiens, pourquoi on te fait ainsi souffrir, toi et tes proches, alors
que tu es du genre humain.
Mon frère en humanité, tu ne
dois pas te sentir léser parce que tu vivrais à Garissa, au Kenya ou à Sousse,
en Tunisie, ou à Bagdad, en Irak. On te doit autant de considération que l'on
en devrait à n'importe quelle victime d'un point à un autre de la planète,
lorsque les terroristes frappent aveuglément.
Mon frère en humanité, tu as
bien un visage, une voix, des yeux, une langue que ce fut l'arabe ou l'anglais,
tu as bien une histoire, des amis, une famille, des proches, une vie sociale,
tu as bien le droit que l'on se souvienne de ton regard, que l'on cherche ton
nom, que l'on dise ton prénom, que l'on récite une prière, que l'on entonne une
chanson, que l'on parle de toi comme si tu étais vivant. Mon frère en humanité,
même si ta langue maternelle n'est pas la mienne, même si ta peau est foncée,
même si tes yeux sont noirs, même si ta religion diffère de la mienne, même si
tu vis en un ailleurs que j'ignore, même si tu ne sais pas que j'existe, même
si je ne sais pas que tu existes, tu as le droit au respect.
Mon frère en humanité, je
n'accepte pas que l'on t'oublie, que l'on écrase l'information et qu'un
attentat aussi terrible et dramatique que celui qui a frappé tes frères et tes
sœurs en Irak, ne vaille que 13 secondes aux informations d'un journal télévisé
du soir.
1.2.3.4.5.6.7.8.9.10.11.12.13
Secondes...
Tu as bien lu, il a fallu 13
secondes pour évoquer cette horreur et parler de vous tous, de vous toutes: 213
êtres humains que vous étiez, morts déjà en une fraction de seconde.
Mon frère en humanité, notre
silence nous accable. Notre indifférence nous remplit de honte. Tu as le droit
de réclamer que l'on se soucie des tiens, que l'on n'oublie pas ton prénom :
Ahmed, Amal, Asma, Aïcha, Cherifa, Dalal, Djihane, Emna, Ezzeddine, Farid,
Fahed, Ghita, Hanine, Haroun, Issam, Jamal, Kadir, Kenza, Lofti, Malika,
Mansour, Nawal, Nuri, Omar, Racha, Rana, Riham, Salima, Sherine, Talat,
Wassim...
Mon frère en humanité, ton
prénom vaut bien les nôtres. Pourquoi devraisje seulement pleurer lorsque
Monique, Sylvie, Joëlle, Armelle, Christine, Jean, Pierre, Frank, Didier ou
Alain meurent ici, à Paris? Pourquoi devrais-je forcément manifester pour eux
et taire ta mort et ta douleur?
Mon frère en humanité,
pourquoi tous les Chefs d'Etat devraient ils se rendre à Paris, et n'envoyer
qu'un plat communiqué de presse écrit par un sbire quelconque lorsque ta
ville est touchée, que ton sang est versé?
Mon frère en humanité, tu
diffères de moi mais loin de différer tant que cela de moi, je me souviens que
tu es frère en humanité. Ta parcelle de vie en ton lieu de vie mérite le
respect, car tu es aussi un puits de lumière humaine et/ou divine.
Mon frère en humanité, j'ai
honte que nous en soyons là aujourd'hui et qu'il faille que je prenne la plume
pour crier mon dégoût d'une telle inhumanité.
Marc Knobel
Le Huffington Post, 8
juillet 2016
Nota de Jean Corcos :
Partage total des sentiments
de révolte exprimés par mon ami Marc, suite au massacre perpétré par Daech à
Bagdad, le 3 juillet. Révolte contre le mépris de nos chaines d'information
face à cet attentat horrible - on sait maintenant que le bilan approche les 300
tués. Mais révolte personnelle, aussi, contre l'indifférence du grand public,
que les médias ne font peut-être que refléter. Et grande amertume, aussi et bien sur, alors même que notre pays vient de vivre après l'horreur à Nice, le 14 juillet, un nouvel attentat terriblement meurtrier.